La douceur comme antidote à la folie du monde

mardi 01 juin 2021

Le dernier livre de l’essayiste et ancien reporter de guerre français Jean-Claude Guillebaud prône la douceur1. Celle-ci serait selon lui l’antidote essentiel pour s’opposer à des sociétés toujours plus inégales et indifférentes au malheur des plus fragiles. Entretien.

Il a arpenté plusieurs conflits dans sa carrière journalistique. Correspondant de guerre pendant plus de 25 ans, il a couvert la plupart des conflits des années 70, 80 et 90. Au début des années 80, il a d’ailleurs cofondé et dirigé Reporters sans frontières. Il a aujourd’hui 77 ans mais reste un témoin très attentif à ce qui ébranle notre monde, comme la compétition à outrance, l’égoïsme triomphant, le consentement à la souffrance d’autrui.

  • Jean-Claude Guillebaud, vous commencez dans votre dernier livre par parler d’une véritable course vers plus d’inégalités. Qu’entendez-vous par là ?

C’est une question que je porte depuis très longtemps et qui me trouble. Les essayistes américains que j’ai étudiés m’ont aidé à comprendre que les inégalités avaient commencé à progresser de manière inquiétante aux Etats-Unis dès la fin des années 60. Pour vous donner un ordre de grandeur, on considérait alors que pour être à la fois un bon capitaliste et un bon chrétien, il ne fallait pas, dans une entreprise, que l’écart entre les salaires soit supérieur à un rapport de 1 à 20. C’était déjà beaucoup. Mais on est passé très rapidement à un rapport de 1 à 80, cinq ou six ans plus tard. Puis de 1 à 300 dans la décennie qui a suivi. Et cela a continué d’augmenter pour arriver à des rapports incroyables. La même croissance des inégalités est ensuite arrivée chez nous en Europe !

  • Vous dites aussi que tout nous indique que l’indifférence aux droits humains les plus essentiels gagne du terrain sur la planète…

C’est lié aux inégalités : ce sont les organisations non gouvernementales qui ont découvert que la haine envers les pauvres augmentait. La « pauvrophobie » : ce mot est entré dans le vocabulaire des médias il y a cinq ou six ans. Et on rend les pauvres coupables de leur sort. C’est une régression de la réflexion et de la pensée qui est inimaginable !  

  • Face à ce constat, vous prônez la douceur…

J’ai découvert l’œuvre d’un prince russe qui s’appelle Pierre Kropotkine, un passionné de géographie au début du 20è siècle. Il s’est intéressé au premier livre de Darwin qui ne mettait non pas en avant la loi du plus fort, mais qui pensait que la théorie de l’évolution permettait de récuser au bout du compte la brutalité de celle-ci. C’est-à-dire qu’une société qui prend le parti de coopérer plutôt que d’être dans le combat permanent est beaucoup plus apte à durer, beaucoup plus stable et solide qu’une société qui a fait de la compétition le cœur même de sa vision du monde. Kropotkine a inventé d’ailleurs le mot « entraide ».  Or pour répondre à votre question, la douceur est capable de prendre en compte la nécessité de l’entraide, la nécessité de la générosité. Car la première richesse d’une société, quelle qu’elle soit, c’est la cohésion sociale. Et non pas l’accès à la mer ou les richesses de son sous-sol. Une société capable de résister aux chocs est largement imprégnée par le respect.

  • Certains en appellent à la tendresse… La douceur n’est-elle pas une notion tout aussi mièvre ?

Pour moi, ces deux notions sont proches de ce qui sépare l’espoir et l’espérance. L’espoir est un état d’esprit, l’espérance est une décision. Je crois que dans la douceur, il y a une forme de décision. Alors que la tendresse tient plus de l’état d’esprit.

  • Au milieu de votre livre, vous avez ces mots étonnants : « C’est la douceur qui est le cœur vivant du christianisme »…

Bien sûr. Il ne faut pas oublier que ce qui a permis au christianisme de durer 2'000 ans, c’est la douceur ! Cela a été la force du christianisme. Nous avons eu besoin en fait à la fois d’une Eglise qui existe, et de chrétiens mystiques, courageux qui, de siècle en siècle, sont venus rappeler à l’Eglise ses propres devoirs et sa propre vocation. Or sa vocation n’est pas d’être une institution puissante, mais de porter le message évangélique. De le défendre. De le protéger. Et de l’interpréter dans le bon sens du terme.  

  • Votre propos final est de dire que le meilleur peut encore arriver. De quoi dépend cet hypothétique meilleur ?

De chacun de nous ! Le poète Hölderlin (Friedrich Hölderlin, ndlr) disait : «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». C’est une phrase magnifique !  Et regardez chez nous en effet : là où croît l’inégalité, nait par contre-coup quelque chose qui nous sauve. Et c’est vrai ! Ce n’est pas être idéaliste ou niais que de dire cela, c’est considérer que cela se passe ! Et cela emprunte assez souvent le véhicule et l’expression de la douceur.

Propos recueillis par Gabrielle Desarzens dans Babel, une émission de RTS Espace 2. A écouter ici.

1 « Entrer dans la douceur », de Jean-Claude Guillebaud, L’iconoclaste, Paris : 2021

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

LAFREE.INFO

  • Plateforme Dignity : restaurer des victimes d’abus sexuels

    Ven 19 avril 2024

    Créée il y a quelques mois, l’association Dignity a pour mission d’aider des personnes victimes de violences sexuelles. Elle leur propose un accompagnement vers une restauration... avec l’aide de Dieu pour les personnes qui le désirent.[Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Le BibleProject : plus de 150 vidéos pour découvrir la Bible

    Ven 19 avril 2024

    Le BibleProject, ce sont plus de 150 clips vidéos de présentation de la Bible, traduits en une cinquantaine de langues, dont le français. Ces clips proposent des parcours autour de thèmes, de mots et de livres bibliques. Ils constituent un matériel de vulgarisation de la Bible vraiment extraordinaire. Le texte ci-dessous est l’adaptation d’une interview diffusée sur Radio R, dans l’émission « Un R d’Actu ». [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Love Burkina Faso: La générosité de chrétiens de la FREE au service des démunis au Burkina

    Ven 19 avril 2024

    Les petits ruisseaux font de grandes rivières, dit le dicton. De même, la générosité et l'engagement de deux Eglises de la FREE, ainsi que d'autres chrétiens de la région Neuchâtel-Bienne, ont permis de scolariser des enfants d'un quartier défavorisé. Non seulement ils acquièrent les apprentissages de base, mais ils découvrent aussi l'enseignement et les valeurs de la Bible. Aujourd'hui, la construction d'un second bâtiment a commencé.

  • Enquête StopPauvreté : ce que pensent les chrétiennes et les chrétiens de la justice sociale et de la durabilité

    Ven 12 avril 2024

    La conférence « Foi. Climat. Espérance. », organisée le 6 avril 2024 par StopPauvreté, a permis de découvrir les résultats d’une grande enquête à propos de l’attitude des chrétiennes et des chrétiens face à l’écologie et à la durabilité. Il en ressort que ceux-ci sont plutôt bien informés, qu’ils savent ce qu’ils devraient faire, et qu’ils le font… mollement.

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !