L’apologétique a le vent en poupe ! La défense de la pertinence de la foi en Dieu et en son Fils, Jésus-Christ, au XXIe siècle connaît un regain d’intérêt dans les milieux évangéliques francophones. Pour preuve : la publication ces dernières années de plusieurs livres sur le sujet. Pour n’en citer que deux : Croire, expliquer, vivre. Introduction à l’apologétique de Yannick Imbert, professeur à la Faculté Jean Calvin à Aix-en-Provence (1), et La raison est pour Dieu. La foi à l’ère du scepticisme de Tim Keller (2), un fameux pasteur new-yorkais, qui ne rechigne pas à montrer la pertinence de la foi évangélique devant des auditoires des plus exigeants (3).
Encourager chacun à travailler son apologétique
Dans ce contexte, Henri Blocher, professeur retraité de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE), publie un petit ouvrage La foi et la raison (4), fruit d’un parcours conduit dans le cadre de l’Eglise évangélique baptiste du Tabernacle à Paris. Son but : encourager chaque chrétien à travailler son apologétique dans la ligne de l’invitation de la première épître de Pierre : « Soyez toujours prêts à présenter votre défense devant quiconque vous demande de rendre compte de l’espérance qui est en vous… » (1P 3.15-16). Et cela pour trois raisons. Tout d’abord, parce qu’il s’agit de permettre à nos contemporains d’endosser ou non la foi chrétienne en toute connaissance de cause. Ensuite, il y a dans la démarche apologétique une preuve d’amour à l’endroit du prochain. On entre dans le système de pensée d’autrui, on y fait naître des ouvertures à la foi… Voilà une manière de « concrétiser l’amour de Dieu », s’exclame le professeur de théologie. Troisièmement, il s’agit par l’argumentaire mis en place de « rendre gloire à Dieu », en débusquant les idoles et les mécompréhensions qui empêchent tout être humain d’honorer véritablement le Seigneur. L’apologétique fait donc partie de la mission de l’Eglise. Il s’agit, selon les termes de Henri Blocher, de sa « mission apolo » !
La foi et la raison sont complémentaires
Dans le débat autour du rôle de la foi et de la raison, Henri Blocher propose d’éviter deux écueils : d’un côté, faire de la raison le seul chemin qui conduise à Dieu et, de l’autre, refuser toute recherche d’un fondement rationnel pour la foi. Par un parcours biblique, le professeur de Vaux-sur-Seine pose des jalons pour une perception chrétienne de la raison. Neuf fois sur dix, la Bible parle favorablement de la raison. Elle se montre particulièrement critique à son endroit lorsqu’elle parle des « sages de ce monde », mais, la plupart du temps, elle associe de manière décontractée foi et raison. Cette attitude contraste avec celle de nombre de contemporains qui font un usage intense de leur raison dans la vie pratique, au point d’en être fatigués, puis tombent dans le refus de son usage – l’irrationalisme – dès qu’il s’agit de parler de convictions et de foi chrétienne.
Dans une perspective biblique, considérer que la raison est autonome est une illusion ruineuse. En fait l’organe de la pensée dans la Bible, c’est le « cœur ». « Cette donnée est importante, explique Henri Blocher, du fait que le cœur n’est pas que le siège de l’intelligence : il est aussi l’organe de la volonté, et les sentiments y jouent un rôle. » Cette inscription de la raison dans un cadre plus large montre que toute démarche rationnelle est toujours située dans la subjectivité de celui qui réfléchit et dans une culture particulière. Outre cette dimension toujours située de la raison, la Bible souligne que notre intelligence est obscurcie : elle ne parvient pas à comprendre les choses de Dieu. Enfin, pour que la raison pense droitement, il importe que Dieu lui donne une orientation particulière : « La crainte du Seigneur est le principe de la sagesse » (Pr 1.7) !
La raison, c’est un moulin !
Pour illustrer cela, Henri Blocher recourt à l’image d’un moulin. « La raison est comme un moulin qui ne peut moudre que si on lui donne du grain à moudre : il lui faut des présupposés pour pouvoir fonctionner et pour que quelque chose en sorte » (p. 36).
A partir de cette perception d’une raison ouverte à la réalité de Dieu et d’une foi accueillante par rapport à toute démarche rationnelle, Henri Blocher passe en revue trois thèmes qui lui paraissent importants pour la défense de la foi évangélique aujourd’hui : « On fait dire à la Bible ce que l’on veut ! », « La démarche scientifique s’oppose à celle de la foi » et « Les résultats de la recherche scientifique montrent la Bible en erreur ».
Serge Carrel
Notes
1 Yannick Imbert, Croire, expliquer, vivre. Introduction à l’apologétique, Charols, Excelsis, 2014, 336 p. Voir aussi sa contribution dans : Chr. Paya et N. Farelly (dir.), La foi chrétienne et les défis du monde contemporain. Repères apologétiques, Charols, Excelsis, 2013, p. 3-12.
2 Tim Keller, La raison est pour Dieu. La foi à l’ère du scepticisme, Lyon, Clé, 20142, 320 p.
3 Pour une présentation des différents types d’apologétique, voir Lydia Jaeger, « Apologétique », dans : Chr. Paya (dir.), Dictionnaire de théologie pratique, Charols, Excelsis, 2011, p. 80-89.
4 Henri Blocher, La foi et la raison, Charols, Excelsis, 2015, 144 p.