Une carte d’identité électronique dans son téléphone : un outil qui nous facilitera la vie, ou un pas de plus vers davantage de contrôle, de risques et de complications? En 2021, le peuple suisse avait refusé l’introduction de l’e-ID, notamment parce que la gestion devait en être confiée à des entreprises privées. Le Parlement a alors remis la question sur le métier pour proposer une nouvelle solution publique et garantie par l’État. Complément facultatif à la carte d’identité physique, cette identité électronique doit permettre de justifier son identité de manière simple et ciblée, par exemple pour indiquer son âge sans donner son nom ni sa date de naissance. Elle doit aussi permettre de faciliter l’accès à différents services de l’administration et de la vie quotidienne.
Des craintes du côté de l'UDF
Les deux partis politiques liés aux milieux évangéliques, l’UDF (Union démocratique fédérale) et le PEV (Parti évangélique), ont pris des positions divergentes sur le sujet. L’UDF craint notamment que dans les faits, le caractère facultatif de l’e-ID ne soit pas assuré et que ceux qui n’y ont pas accès ou ne le souhaitent pas soient de facto désavantagés. Il exprime de sérieuses préoccupations quant à la sécurité des données personnelles. Il estime que le principe de transparence n’est pas respecté, ouvrant ainsi la porte au risque que cette technologie échappe au contrôle démocratique.
Des bénéfices pour la population, du côté du PEV
Pour le PEV, au contraire, le fait que la Confédération soit responsable de la délivrance de l’identité numérique garantit une mise en œuvre technique claire et transparente, avec un code source des différents systèmes d’e-ID accessible publiquement. Il y voit un bénéfice réel pour la population par l’accès aux services numériques, en permettant d’éviter les files d’attente dans les bureaux de l’administration. Il y voit enfin un espoir par les perspectives qu’offre l’e-ID pour renforcer la participation politique, en permettant notamment de signer des initiatives et des référendums de manière simple et sécurisée.
La question de notre rapport aux autorités
Collaborateur scientifique de Christian Public Affairs, Michael Mutzner propose un élément de réflexion de fond, au-delà des prises de position: celle de notre degré de confiance – ou de défiance – à l’égard des autorités, qui sous-tend certains partis pris. Or, selon l’enseignement de Paul dans l’épître aux Romains, les autorités, aussi imparfaites soient-elles, sont «établies par Dieu» «pour notre bien» et pour «punir celui qui fait le mal».
Ainsi, sans avoir des attentes trop élevées, et sans nous départir de notre esprit critique, nous sommes appelés comme chrétiens à être reconnaissants pour nos autorités et à prier pour elles. Egalement à leur reconnaître cette mission de favoriser le bien et d’être un frein à la violence et à l’exploitation auxquelles une liberté et une économie sans contrôle aboutissent. Lors d’une votation, il appartient donc à chaque chrétien de peser le pour et le contre de la mesure proposée et de vérifier si elle s’inscrit dans ce rôle confié aux autorités par Dieu.
Un vrai progrès par rapport au premier projet d'e-ID
Membre d’une Église évangélique neuchâteloise, Olivier Bigler-de Mooij donne un cours sur le droit constitutionnel à la Haute École de Gestion de Neuchâtel et est particulièrement au fait des enjeux juridiques et techniques du numérique. L'avocat chrétien relève que les milieux économiques font certes pression pour mettre en place l’e-ID, mais que le Parlement a tenu compte de la votation populaire de 2021 en créant une solution basée sur du code libre, ce qui représente un véritable progrès par rapport au projet précédent.
Olivier Bigler-de Mooij ne voit pas dans ce projet de risque majeur pour la sécurité ni pour les libertés – même si les risques existent, comme avec toute technologie. En effet, l’e-ID n’est pas centralisée mais est conservée dans les téléphones des utilisateurs. Ainsi, la Confédération n’a pas d’accès à la manière dont nous utilisons l’e-ID.
Toujours plus de numérique?
Reste une question, face à la numérisation croissante, et c’est un choix de société : voulons-nous vraiment toujours plus de numérique, et pour quels avantages?Cette votation est ainsi l’occasion de nous interroger sur la numérisation accélérée des services, comme celle de l’ensemble de notre patrimoine culturel, scientifique et artistique. Cela nous offre des ouvertures majeures et des possibilités immenses d’enrichir nos connaissances. Cela simplifie également de multiples démarches.
Mais quid de notre dépendance – ou même de notre asservissement – au numérique, et plus globalement à la technique ? Les outils dont nous disposons doivent rester au service de l’humain, et l’Évangile nous rappelle sans cesse que personne ne doit être laissé de côté sur le chemin. Pour revenir aux outils numériques, très concrètement, personne ne devrait ou ne devra être obligé d’avoir un téléphone en mains – et une connexion internet – pour accéder aux services communs, payer ses courses, prendre le train… ou décliner son identité.
Les arguments des partis mentionnés se trouvent sur leurs sites internet respectifs: