Monika et Christophe Jaquier attendaient leur quatrième enfant. A la 22e semaine de grossesse, le médecin décèle une grave malformation de la tête. Une anencéphalie. Il affirme que le bébé ne survivra pas. Monika et Christophe décident de garder cet enfant. Le 18 juillet 2000, Anouk vient au monde. Treize heures plus tard, elle devait déjà le quitter.
Le premier choc, Christophe et Monika le ressentent au moment du diagnostic. A ce moment-là, ils prient. Ils reçoivent la conviction que Dieu ne guérira pas ce bébé. «On a décidé de vivre cela avec Dieu. On ne voulait pas lui demander pourquoi, mais essayer d’accepter ce qu’il nous donne et de le vivre avec lui», nous confie Monika. Dieu leur a donné l’assurance que malgré la douleur, de bonnes choses en résulteraient.
«Nous allons à l’Eglise d’Oron. Il y a beaucoup de guérisons. Lorsque le pasteur Werner Lehmann est venu nous voir quelques jours après, il n’a pas parlé de guérison. Et il nous a soutenus dans notre conviction». Monika et Christophe ont une paix qui ne les quitte pas. «On n’a jamais refusé que des gens prient pour la guérison. Mais on leur a demandé surtout de prier pour nous, pour que Dieu nous soutienne. On s’est toujours dit que si Dieu avait voulu guérir, c’est à nous qu’il l’aurait dit en premier! »
Les gens ne comprenaient pas
L’anencéphalie était une maladie inconnue pour Monika. Le médecin l’a renseignée au mieux, mais elle avait besoin d’en savoir plus. La sage-femme lui trouve un site internet aux Etats-Unis, ce qui l’aide à se documenter. Monika fait aussi paraître une annonce dans un journal chrétien allemand et quelques familles lui répondent. Le contact avec d’autres lui est très bénéfique.
«Après le décès d’Anouk, c’était important d’écrire ce que j’avais vécu, parce que j’avais l’impression que les gens autour de moi ne me comprenaient pas. Je voulais aussi aider des parents qui n’avaient pas forcément accès à l’anglais». Monika constate qu’elle a reçu exactement les dons pour cela: elle parle l’anglais, le français et l’allemand. Et sa formation de laborantine l’aide à bien comprendre les termes médicaux.
«Suite à une fausse couche, huit ans auparavant, Dieu nous avait donné une prophétie comme quoi nous aiderions d’autres couples. Mais jamais on n’avait pu le faire. J’ai réalisé que Dieu donne parfois des promesses longtemps avant leur réalisation. J’ai été découragée par des gens qui pensaient que je n’aurais jamais de visites sur mon site, mais je me suis dit que si je pouvais aider une seule famille, le but serait déjà atteint». En décembre 2000, Monika se met à l’oeuvre et développe un site, actuellement en sept langues. Très rapidement, les visiteurs affluent. En quatre ans, elle enregistre pas moins de 400 000 consultations. «Le mois passé, il y a eu 24’000 visiteurs. Heureusement, tous n’écrivent pas!»
Monika reçoit tous les jours des mails en anglais. Une ou deux fois par mois, elle reçoit de nouvelles demandes en français et allemand. Deux à trois heures par jour sont nécessaires pour y répondre. Deux amies traitent les messages en espagnol et en hollandais.«Souvent des parents écrivent pour demander conseil ou pour dire qu’ils ont eu un avortement sans vraiment savoir à quoi correspondait le diagnostic. Ils ont suivi l’avis médical sans forcément se poser de questions». En cas de maladie grave, une interruption médicale de grossesse (IMG) est pratiquée jusqu’à 22 semaines de grossesse. Trop souvent, le couple ne voit même pas le bébé, ou bien il a peur de le voir. Après l’intervention, il se retrouve sans rien, sauf peut-être une image d’échographie.
Après la naissance, quelques heures pour se rencontrer
«Je n’ai jamais eu contact avec une famille qui a décidé de garder un bébé non viable jusqu’au terme et qui a regretté ce choix. Mais je reçois souvent des mails de personnes qui ont subi une IMG et qui disent: «Si j’avais eu plus de renseignements sur la condition de mon bébé, je ne l’aurais pas fait». C’est cela qui me pousse à travailler, pour que les gens puissent être informés». Une femme qui garde son enfant peut tisser des liens avec lui durant toute la grossesse. «On peut vivre les choses en famille et une partie de la guérison avant la naissance. Quand le bébé naît, on n’est plus sous le choc. Souvent le bébé survit quelques heures. On peut passer du temps avec lui, le prendre dans ses bras. Et en plus, on n’a rien à se reprocher. Il est fréquent que les mères culpabilisent après un avortement. Ces femmes auraient voulu savoir ce qu’aurait été leur bébé».
