Les Églises évangéliques ne sont pas portées sur la publication de déclarations officielles autour de thèmes d’actualité. Les prises de position sont difficiles à énoncer vu la diversité des points de vue en interne et le peu de structures fédératives fortes. Néanmoins autour de la crise migratoire de ces dernières années, trois fédérations ou unions d’Églises en lien avec la Suisse ont risqué le pas.
Une prise de position des mennonites européens
Des responsables des Églises mennonites européennes ont publié à l’occasion de leur rencontre à Buhl en France du 23 au 25 octobre 2015 une déclaration. Celle-ci souligne que l’histoire se répète et que les chrétiens ne sont pas impuissants par rapport à la situation dramatique de milliers de migrants.
« Nous, chrétiens, ancrés dans la tradition anabaptiste mennonite, souligne la déclaration de Buhl, voyons les histoires de Dieu et de l’homme revivre dans les visages des réfugiés qui aujourd’hui entrent en Europe, en quête de paix et de sécurité »(1). Comme dans les histoires de la Bible et dans l’histoire mennonite, des personnes ont tendu leur main pour venir en aide à ces réfugiés de la violence ou de la persécution. Ce qui permet aux mennonites de se rappeler que « dans l’obscurité la plus profonde, Dieu marchait avec nous, où que nous allions ».
Ce faire-mémoire permet à cette prise de position d’affirmer qu’aujourd’hui encore « le visage vulnérable de Dieu lui-même » peut être reconnu dans le visage des fugitifs qui passent par les Balkans ou la Méditerranée.
Après cette affirmation théologique forte, cette déclaration critique le sentiment d’impuissance que pourraient ressentir les Européens face à l’ampleur de la tâche et face aux menaces que véhicule l’accueil de ces populations. En final, les Églises mennonites européennes appellent à la compassion : « Regardez, voyez, prenez soin les uns des autres… Chacun a une histoire, chacun a un cœur, des yeux, des mains… Nous ne sommes pas impuissants tant que nous avons, nous humains, la volonté de vivre ensemble »(2).
Le Général plaide la cause des réfugiés
En Suisse, l’Armée du Salut n’a pas produit de déclarations spécifiques à propos de la crise des réfugiés. Mais la venue à Bienne le 25 octobre dernier du responsable international, le Général André Cox, a permis de profiler publiquement la position de ce mouvement. A l’occasion de la commémoration des 150 ans de l’antenne helvétique de l’Armée du Salut, il a affirmé que c’était de la responsabilité de ce mouvement de s’engager pour les réfugiés, afin que ces personnes soient traitées avec respect et équité dans leurs situations difficiles. Alors que dans le canton de Berne, les œuvres sociales de l’Armée du salut gèrent, sur mandat du canton, une vingtaine de centres et 386 appartements avec plus de 3300 personnes hébergées, le Général André Cox a invité les « postes » de l’Armée du Salut a ouvrir leurs locaux et à héberger les réfugiés dans le besoin(3).
Les Églises Vineyard, des lieux d’accueil pour les réfugiés
En septembre 2015, d’autres Églises ont pris la parole et publié une prise de position sur la situation des réfugiés : le mouvement Vineyard dans l’espace germanophone, avec ses antennes en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Signée par les fondateurs du mouvement, Martin et Georgia Bühlmann, et une équipe de responsables, cette prise de position plaide pour que toutes les communautés Vineyard s’engagent à bien accueillir les réfugiés, à les servir et à les aider, parce qu’il y a là un « commandement de l’heure » et un « commandement de la Bible »(4).
A partir de l’invitation à aider l’étranger qui retentit dans l’ensemble de la Bible, cette prise de position invite les Églises Vineyard à s’engager pour le développement d’une culture de l’accueil bienveillant, et à refuser la crainte de l’islamisation de l’Occident, « parce que nous avons foi dans la souveraineté de Dieu », complète le document.
Les responsables de ces Églises disent clairement oui à l’accueil des réfugiés provenant de zones de guerre et de désastre humanitaire. Ils soutiennent aussi les initiatives d’aide d’urgence dans ces régions. Le document se termine par une invitation à embrasser un autre style de vie, marqué par le commerce équitable et par le refus du commerce des armes et de la spéculation sur les denrées alimentaires. En guise de conclusion, Martin et Georgia Bühlmann lancent que : « Les Églises Vineyard pourront ainsi devenir des lieux d’accueil pour les réfugiés et vivre la foi en Jésus-Christ de manière pertinente pour notre société »(5).
En Suisse, les autres fédérations évangéliques n’ont pas fait de déclarations officielles. Certains de leurs médias ont toutefois relayé des initiatives locales, individuelles ou communautaires, qui visent à relever le défi de l’accueil des nouveaux arrivants(6).
Le Réseau évangélique s’engage
Les instances nationales de représentation des évangéliques se sont engagées pratiquement par rapport à la crise migratoire. L’Alliance évangélique et le Réseau évangélique suisse ont engagé début janvier 2016 deux personnes, à 50% pour la Suisse allemande et à 40% pour la Suisse romande, afin de faciliter l’accueil de réfugiés chez des particuliers.
De concert, les deux instances évangéliques ont aussi lancé des plateformes web pour faciliter l’aide aux réfugiés. En allemand comme en français, elles « ont pour objectif de donner des pistes d’actions concrètes aux individus, aux groupes et aux Églises »(7). Pratiquement, ces sites proposent de nombreuses adresses : des lieux d’hébergement pour les réfugiés, des endroits où suivre des cours de français, des points de contact où des activités sont proposées aux réfugiés, ainsi que des œuvres auxquelles faire part de sa générosité. Par ailleurs, aider-les-réfugiés.ch propose aussi des réponses à des questions que l’on peut se poser par rapport à la crise migratoire : « Quelle différence entre un migrant, un demandeur d’asile et un réfugié ? », « Il y en a trop ! Comment gérer la situation ? », « Que dit la Bible de l’étranger et de son intégration ? », ou « La crise de réfugiés m’attriste. Que puis-je faire ? »
Depuis le début de l’année 2016, StopPauvreté, la campagne de sensibilisation à la lutte contre la pauvreté du Réseau évangélique, a aussi inscrit la crise des réfugiés au sommet de ses préoccupations. Outre la prochaine parution du livre de témoignages #tousmigrants, elle a organisé le 18 juin 2016 une demi-journée de présentation et de réseautage des différentes personnes, associations ou Églises impliquées sur le terrain dans l’accueil des réfugiés(8).
L’Alliance évangélique européenne au front
Le Réseau évangélique suisse a aussi publié plusieurs prises de position de l’Alliance évangélique européenne, notamment un « Appel à l’action adressé aux évangéliques d’Europe » en date du 8 octobre 2015(9). Lors de son assemblée générale à Schwäbisch Gmund en Allemagne, cette instance représentative a exhorté les évangéliques européens à « accueillir l’étranger quel qu’il soit ; peu importe sa culture, son appartenance ethnique, sa foi ou s’il réside depuis longtemps ou peu en Europe ». S’ensuit une proposition d’engagement dans cette situation de crise : à célébrer la diversité culturelle dans l’unité du corps de Christ, à prier, à être des exemples de grâce et des faiseurs de paix, et à aimer nos prochains.
En date du 29 avril 2016, l’Alliance évangélique européenne a publié via son équipe sociopolitique un document intitulé : « La crise des réfugiés en Europe : que penser à son propos ? »(10) Au travers de cinq affirmations qui sont chaque fois justifiées par plusieurs points, ce document, plus incisif, relève que, de manière générale, les réponses nationales et internationales à la crise migratoire « ont été insuffisantes et honteusement non éthiques » ! L’Alliance évangélique européenne considère qu’à partir des standards inspirés de la Bible, des lois et de la bonne gouvernance, la réponse à la crise des réfugiés a été « un échec moral, légal et politique. Cela nous fait honte, et a conduit à des souffrances évitables et à de l’injustice »(11), ajoute cette prise de position. Ce document souligne toutefois qu’il importe de « reconnaître une limite à la générosité des pays hôtes », sous peine de voir les cœurs se durcir et générer un « nationalisme inapproprié ». Par ailleurs, il importe de ne pas « diaboliser » les migrants dans les médias et les propos politiques, et de respecter la liberté de religion pour tous. En final, l’Alliance évangélique européenne invite les migrants comme les autochtones à faire en sorte que l’intégration se passe bien. « Nous demandons instamment aux chrétiens de jouer un rôle clé dans l’assistance à l’intégration et dans le développement de la compréhension mutuelle »(12).
Un site de ressources pour tous les Européens
Sur un site spécialement consacré à la crise migratoire (The Refugee Campaign), l’Alliance évangélique européenne propose depuis juillet 2016 de nombreuses ressources, y compris théologiques, pour développer la prise de conscience des chrétiens et des Églises autour de cette question. A noter entre autres : un manifeste intitulé « Je me lève pour les réfugiés »(13) ou un livre d’un pasteur, Nick Park, qui raconte comment son Église pentecôtiste de Drogheda en Irlande a commencé en l’an 2000 à développer un « cœur pour les nations » et à accueillir en son sein un grand nombre de réfugiés(14). « Je crois que des Églises et des ministères, relève-t-il, se sont privés de recevoir des bénédictions de Dieu lorsqu’elles se sont réfugiées dans un agenda nationaliste et ont commencé à être motivées par la peur plutôt que par la foi »(15). En final, le directeur exécutif de l’Alliance évangélique irlandaise relève quelques pistes pratiques en vue du service des migrants : promouvoir la compréhension interculturelle, écrire des lettres, faire du bien à la population locale, une assistance à large échelle…
Ça bouge aussi du côté des ONG et des associations
En dehors des instances représentants des communautés locales ou des fédérations d’Églises suisses, plusieurs ONG ont donné une inflexion à leurs activités en lien avec la crise migratoire.
L’ONG Portes Ouvertes à Romanel-sur-Lausanne soutient les chrétiens persécutés dans le monde. La crise migratoire que connaît le Moyen-Orient l’a incitée à intensifier ses activités d’aide aux réfugiés sur place. « En collaboration avec l’Église locale en Syrie et en Irak, affirme l’une de ses déclarations, ce sont près de 20'000 familles… que nous aidons d’une manière pratique et spirituelle »(16) Par ailleurs, cette ONG a organisé un temps de formation à l’accueil des réfugiés en Suisse romande en invitant en mars 2016 Martin Accad, un théologien évangélique libanais, spécialiste du dialogue avec l’islam(17).
L’association Wycliffe pour la traduction de la Bible à Bienne met ses compétences dans l’apprentissage des langues à disposition des personnes intéressées à enseigner le français aux réfugiés. Grâce à une méthode originale, Apprendre par intégration progressive (AIP), les étudiants peuvent mener de front la découverte de la langue avec l’interaction et les contacts. Tout cela pour que l’apprenant découvre le monde nouveau qui l’accueille et s’y intègre plus naturellement(18).
Le forum chrétien Christnet qui mène une réflexion critique sur les enjeux de société, a traité à plusieurs reprises en 2015 de la question de la migration, par une journée de réflexion et des prises de position. Il a repris plusieurs fois à son compte l’invitation de la Bible à accueillir les migrants et rappelé que derrière l’explosion des chiffres il y a des humains(19).
Quelques ONG comme CABES, qui développe des groupes d’accueil à Lausanne, Fribourg, Vevey et dans la Broye, souhaitent, au travers de leurs activités, « partager l’amour de Dieu avec les étrangers non occidentaux venus en Suisse romande pour y chercher refuge ou fuir la précarité économique ».
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Parcourir les prises de position publiques des évangéliques autour de la crise migratoire donne un aperçu du positionnement d’un milieu par rapport à une actualité brulante du moment. Ce tour d’horizon ne dit toutefois rien de l’engagement concret des évangéliques sur le terrain. La rencontre du 18 juin 2016 à Yverdon-les-Bains, organisée par StopPauvreté, a permis de rassembler une partie de ces chrétiens évangéliques que l’avenir de populations meurtries par la guerre, l’intolérance et la persécution ne laisse nullement indifférent. Et pour sûr, on a senti une émulation… Manifestement, les initiatives de terrain : cours de français, prêts de locaux d’Église, hébergement chez des privés, engagements court-terme sur les lieux chauds de l’accueil… ont un bel avenir devant eux !
Serge Carrel
Notes
2 Ibid., p. 3.