Daniel Bourdanné : une voix africaine appelle à développer la compassion

vendredi 31 mars 2006

Des Eglises pleines et de la ferveur le dimanche sans conséquences le lundi matin, cela ne sert à rien... Daniel Bourdanné, invité récemment à Genève par l’Alliance évangélique, appelle à vivre un christianisme de service, d’actions concrètes et de compassion. Il porte un regard sans concession sur les Eglises d’Afrique et d’Europe. Rempli d’espérance malgré tout, il demeure convaincu de la puissance transformatrice de l’Evangile, ici en Europe comme en Afrique !

A quoi sert la ferveur africaine du dimanche si les démons de la corruption, des conflits et des génocides ressurgissent de plus belle dès le lundi? A quoi servent en Europe nos cultes et nos prières, si nos vies restent orientées par la recherche du profit maximum et si nos Eglises restent divisées? Telle est l’interpellation que nous lance Daniel Bourdanné, secrétaire des Groupes bibliques universitaires (GBU) d’Afrique francophone. Invité en Suisse en janvier dernier à l’occasion de la Semaine de prière de l’Alliance évangélique, il a prêché au culte qui rassemblait les Eglises évangéliques de Genève, rappelant au passage l’impact qu’a eue la réforme calviniste par la prise au sérieux de l’Evangile dans tous les domaines de la vie. Une conviction l’anime :  « Le message du Christ peut transformer les hommes et la société – pour autant que nous le mettions en pratique ».

Du village à l’université
Daniel Bourdanné est issu d’une famille très modeste d’un village du Tchad. Son père, pasteur et agriculteur, meurt jeune. Le garçon n’a que 10 ans. Il sera marqué par le caractère de battant de ce père. Il doit se battre pour vivre : « J’ai eu une enfance pénible. Je devais me débrouiller en cultivant les champs, en faisant un peu de bûcheronnage et du jardinage pour produire des légumes que ma mère m’aidait à vendre... »
De nature curieuse, le jeune homme veut à tout prix entreprendre des études. Mais le pays connaît une guerre terrible. Il faut attendre... Le garçon cultive les champs et donne des cours de biologie pour aider d’autres jeunes. Au bout de deux ans, il obtient une bourse et entreprend des études d’écologie animale  - avec une thèse sur les mille-pattes ! - puis il étudie la philosophie et fait encore 3 ans de psychopédagogie. Pourquoi pas la théologie ? « Je n’ai pas voulu m’inscrire dans une institution théologique formelle. » Il lui semblait important d’approfondir d’abord la manière d’aborder les grandes questions. Il voulait pouvoir étudier la théologie par lui-même, sans être enfermé dans un système quelconque.

Je crois à un avenir pour ce continent
Daniel Bourdanné est préoccupé par cette Afrique qui peine tant à s’en sortir. «C’est d’abord une question de mentalité, relève-t-il. La vision du monde traditionnelle laisse peu de place à l’émergence de l’individu.  Nous faisons souvent l’expérience d’être reconnus pour notre compétence dans un domaine en Occident, alors qu’en Afrique il est très difficile d’émerger. »  La mentalité de cueillette qui marque encore nombre d’Africains constitue aussi un frein à des changements. « Il nous faut donc parvenir à une autre vision du monde qui permette le développement. »
Daniel Bourdanné aime rappeler qu’il y a un peu plus d’un demi-siècle, des contrées entières d’Europe n’avaient pas d’électricité ou qu’il y a 30 ans, on n’avait pas beaucoup d’espoir pour la Chine. Malgré tout, il reste optimiste : «Aujourd’hui, l’Afrique donne l’impression de ne pas s’en sortir. Il y a des pesanteurs réelles. Mais je crois à un avenir pour ce continent. Je crois à la grâce de Dieu. L’histoire nous montre que les centres se déplacent ».