Monika offre son soutien à tous, sans distinction: «Je ne vais jamais dire à un couple qui a choisi l’avortement que c’est une erreur. C’est leur décision, ce n’est pas à moi de juger. J’essaie de les encourager à faire le deuil, pour qu’ils donnent une place à cet enfant dans leur famille. Souvent ce sont de petits trucs: par exemple, lui donner un nom».
Un ministère d’information et d’aide
Monika a constaté un manque de ressources en français. «C’est pourquoi j’ai créé un autre site, «prénat, aide après diagnostic prénatal», pour soutenir des parents qui reçoivent un autre diagnostic que l’anencéphalie, mais dont le résultat est le même». Monika a mis au point un fichier d’adresses où les gens peuvent s’inscrire. «Et je leur envoie l’adresse d’autres parents qui ont eu un diagnostic similaire. J’essaie de mettre en contact des familles qui ont une situation de vie semblable».
Parfois, Monika a des contacts avec des couples qui attendent un enfant handicapé. «C’est une tout autre situation. Quand on sait que le bébé va très vite mourir après la naissance, d’un côté c’est presque plus simple, parce qu’on ne s’engage pas à beaucoup. D’un autre côté, quand on sait qu’on va perdre son enfant, on donnerait n’importe quoi pour qu’il vive juste quelques semaines. La peur par rapport à un handicap, c’est d’avoir à s’occuper pendant des années d’enfants qui ne deviendront jamais indépendants». Les parents qui renoncent à avorter sont souvent mal compris. On les croit responsables de faire souffrir un être handicapé. «Mais tuer un enfant, cela fait aussi souffrir!» répond Monika.
Monika a eu l’occasion de témoigner auprès des sages-femmes indépendantes du canton de Vaud. A deux reprises, elle a donné son témoignage à l’école de sages-femmes du CHUV. Elle a aussi des contacts avec un professeur de pédagogie curative en Allemagne. «En novembre, on a eu une petite conférence interdisciplinaire, avec des médecins, éthiciens et théologiens. J’ai été très étonnée. Ces pédagogues, qui ne sont pas chrétiens, ont des valeurs. Et celles-ci sont parfois les mêmes que les nôtres!»
Monika s’est livrée à une statistique sur l’anencéphalie, en questionnant près de 200 familles. Avec un professeur de neurologie de l’hôpital de l’enfance à Zurich, elle a écrit un article pour un journal médical anglais. Ce professeur a très bien compris qu’elle ait gardé son enfant. «Mon médecin au CHUV aussi. Il avait proposé l’avortement pour dire que cela existait, mais il m’a toujours soutenue dans ma démarche».
Le soutien de l’Eglise
Monika ne cache pas sa foi. Pourtant, elle ne veut pas que les versets bibliques soient en première page de son site internet. Cela risquerait de repousser certaines personnes. Les versets se trouvent dans la rubrique «consolation». Libre à chacun de les consulter! «Ce site me permet d’avoir un témoignage auprès de gens qui ont des valeurs, mais qui ne connaissent pas forcément Dieu. J’ai eu un contact avec une allemande convertie à l’islam, qui a gardé son bébé jusqu’au terme et qui a un respect de la vie formidable. Mon premier but est d’aider ces gens, quels que soient leur croyance, leur arrière-plan et leur décision de garder ou non l’enfant. Bien sûr, j’espère aussi que ces gens se convertiront».
Les personnes âgées de l’Eglise prient régulièrement pour le ministère de Monika. C’est un soutien important. Monika aimerait trouver quelques traducteurs supplémentaires, ainsi qu’une collaboratrice en Suisse romande. Et elle rêve de développer son site.
Aujourd’hui, Monika et Christophe peuvent dire que Dieu les a complètement guéris et relevés, même si Anouk n’a pas été guérie.«On est heureux qu’Anouk ait fait partie de notre famille, mais on n’est plus du tout tristes qu’elle ne soit plus. Le pincement au coeur reste toujours, mais sans tristesse.»
Anne-Catherine Piguet