Qassim Suliman vit depuis bientôt deux ans dans le camp de réfugiés Sharya, tout près de la ville de Dohuk, dans le nord du Kurdistan irakien. Cet ingénieur agronome et maître d’école est à l’entrée de sa tente avec sa femme Nofa Qassim. Une tente qui, la nuit, abrite également leurs quatre enfants : trois jeunes hommes et une adolescente. La tente de quatre mètres sur quatre et de deux mètres de haut est minutieusement rangée, un tapis recouvre une dalle en ciment, des petits coussins bordent le tour de la tente, avec une télévision dans un coin. « Nous sommes Yézidis, explique Qassim, et nous venons du village de Sabahiya, au sud de Sinjar », une ville du nord-ouest de l’Irak, tout près de la frontière syrienne. Comme les 18'000 autres Yézidis qui habitent ce camp, Qassim Suliman et son épouse ont fui l’avancée de l’Etat islamique (EI) à l’été 2014 et ont trouvé refuge dans cette région montagneuse du Kurdistan, à plus de 1000 mètres d’altitude.
Une photo de sa maison et de ses terres
Qassim Suliman sort un ordinateur et montre une photo de sa propriété. Des champs très verts au premier plan, des oliviers ensuite… Du tout se dégage une impression de prospérité. On entrevoit en arrière-plan une série de bâtisses blanches qui renforcent encore ce sentiment. « Nous avons dû quitter notre propriété à cause de l’arrivée de l’Etat islamique, explique-t-il. Nous avons réussi à fuir à la dernière minute. Mes cousins ont été capturés par l’EI. Ma mère est restée sur place et elle est morte là-bas. »
Qassim Suliman relève que lui et sa famille n’ont pas d’avenir dans ce camp. Très dépité, il lâche : « Nous n’avons pas non plus d’avenir dans notre région d’origine. Du côté de Sinjar, nous avons été menacés 74 fois ces dernières décennies. Aujourd’hui si nous rentrons, notre maison est détruite, il n’y a plus ni infrastructures ni services qui marchent. Les djihadistes de l’EI ont brûlé nos maisons, ils ont volé nos bêtes… et le plus important : nous avons perdu confiance. » Très accablé, il ajoute : « Nos voisins musulmans qui vivaient en bonne harmonie avec nous depuis une centaine d’années, ont voulu nous tuer ! » Comme beaucoup de déplacés, pour ménager un futur à ses enfants, il est prêt à émigrer en Europe ou ailleurs. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’un de ses frères qui s’est installé en Allemagne, après avoir passé par la Turquie, et gagné la Grèce en bateau en plastic.
Nofa, l’épouse de Qassim, constate aussi que la vie est difficile dans le camp de Sharya. Mais que, toutefois, tous ses enfants vont à l’école, trois dans une infrastructure installée à proximité du camp et gérée par les responsables de la structure d’accueil, et le quatrième à Sharya, dans la ville d’à côté. « Les autorités y ont ouvert une école en arabe, ce qui permet à notre aîné de suivre cette classe, vu qu’elle ne se donne pas en kurde, comme c’est le cas pour toutes les classes dans la région de Dohuk. »
Une clinique gérée par Medair
En dehors de l’enceinte du camp, un peu en retrait sur une colline, des sortes de portakabin ont été installées pour servir de salles de classe. Un peu à côté, une autre installation de containers fait office de clinique. La salle d’attente est bondée. Une cinquantaine de personnes, principalement des femmes et des enfants, sont assises sur des chaises rouges en plastic. « Nous proposons des consultations pré et post-natales, ainsi que des soins pédiatriques, mais aussi des prises en charge des maladies chroniques, explique Sarah Molyneux. Entre 1400 et 1600 personnes bénéficient d’une consultation chaque semaine. » Cette infirmière australienne est la responsable du projet de santé que pilote Medair, une ONG d’origine suisse. Elle explique que les messieurs sont emmenés dans la partie gauche de la clinique qui fait une sorte de T et les femmes dans la partie droite, en accord avec la culture des Yézidis. En plus des médecins, un dentiste propose également ses services.
Le Dr Kamal Sino Bubo est l’un des médecins qui consultent ce matin-là. Cet homme de 46 ans compte aussi parmi les réfugiés de Sinjar. Une partie de sa famille habite le camp, mais lui, en tant que salarié de Medair, a pu s’installer à Dohuk dans une maison normale. « Au début, nous pratiquions dans des conditions très difficiles parce que nous manquions de médicaments, explique-t-il. Aujourd’hui, cela se passe mieux que l’an dernier, mais nous avons toujours des difficultés d’approvisionnement en médicaments pour les quelque 800 malades chroniques. L’ONG Medair fait tout ce qu’elle peut, mais ses capacités sont limitées ! »
Le Dr Kamal fait office de point de référence pour ses patients. Médecin à l’hôpital de Sinjar, il en a retrouvé beaucoup dans le camp Sharya. Lorsqu’il apprend la provenance suisse du journaliste, il saisit son badge sur le ruban duquel on peut lire Medair… Et un sourire illumine son visage ! Il propose alors à chaque personne présente un verre du thé qu’il a en réserve derrière son petit bureau. Un thé noir parfumé de cannelle et de cardamome. Les langues se délient et la convivialité est de mise.
Motivée par les valeurs chrétiennes
« En fait, j'accompagne mes patients, souligne-t-il. S’ils retournent à Sinjar, je les suivrai. J'ai eu la possibilité de retourner à l’hôpital depuis la libération de la ville par les peshmergas (les forces armées kurdes) en novembre dernier, mais plus rien ne fonctionne. De plus, les personnes qui ont collaboré avec l’EI sont toujours là. Elles constituent une menace réelle pour ceux qui rentrent. » Il envisage prochainement une nouvelle visite à Sinjar, histoire de suivre ses patients sur place, notamment ceux qui comptent parmi les forces de sécurité.
« Voilà près d’une année que je suis engagée dans ce projet, après avoir servi avec une autre ONG en Ouganda, relève Sarah Molyneux, la responsable du projet de santé. J’ai vu là-bas comment Medair travaillait et j’ai eu envie de m’impliquer avec cette ONG. Je suis tombée amoureuse des Yézidis. Parmi les peuples que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant, ils sont les plus pacifiques et les plus hospitaliers. » Quand on l’interroge sur ses motivations, cette Australienne dans la trentaine lâche que son engagement à l’endroit des Yézidis est pour elle « l’occasion de vraiment mettre en pratique l’invitation de Jésus à venir en aide à ceux qui ont faim et qui sont dans le besoin. »
Serge Carrel
Photos: Emmanuel Ziehli (StopPauvreté)