Salim J. Munayer : « Dans le monde chrétien occidental, les chrétiens palestiniens n'ont souvent pas voix au chapitre »

Conférence de Salim Munayer à l Eglise La Pélisserie/ Genève
Conférence de Salim Munayer à l Eglise La Pélisserie/ Genève (Noémie Girardet) icon-info
Noémie Girardet vendredi 31 octobre 2025

Le 18 octobre 2025, le théologien évangélique israélo-palestinien Salim J. Munayer était l'invité du FREE College. Il s'est exprimé en quatre conférences sur le thème: "A l'écoute du Sermon sur la montagne dans le conflit israélo-palestinien". Dans une interview exclusive, il appelle les chrétiens occidentaux à examiner leurs sources d’information et à refuser les instrumentalisations de la religion.

Une soixantaine de personnes ont assisté à une journée de formation du FREE College donnée par le théologien évangélique israélo-palestinien Salim J. Munayer. Intitulé « À l’écoute du Sermon sur la montagne dans le conflit israélo-palestinien », cet évènement s’est déroulé le 18 octobre dernier à l’Église évangélique de La Pélisserie à Genève.

Depuis bientôt quarante ans, Salim J. Munayer œuvre pour la paix au Moyen-Orient. En 1990, il fonde l’organisation Musalaha (réconciliation en arabe), qu’il dirige aujourd’hui. Au travers d’elle, ce théologien et historien réunit des Israéliens et des Palestiniens, des juifs, chrétiens et musulmans dans des démarches de réconciliation. Fort de ses expériences et s’appuyant sur l’enseignement de Jésus, il montre qu’une réconciliation durable est possible lorsque l’on traite les injustices.

Une justice réconciliatrice inspirée du Sermon sur la montagne

Pour Salim J. Munayer, Jésus enseigne dans le Sermon sur la montagne de nouvelles habitudes transformatrices : les chrétiens sont appelés à incarner une justice réconciliatrice dans le monde en brisant les cycles de violence. Suivre le modèle du Christ permet la guérison et la restauration tant au niveau individuel que communautaire, pour les oppressés et les oppresseurs.
Dans ses deux premières interventions, Salim J. Munayer a développé ce thème de la justice réconciliatrice en montrant son ancrage dans le Sermon sur la montagne. Dans sa troisième et sa quatrième intervention, il a présenté les six étapes de réconciliation pratiquées dans le cadre de Musalaha. Pour visionner ces quatre conférences, cliquez sur le lien suivant: Conférences de Salim Munayer dans le cadre du FREE College

  • Encadré 1:

    A l’issue de cette journée, nous avons pu l’interroger sur le rôle que peuvent jouer les chrétiens occidentaux dans ce conflit israélo-palestinien. Entretien.


    Nous chrétiens de Suisse, d'Occident, que pouvons-nous faire face au conflit israélo-palestinien ?

    Salim J. Munayer : Je pense que le rôle des chrétiens occidentaux est très important. Examinons notre cœur et notre esprit, et notre position sur ce conflit. Dans le monde chrétien occidental, les chrétiens palestiniens n'ont pas beaucoup d'espace, ils n'ont souvent pas voix au chapitre. Malheureusement, cela a conduit à ce que les organisations et les médias chrétiens soient discrédités dans le monde.
    Actuellement, parmi les populations du Moyen-Orient et les jeunes, les évangéliques sont perçus comme des personnes partiales, indifférentes à la souffrance et à l'injustice, qui veulent la guerre et haïssent leur prochain. Bien-sûr, cette mauvaise image est fortement influencée par les chrétiens américains qui soutiennent Donald Trump.

    Mais ici aussi, je rencontre des chrétiens pas vraiment informés par des sources fiables sur ce qui se passe sur le terrain. Ils lisent des livres populaires vendus dans les librairies chrétiennes, pour la plupart des témoignages personnels et non des livres relatant des faits historiques. Il est dangereux de se forger une opinion sur de tels ouvrages sans avoir vraiment approfondi la question. Un enjeu important pour les chrétiens consisterait donc à comprendre l'histoire.

    Silence, ignorance, peur de dire ou croire faux au sujet d’Israël: comment être « un » dans l’Église ?

    Éviter les débats au sein de l’Église est destructeur. Nous avons besoin, comme le fait l’organisation Musalaha à Jérusalem, de développer des plateformes où les gens se sentent en sécurité, où les conversations sont facilitées et où les questions difficiles auxquelles l'Église est confrontée peuvent être abordées.

