«Henri Blocher et la notion de sacrement» par Serge Carrel

jeudi 18 septembre 2025

Il vient de publier plus de 650 pages sur l’Eglise. A 87 ans, Henri Blocher, théologien évangélique de renommée internationale, présente le travail de sa vie et explique pourquoi il utilise le terme de « sacrement » pour parler du baptême et de la cène. Rencontre (Cet article est paru dans la livraison de juillet-août du journal Vivre).

« La réflexion autour du baptême et de la cène a été un sujet qui m’a accompagné toute ma vie. » Henri Blocher vient de publier les deux tomes, longtemps attendus, d’un ouvrage intitulé « La doctrine de l’Eglise et des sacrements » (1). Il y parcourt ce que l’on appelle en langage technique l’ecclésiologie (la conception de l’Eglise), les sacrements (baptême et cène), puis en final la question des ministères.

 

Le travail d’une vie

Auteur de nombreux ouvrages qui font date et qui répondaient à des attentes extérieures : « Révélation des origines », « Le mal et la croix », « L’espérance chrétienne », l’ancien professeur de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (F) publie une contribution majeure dans un domaine qu’il a travaillé sa vie durant et où il a l’impression que la réflexion évangélique a quelque chose de spécifique à apporter au concert des différentes approches théologiques. Avec ces deux tomes en lien avec le sujet de l’Eglise, il inscrit ces deux ouvrages dans la collection Didaskalia publiée par Edifac et qui font office de manuels de cours (2).

Avec « La doctrine de l’Eglise et des sacrements », Henri Blocher propose à chaque fois le point de vue de l’Eglise catholique, des réformés et des Eglises de professants. Comme toujours avec ce théologien évangélique, on fait face à une multitude de références bibliques, historiques et théologiques, mais son propos demeure très accessible. Valorisant l’originalité des Eglises de professants, cette publication constitue un incontournable pour toute personne qui souhaite approfondir ses convictions évangéliques dans le domaine.

 

Une perspective professante et « baptistique »

Membre d’une Eglise baptiste à Paris, Henri Blocher développe sa vision du baptême et de la cène à partir de cet ancrage ecclésial, ce qui l’entraîne à plaider pour une vision qu’il appelle « baptistique » des sacrements. Il renonce au vocable « professant », puisqu’il y a en francophonie des Eglises de professants qui pratiquent le baptême des enfants.

Pour parler du baptême et de la cène, Henri Blocher recourt au terme « sacrements ». « Ce mot résonne aux oreilles des francophones comme catholique ou catholicisant, mais il est utilisé dans les autres branches de la chrétienté, explique le professeur de théologie systématique. Le christianisme réformé l’utilise pour caractériser le baptême et la cène. Au début de la tradition baptiste, au XVIIe siècle, on parlait aussi de sacrements pour caractériser le baptême et la cène. » Au fil du temps, par souci de fidélité à la Bible ou par anticatholicisme, les théologiens de cette « tierce conception » ont voulu éviter ce terme. Certains ont eu recours au mot « ordonnance », mais ce mot est tellement vague et renvoie dans le monde francophone à la prescription d’un médecin à son patient qu’il paraît souhaitable d’y renoncer et de préférer « sacrement ». Et ce d’autant plus qu’en latin, avant son usage chrétien, le mot « sacramentum » signifiait « serment d’allégeance du soldat à l’empereur ». Le gouverneur de Bithynie, Pline le Jeune, indique, dans une lettre où il interroge l’empereur Trajan sur le sort à réserver aux disciples de Jésus, que ceux-ci prononcent une sorte de « sacramentum », de serment, afin de ne pas commettre de vol, de brigandage, d’adultère…

 

D’abord réponse humaine

Pour Henri Blocher, il y a pour la perspective « baptistique » deux sacrements, tous deux étant avant tout réponse humaine et « acte de confession par le corps ». « Au travers du baptême, détaille-t-il, on exprime son allégeance à Jésus-Christ et au travers de la cène, on renouvelle cette dynamique d’alliance. » Pour le théologien de Vaux-sur-Seine, il y a trois critères qui permettent d’indiquer si un « rite » néotestamentaire est un sacrement. Du point de vue de la forme, baptême et cène étaient pratiqués par l’Eglise du Ier siècle. Du point de vue de l’origine, tous deux sont ordonnés par Jésus lui-même. Enfin, baptême et cène renvoient les deux à la mort de Jésus et indiquent ce à quoi le chrétien participe au travers de ces sacrements.

Les autres propositions rituelles que mentionne le Nouveau Testament comme l’imposition des mains, l’onction d’huile ou la présentation d’enfants ne sont pas demandées par Jésus et ressortissent plutôt d’une manière particulière de prier pour une personne.

