Jean-Michel Rey n’en est pas à son premier coup de folie ! Il y a dix ans, à partir de rien, il créait à Nyon le SEMOLAC (Semestre de motivation de la Côte), afin de mettre au travail 5 jeunes en difficulté, puis 10… et aujourd’hui 120 ! « Mon but premier est d’insérer ces jeunes professionnellement, mais on ne peut le faire sans tenter de résoudre d’abord des problèmes sociaux, de logement ou d’argent, qui constituent pour eux l’obstacle fondamental », confie Jean-Michel.
Nouveau concept
5 à 10% des jeunes dont le SEMOLAC s’occupe, ont de graves problèmes de logement. Jean-Michel Rey a décidé d’agir avec l’aide de ses partenaires, en lançant un nouveau concept : l’achat d’une auberge communale désaffectée, sur le terrain des Cheseaux à St-Cergue, pour offrir un hébergement à ces jeunes en difficulté.
« Avec 60 à 70 de ces jeunes, nous devons réaliser des travaux d’utilité publique. Il fallait créer un gros chantier permanent, permettant d’avoir du travail varié pour un grand nombre », explique l’entrepreneur social. Depuis une année que la promesse de vente est signée, l’équipe retape les locaux et aménage le terrain. L’idée serait à terme d’offrir aussi un coup de pouce à des adultes précarisés. Le site des Cheseaux pourrait être un lieu de vie, où ils trouveraient un soutien matériel et logistique.
Une grâce particulière
Tous les jours, il y a d’énormes défis. Jean-Michel Rey sent vraiment la grâce de Dieu qui le soutient. « J’en suis tout ébranlé », nous confie-t-il. Le terrain sera acheté le 14 décembre prochain. Les ateliers ont déjà commencé à restaurer des chambres de l’auberge avec les jeunes, « et quand les trois premières chambres ont été terminées, quatre demandes d’hébergement sont arrivées ! »
Le week-end avant l’entrée des résidents, Jean-Michel et sa femme Claire sont allés préparer les chambres. Ils venaient de recevoir du matériel qu’une école hôtelière liquidait. En ouvrant les sacs reçus, ils ont trouvé des draps, des oreillers, des linges de toilette… tout était là !
Un billard et un piano sont aussi arrivés de façon tout à fait providentielle. « Les contacts échangés autour du billard ont permis de créer une ambiance entre les résidents », se réjouit l’explorateur social, comme il se définit lui-même. Les Rey ont embauché leurs enfants et des amis pour effectuer des veilles. Pour Jean-Michel, « c’est un véritable défi d’embaucher des jeunes qui ont à peu près l’âge des résidents des Cheseaux. Mais c’est une forte interpellation, pour les résidents, de voir des jeunes qui se comportent différemment. »
Quand les idées fourmillent…
La fondation a racheté un mini-golf. Le suivi en est confié aux résidents ainsi qu’aux membres du groupe de jeunes de St-Cergue. Il s’agit de vendre des entrées de mini-golf. Et l’argent récolté sert à des plans de désendettement pour les jeunes en difficulté. « Comment peut-on envisager un avenir, quand à vingt ans on se retrouve avec 20'000 francs de dettes, et ce d’autant plus que ces jeunes n’ont jamais gagné d’argent ? Pour réussir ce challenge, il faut que des gens viennent jouer au mini-golf ! » lance l’explorateur social tout enthousiaste.
Jean-Michel Rey fourmille d’idées : aménager un terrain de foot et de volley, une piste pour des voitures à pédales, un circuit de petit train, un parc pour des animaux… Il s’agit de donner une occupation valorisante et interactive à ces jeunes. Jean-Michel avait prévu d’installer de vieux wagons CFF. Dernièrement, il tombe sur une annonce des transports lausannois : « Qui adopterait la Ficelle ? » Alors sans attendre, il téléphone…
Un bout de Ficelle, s’il vous plaît !