    Parfois, c’est plus difficile avec certains groupes, par exemple les chrétiens sionistes. Certains ne sont pas ouverts à changer de point de vue car ils ont le sentiment que remettre en question les actions de l'État d'Israël revient à remettre en question l'essence même de leur foi. Or, si votre foi n'est pas fondée sur Jésus mais sur un État politique, il y a un problème.

    Certaines personnes enseignent «Si vous bénissez Israël, vous serez bénis, si vous ne le bénissez pas, vous serez maudits»: à mes yeux, c'est de la superstition et ce n'est pas biblique! Nous devons aimer le peuple juif, nous devons aider le peuple juif dans sa souffrance. Mais rappelons-nous que la Bible émet de nombreuses critiques sur la mauvaise utilisation du pouvoir par ceux qui gouvernent. En tant qu'Église, nous avons le droit de critiquer le pouvoir politique. Pourquoi ne pourrions-nous pas critiquer la politique de l'État d'Israël ?

    Jésus est le repère de notre histoire. Lorsque certains chrétiens font d'une entité politique le repère de l'histoire divine, ils adoptent une mentalité et des actions de croisade. C'est ce qui se passe actuellement.

    Vous avez déclaré que la religion est utilisée comme instrument politique et n’est pas la cause première du conflit israélo-palestinien. Qu’en est-il du christianisme ?

    Ce dernier est aussi instrumentalisé*. Par exemple, en Occident, la culpabilité liée à l'Holocauste a mené à l’invisibilisation des chrétiens palestiniens, et au déni de situations d’injustice. Autre exemple, le sionisme chrétien* soutient l’État israélien et certains de ses partisans désirent que leur propre État fasse de même. La peur de certains chrétiens face à l’islam est elle aussi instrumentalisée pour faire de ce conflit une guerre de religions.

    Dans ce sens, certains médias chrétiens pro-israéliens ne facilitent pas la situation. Ils collectent des fonds tout en relayant des informations contestables. Sachez que le Premier ministre israélien dispose d'un bureau dont la seule fonction est d'envoyer des informations aux évangéliques…

    Face à ce conflit au Moyen-Orient, on pourrait se sentir impuissants. Se dire que de toute façon, tout ce qui arrive était prédit et que nous sommes dans la fin des temps. Comment réagissez-vous à ces propos?

    Cela revient à dire inconsciemment : « Nous méritons la paix, mais eux méritent la guerre et la destruction. Notre rédemption passe par leur destruction ». Cela s’éloigne complétement de la centralité de Jésus en tant que Messie libérateur et sauveur. Soyons attentifs à ne pas tomber dans une théologie raciste, qui laisserait entendre que certaines personnes sont sauvées et d'autres sont vouées à la destruction en fonction de leur race. Même si nous étions certains de vivre la fin des temps, nous devrions continuer à œuvrer pour la paix, la justice et la réconciliation. C'est le message du livre de l'Apocalypse aux chapitres 2 et 3. L’Église y est interpellée : « Quel est ton cœur ? Est-ce que tu m’aimes ? Aimes-tu ton prochain et tes frères et sœurs ? ». 

    Comment et où s’informer, pour être au plus près de la réalité du terrain?

    Chaque média a ses propres biais. Si l'on parle des médias israéliens, vous pouvez lire Haaretz en anglais (traduit automatiquement en français): il est assez précis dans sa présentation des événements en Israël. Et en lisant Al Jazeera en anglais, vous obtenez une autre perspective. Ne vous contentez pas d’un seul son de cloche, mais ayez plusieurs sources d'information.

    Il y aura toujours des points de désaccord, et d’autres pour lesquels nous devons continuer à étudier. Je recommande l’historien palestinien Rashid Khalidi et l’historien israélien Ilan Pappé. Également Benny Morris, qui est un historien israélien plutôt de droite. C'est en entendant différents points de vue que l'on peut se rapprocher de la vérité. Gaza est devenue un problème mondial que nous devons aborder et comprendre.

    Lexique:

    *Sionisme chrétien : Courant du christianisme évangélique qui soutient la création et la consolidation de l'État d'Israël, fondé sur une interprétation littérale de la Bible. Ses partisans croient que la reconstruction de l'État d'Israël est une étape essentielle pour l'accomplissement de prophéties bibliques, préfigurant le la fin des temps et le retour du Christ.

    *Instrumentaliser : Utiliser quelque chose ou quelqu’un comme un instrument, considérer son aspect utilitaire.

     

Opinion - avertissement

Les signataires de ces textes sont soit des membres de l’équipe de rédaction de lafree.ch soit des personnes invitées.
Chacun s’exprime à titre personnel et n’engage pas la FREE.

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