Pour le lavement des pieds, Henri Blocher ne considère pas cet acte symbolique comme un sacrement, parce que Jésus ne demande pas de refaire la même chose, mais de suivre son exemple (Jean 13.15). Donc d’entrer dans une vie de disciple qui mette au coeur du quotidien la dimension de service. La mention du lavement des pieds comme critère des veuves reconnues par la communauté dans la première lettre à Timothée (1 Tm 5.10) indique bien que, si ce geste avait été un rite régulier, il aurait été pratiqué par l’ensemble de la communauté. Par conséquent, il n’aurait pas été un critère de reconnaissance des « vraies veuves ».

 

Le sacrement ne produit pas la grâce

Le modèle « baptistique » développé par Henri Blocher diffère du modèle catholique qui propose au chrétien sept sacrements. « C’est après bien des tâtonnements, seulement au deuxième millénaire, que l’Eglise catholique est arrivée à ce « septénaire sacramentel ». Même si l’Eglise catholique reconnaît sept sacrements, il n’empêche que baptême et cène sont considérés comme les deux sacrements majeurs. » Autre différence entre l’Eglise catholique et la perspective des Eglises de professants, les sacrements ne produisent pas la grâce. « Le sacrement n’a pas d’efficacité propre, ajoute Henri Blocher. Il faut la foi, et dans une perspective « baptistique », le sacrement est l’occasion pour le chrétien d’exprimer sa foi. »

Avec les Eglises réformées, le modèle « baptistique » s’accorde sur le nombre des sacrements, mais il diffère sur un point majeur. Les sacrements ne sont pas là d’abord pour proclamer la grâce ou, selon la formule habituelle, pour être des « paroles visibles », comme le souligne régulièrement Jean Calvin dans ses écrits. « Il y a là une tension mal résolue dans ce modèle, ajoute Henri Blocher. Si les sacrements sont une parole visible qui joue le même rôle que la prédication, pourquoi aurions-nous besoin des sacrements et pourquoi sont-ils si importants dans le Nouveau Testament ? » Pour Henri Blocher, le propre des sacrements, c’est d’être une confession de foi qui répond à la proclamation de la grâce. « Calvin inclut même cette fonction, à titre second, dans sa définition des sacrements – mais il n'en fait pas ensuite grand-chose – gêné, peut-être, par sa défense du baptême des nourrissons. Personnellement, je suggère de mettre la dimension d’expression ou de confession de la foi en premier, comme le souligne 1 Pierre 3.21 en parlant du baptême comme de l’engagement d’une bonne conscience envers Dieu. La confession proclame la grâce, et, à partir de là, ce que dit Calvin trouve aussi sa place – sans être le trait spécifique qui distingue les sacrements. »

 

Les richesses du modèle « baptistique »

Contrairement à ce que beaucoup pensent, la conception « baptistique » des sacrements renferme de grandes richesses. Selon le professeur de Vaux-sur-Seine, le baptême intervient comme premier acte d’obéissance au Seigneur. Il sera suivi par d’autres qui seront autant de réponses reconnaissantes, dans le domaine éthique notamment. Baptême et cène témoignent aussi de l’engagement du corps dans l’histoire du salut. En se faisant baptiser et en prenant la cène, le disciple de Jésus indique qu’il sert le Christ avec son corps tout entier, ce corps mortel devenu instrument de justice. Troisièmement, la dimension corporelle du sacrement renvoie à la réalité du corps social qu’est l’Eglise : le baptême peut être considéré comme un rite d’agrégation à l’Eglise et le repas du Seigneur comme le rite communautaire par excellence. « Il est aussi très intéressant de souligner le lien des sacrements à l’espérance, conclut Henri Blocher. Cet engagement du corps dans le chemin du Seigneur est une anticipation de la résurrection. Notre corps n’est pas encore au bénéfice de la rédemption, mais il est promis à la vie éternelle. Avec le baptême, nous disposons d’un signe qui annonce en quelque sorte l’objet de notre espérance : cette résurrection du corps à venir ; et avec la cène nous témoignons du repas messianique attendu « jusqu’à ce qu’il vienne ». »

Serge Carrel

 

Notes

1 Henri Blocher, La doctrine de l’Eglise et des sacrements, tome 1 et 2, Collection Didaskalia, Vaux-sur-Seine, Edifac, 2022 et 2024, 312 p. et 366 p.
2 Les autres ouvrages d’Henri Blocher dans cette collection : La doctrine du Christ (réimpression en 2025) et La doctrine du péché et de la rédemption (réimpression 2025).

  • Encadré 1:

    En bref

    Henri Blocher est professeur émérite et doyen honoraire de la Faculté libre de théologie de Vaux-sur-Seine (F). Il a également enseigné au Wheaton College, une université évangélique aux Etats-Unis, de 2003 à 2008. Il est l’auteur de nombreux livres et articles qui ont marqué le monde de la théologie au plan francophone et international.

    Henri Blocher est le né le 3 septembre 1937 aux Pays-Bas.

Publicité

Journal Vivre

Agenda

Événements suivants

Please publish modules in offcanvas position.