« Ils ont cherché un repreneur dans le monde entier, auprès de collectionneurs et de musées. C’est le seul métro à crémaillère du monde ! » s’exclame Jean-Michel. « J’ai dû réadapter un peu mon projet des Cheseaux. J’ai offert aux transports publics lausannois de reprendre ce qui leur restera, sauf deux locomotives sur les trois. Il y a une forte vraisemblance qu’une rame du métro lausannois finisse à St-Cergue ! » dit Jean-Michel, le regard pétillant. « C’est difficile de dire où est ma propre folie ou bien l’inspiration divine… Où je suis ému, c’est que ce projet délirant d’un train était déjà prévu sur la maquette. Il faisait partie du concept. »
Un journaliste de « 24 Heures » a appris que Jean-Michel s’intéressait à la Ficelle. Le lendemain, l’entrepreneur social a des sueurs froides : son projet faisait les gros titres… et la municipalité de St-Cergue n’était pas encore au courant ! « Ce qui est génial, c’est que cela m’a permis d’obtenir en une semaine l’autorisation de la municipalité ! Elle est enthousiasmée par ce projet, pour les retombées touristiques et l’image de marque du village ». L’idée est de transformer les wagons en ateliers, pour en faire un train des artisans pour des personnes précarisées.
Attention ! Départ du train dans… 3 mois !
« Le métro doit quitter la ville de Lausanne en février, ce qui m’impose un timing que je n’aurais pas choisi », s’inquiète Jean-Michel. Il s’agit de négocier le métro en 3 mois, de finaliser l’achat du terrain en décembre… et d’acheter la parcelle contiguë qui vient d’être mise en vente ! Pour trouver le financement, l’entrepreneur social a fait appel à des associations et fondations… et il attend avec foi !
Jean-Michel Rey est soutenu par un groupe d’amis et par ses collaborateurs. Il est tellement dépassé par les événements qu’il peine à donner des nouvelles régulières aux Eglises. « Cette année, j’ai monté autant de projets qu’en 7 ans au SEMOLAC ! J’ai mis en place un lieu qui permettrait aux chrétiens d’être témoins, de servir… et pourtant je n’ai que peu d’échos. »
Evangéliser ?
« La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. » En relisant ce texte de l’Evangile, Jean-Michel Rey a découvert deux choses : le Seigneur sème et les anges moissonnent. Or souvent, les chrétiens se croient obligés de semer et de moissonner ! « Pourquoi y a-t-il peu d’ouvriers ? A cause d’un profil peu alléchant : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». C’est une très mauvaise annonce en terme de marketing ! Et pour ceux qui n’auraient pas encore compris, Jésus dit : « Ne prenez rien avec vous ! » Cela signifie oser vivre dans la pauvreté. Or ceci ne représente aucun intérêt pour le chrétien moyen actuel ! » conclut Jean-Michel Rey. On ne doit pas évangéliser ou convertir les gens, mais les servir. C’est peu valorisant et peu spectaculaire, mais c’est ce que Dieu nous demande. Et il saura lui-même se manifester à eux.
« Je suis réjoui de voir combien les gens ont des questions. Il y a une soif d’apprendre sur Dieu qui est incroyable. Il ne faut pas qu’on gaspille cet élan ! » Jean-Michel Rey est aussi conscient des difficultés : « Le peuple de Dieu ne peut plus se permettre de snober la détresse de l’humanité. Mais il est dans un tel désarroi qu’on ne sait pas s’il peut encore s’occuper de la détresse des autres... »
A la résidence des Cheseaux, Jean-Michel se contente de répondre aux questions. Et comme par hasard, tous ont des questions sur Dieu ! « Certains demandent :
- Vous croyez que Dieu nous entend ?
- Oui.
- Bon, mais vous croyez que par rapport à mon problème, il entend ?
- Tu veux qu’on lui dise ?
- Ouais, mais comment on fait ?
- Dis-moi ton problème, puis dis-le à Dieu !
- J’y arrive pas.
- Bon, je vais le lui dire pour toi : Dieu, tu vois, X a tel problème, tu peux t’en occuper ? Amen.
Certains reviennent vers moi tout enthousiastes de ce qui est arrivé. L’Eglise doit apprendre beaucoup sur le service, la patience, le désintérêt… et je ne suis pas tellement un bon exemple, car je retire beaucoup de mon travail ! » reconnaît Jean-Michel.
Un service d’accueil
L’ancienne auberge des Cheseaux recevra bientôt les jeunes et les familles. Un restaurant social proposera des repas de midi à tarif réduit. Un tea-room ouvrira l’après-midi. Un bar-jeunesse le soir accueillera les jeunes du village dans une atmosphère saine. Le week-end sera réservé à des activités pour les familles. « Mon rêve ? Que les Eglises adoptent cet endroit comme lieu de détente ! », conclut Jean-Michel Rey.
Anne-Catherine Piguet