La grâce de Dieu... et la responsabilité des Eglises
Pour parvenir à de véritables changements, la théologie évangélique doit aussi connaître une transformation. « Il s’agit de revisiter nos manières de voir pour que le mandat créationnel soit véritablement intégré dans notre engagement aujourd’hui. » Pour Daniel Bourdanné, la question fondamentale sur laquelle doivent se prononcer aujourd’hui les évangéliques du Nord comme du Sud, c’est de savoir si notre responsabilité sociale reste marginale et s’ajoute simplement aux activités religieuses, ou si nous y voyons une véritable interpellation du Seigneur.
Son constat est sévère sur les lacunes du christianisme africain. « Nous avons l’Ecriture entre nos mains. Qu’en faisons-nous? La déforestation se poursuit à un rythme effrayant et on ne plante que peu d’arbres autour des stations missionnaires ! »  Pour Daniel Bourdanné, de telles questions ne sont que rarement abordées dans les publications évangéliques. Il a l’impression qu’un accent trop fort a été mis sur une forme de spiritualité. Ce qui place le chrétien dans les nuages sans que ses pieds soient accrochés au sol.
Daniel Bourdanné est particulièrement sévère envers la « théologie de la prospérité », un courant influent dans beaucoup d’Eglises africaines qui prêche le succès facile. « Dans l’Evangile, l’accent est mis sur les valeurs de service, en opposition aux désirs de domination, de violence ou à la volonté de posséder. «  J’appartiens à la deuxième génération de chrétiens dans mon village et je me souviens des souffrances des premiers chrétiens dont mon père me parlait. Quel contraste avec cette « théologie de la prospérité » qui marque nos Eglises aujourd’hui ! »
Les GBU abordent régulièrement ces questions. « Mais l’impact est encore insuffisant. La population estudiantine est réduite et il faudrait toucher au-delà de ces cercles ! »

Les Eglises d’Europe sont une force
A quoi nos Eglises d’Europe sont-elles appelées? Daniel Bourdanné estime qu’elles sont une force et peuvent contribuer à deux niveaux au développement dans le Sud : par leur engagement en Europe et par le partenariat dans le Sud. « Les Eglises européennes doivent s’impliquer dans les débats économiques autour de grandes institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale. C’est une lutte pour une autre manière de gérer l’économie mondiale, une lutte qui prenne réellement compte des conséquences dans le Sud de certains choix économiques. » Une décision prise à New York ou à Bruxelles a souvent un impact immédiat sur les petits et les faibles des pays du Sud. « La baisse de quelques francs du prix à la tonne d’un produit comme le cacao peut priver des populations entières de Côte-d’Ivoire de la possibilité de se soigner ou de scolariser normalement leurs enfants », relève-t-il.
Pour Daniel Bourdanné, ce militantisme revêt une dimension missionnaire importante. « Nos actes parlent plus que nos paroles, constate le responsable des GBU. Il faut que les victimes de l’injustice voient l’engagement des chrétiens occidentaux dans ce domaine. »

Développer un partenariat d’Eglise à Eglise
Daniel Bourdanné insiste aussi sur le développement de capacités dans les pays du Sud. Il rêve que des responsables évangéliques se rassemblent autour d’une table pour réfléchir à la manière de renforcer les capacités et de développer le monde associatif, afin que les gens puissent prendre en mains leur destinée. « Il faut pour cela développer des partenariats d’Eglise à Eglise, en évitant le piège d’un partenariat uniquement financier. Chaque partie doit pouvoir contribuer, même sans argent. Des échanges bien préparés, bien organisés, permettent de créer une dynamique. Par exemple : des jeunes qui rencontrent d’autres jeunes et passent du temps ensemble, des pasteurs qui vont servir dans une autre paroisse pour une courte durée – et cela dans les deux sens! »
Daniel Bourdanné se réjouit du lancement de « Stop pauvreté 2015 », dans le cadre du Défi Michée. Il invite les chrétiens évangéliques de Suisse romande à s’y engager résolument. Il attend de nous un christianisme de compassion, engagé socio-politiquement et en partenariat avec les chrétiens du Sud. « Il y va de la crédibilité de la foi évangélique! »

Silvain Dupertuis

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