La plainte et le murmure

Vincent Hirschi vendredi 03 octobre 2025

Il existe une différence entre « se plaindre » et « murmurer ». Alors que Dieu accueille la plainte, il déteste le murmure. Faire la différence entre les deux nous aide à vivre en communion avec Dieu. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Églises évangéliques.]

La Bible montre qu’il existe une différence entre « plainte » et « murmure ». En effet, elle mentionne de nombreuses personnes qui se plaignent devant Dieu, sans que celui-ci ne s'en offusque. Par contre, la colère de Dieu s'enflamme deux reprises contre les Hébreux, dans le désert, parce qu'ils osent se plaindre ou, plus exactement, murmurer (Ex 15-17 ; Nb 14-17). Les auteurs du Nouveau Testament mettent également l’Église en garde contre le murmure (1Co 10.10 ; Phil 2.14 ; 1Pi 4.9 ; Jude 16). Quelle est donc la différence entre plainte et murmure ? Comment comprendre la colère de Dieu contre les Israélites, et comment éviter cette attitude que Dieu semble détester ?

Prenons tout d'abord le meilleur exemple de plainte qui n'offense pas Dieu : Job. Celui-ci se plaint abondamment en expliquant que Dieu est injuste et que sa souffrance n'est pas méritée. Pourtant, lorsque Dieu intervient dans la discussion, il ne lui reproche jamais de s'être plaint. Il est vrai que Dieu fait comprendre à Job qu'il a donné trop d’importance à sa propre personne, mais il le fait avec beaucoup de douceur et une bonne dose d'humour. Dieu affirme surtout que les paroles de Job, à propos de Dieu, ont été dites avec droiture. Ceci contraste avec ceux qui avaient affirmé, malgré les souffrances de Job, que Dieu ne fait jamais d'erreurs. Ce sont eux qui se voient vertement repris pour leurs paroles qui manquent de droiture et manifestent leur folie – alors même qu'ils ont été initialement présentés comme des personnages importants !

On pourrait même aller jusqu'à dire que la Bible nous encourage à nous plaindre ! Les Psaumes regorgent de plaintes, de cris qui montent vers Dieu à cause de la souffrance, de l'injustice ou simplement par incompréhension. Or les Psaumes sont des prières que nous sommes appelés à faire nôtres, des modèles de prière à imiter. À titre personnel, j'ai l'impression que nos Églises tendent à encourager des prières plus « polies » que ces exemples bibliques. Il me semble même qu'exprimer de temps en temps des prières plus marquées par l'intensité des émotions – quitte à ce qu'elle passent aux oreilles de certains pour des prières crues ou accusatrices envers Dieu – nous ferait plus de bien que de mal.

La Bible nous encourage donc à être pleinement vrais face à Dieu, à exprimer dans la prière nos souffrances, nos incompréhensions ou nos frustrations. Mais, alors, qu'est-ce que la Bible vise lorsqu'elle nous interdit le murmure ?

Lorsque le peuple murmure

En fait, l'Ancien Testament ne parle du murmure qu'à deux reprises, lors de la traversée du désert. La première fois, le peuple vient de traverser la mer et d'être ainsi délivré définitivement de l'armée qui voulait les ramener vers l'esclavage. À peine quelques jours plus tard, alors qu'il s’est enfoncé dans le désert et commence à manquer d'eau et de nourriture, le peuple se met à « murmurer » (Ex 15.24, 16.2 et suivants).

La deuxième fois, le peuple se trouve aux portes de la terre promise, mais il n'ose pas y rentrer. Les Israélites viennent d'entendre le rapport des douze espions qui viennent d’explorer le pays, et ils sont pris de panique. Le pays est habité par des géants, parait-il, et ils s'imaginent déjà perdus. A nouveau, ils « murmurent » contre Moïse et Aaron, et regrettent de ne pas être morts en Égypte (Nb 14-15).

Dans ces deux épisodes, le peuple se sent trahi. Il attend quelque chose de Dieu et s'estime floué sur la marchandise. Si Dieu les a sortis d’Égypte, il pourrait bien leur épargner ces difficultés, non ? Et s'ils voulaient bien être libérés de l'esclavage, la plupart d'entre eux n'avait pas signé pour une conquête qui restait tout de même dangereuse.

Dieu accueille les plaintes de David et de Job. Alors, pourquoi celles du peuple sont-elles rejetées à ce moment-là ? La réponse se trouve dans son attitude. Lorsque David est abattu ou en colère contre Dieu, il va vers lui et le lui dit. Il se plaint, ouvertement et sans détours, mais il s'en plaint à Dieu. Par contre, lorsque le peuple est mécontent, il n'existe pas le moindre indice montrant qu’il s'adresse à Dieu. Les Israélites ne demandent pas : « Pourquoi nous fais-tu aller dans ce pays ? », mais ils se parlent les uns aux autres et répondent eux-mêmes à leur question. Dieu est mis au banc des accusés, mais il n'a pas le droit à la parole. Le peuple se sent trompé par Dieu et, au lieu de le lui dire et de s'ouvrir à une réponse possible, il décide unilatéralement de couper le dialogue. La parole n'est plus tournée vers Dieu, mais elle circule en circuit fermé parmi ceux qui pensent la même chose.

Autrement dit, les Israélites rejettent la direction de Dieu, mais n'ont pas le courage de le lui dire en face, et ils ne sont pas prêts à se remettre en question. Ils « savent » qu'ils se feront tuer (Ex 16.3; Nb 14.3) – et, finalement, il leur sera fait selon leur foi. En effet, tous ceux qui se sont eux-mêmes convaincus que Dieu les avait amenés dans ce désert pour y mourir y sont morts. Par leur manque de confiance et leur refus d'accepter les risques de l'aventure vers laquelle Dieu les envoie, les Israélites foncent tête baissée vers le destin qu'ils voulaient éviter.

Une attitude de cœur

La différence entre la plainte et le murmure provient donc d’une attitude de cœur. Dieu est prêt à entendre nos plaintes, mais il aimerait que nous les lui adressions directement. Le danger, dans l'épreuve, n'est pas d'en vouloir à Dieu, mais de lui en vouloir sans oser le lui dire. Tant que nous exprimons notre colère ou notre sentiment de trahison dans la prière, la relation reste ouverte, et Dieu peut encore nous répondre, nous surprendre. À partir du moment où nous gardons notre colère en nous, ou que nous l'exposons aux autres, mais pas à Dieu, nous nous coupons de la communication avec Dieu. Cependant, c'est justement à ce moment-là que nous aurions le plus besoin de vivre cette communication.

De plus, comme les Hébreux dans le désert, nous courrons le risque de projeter nos peurs ou nos fantaisies sur Dieu, de nous imaginer que nous sommes les jouets avec lesquel s'amuse un Dieu cruel. Ces histoires sont justement écrites pour nous mettre en garde (1Co 10.10-11) et nous montrer qu’il n’est pas anodin de laisser notre imagination s'aventurer à construire une pseudo-réalité dans laquelle Dieu ne cherche pas notre bien. En nous fermant au plan de Dieu, nous nous exposons, nous aussi, à transformer nos craintes en réalités.

Dieu le sait bien : il nous est souvent difficile de réconcilier notre expérience avec la certitude qu'il cherche notre bien. Et il accepte nos questions et nos colères avec beaucoup de patience. Par contre, Dieu désire profondément que nous partagions nos questions et frustrations avec lui. Nos passages difficiles peuvent alors devenir des occasions de croissance. Mais si nous laissons les difficultés remettre en question la confiance fondamentale dans le fait que Dieu a de bons projets pour nous, nous nous retrouvons dans la même position qu'Adam et Ève : nous doutons du projet de Dieu.

Lorsqu'une petite voix nous susurre à l'oreille que Dieu ne cherche peut-être pas notre bien, notre réaction doit être de partager ces doutes avec Dieu, de lui exprimer les raisons pour lesquelles nous n'arrivons plus à le croire. Dieu ne nous reprochera pas nos plaintes, tant qu'elles lui sont adressées ouvertement et honnêtement, en étant prêts à écouter sa réponse.

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