« Le fondateur de l’Etat américain de Rhode Island, l’Anglais Roger Williams, était un exclusiviste religieux. Ce chrétien convaincu a été le fondateur du premier Etat où prévalait la liberté de conscience et le pluralisme politique ! » Le jeudi 11 juin, lors de sa troisième conférence à l’Aula magna de l’Université de Fribourg, le théologien et professeur à l’Université de Yale, Miroslav Volf, a apporté un cruel démenti à tous ceux qui, dans notre société, pensent que des convictions fortes en matière religieuse entraînent de l’intolérance et de l’extrémisme du point de vue politique. La preuve : le premier Etat au monde qui a instauré la liberté de conscience, la démocratie et la séparation du religieux et du politique a été fondé par un chrétien exclusiviste, le baptiste Roger Williams, en 1636, à Providence aux Etats-Unis.
Deux impasses : le monopole et l’exclusion
Trop longtemps nos sociétés ont usé du religieux pour légitimer l’Etat et donner à une seule conviction religieuse le monopole de l’espace public. Ce fut le cas – et c’est encore le cas de manière atténuée dans des cantons comme Vaud, Berne ou Fribourg ! – dans nos sociétés européennes, qui bannirent les divergences d’opinion en excluant ou en marginalisant les individus qui les incarnaient. A l’heure du pluralisme religieux globalisé du XXIe siècle, une telle voie est une impasse pour gérer les relations entre religieux et politique.
Pour faire face à ces croyants exclusivistes que l’on ne trouve pas uniquement dans le christianisme, mais aussi dans l’islam, l’hindouisme et le bouddhisme – selon Miroslav Volf, approximativement 2,5 milliards de personnes sur la planète seraient des croyants exclusivistes ! –, nombre de responsables politiques occidentaux ne voient qu’une solution : exclure la foi de l’espace public. Par crainte de voir les religions entraîner conflits et chaos, il s’agit d’utiliser les instruments de l’Etat pour maîtriser et dominer le religieux. Faut-il, comme Jean-Jacques Rousseau le souhaitait dans son Contrat social, vraiment exclure les croyants exclusivistes de l’espace public ? « Ces croyants seraient alors confinés dans l’espace privé et ne pourraient pas déployer leur discours et leurs convictions en public. Ce qui serait dommageable ! » a déploré Miroslav Volf.
Donner du temps au temps
Certains sociologues de la religion, comme l’Américain Peter Berger, font confiance au travail du temps. « La mondialisation éroderait, selon eux, l’exclusivisme religieux en faveur de mentalités davantage pluralistes », a relevé Miroslav Volf. Il y aurait une sorte de « contamination cognitive » qui ferait douter de la pertinence de sa propre vision du monde. Au professeur de l’Université de Yale de constater que, dans la réalité, les choses se passent différemment : tous les croyants exclusivistes ne parviennent pas au pluralisme religieux. La cohabitation de représentants de différentes convictions religieuses entraîne même souvent le renforcement de l’engagement de chacun dans sa propre foi.
Le fait que le premier Etat dont la constitution a pleinement intégré le respect de la liberté de conscience soit l’œuvre d’un chrétien exclusiviste, amène, selon Miroslav Volf, des perspectives nouvelles. Aux Etats-Unis, la fondation de la ville de Providence en 1636, puis de l’Etat de Rode Island quelques années plus tard par le baptiste Roger Williams, atteste du fait que la séparation stricte de la religion et de l’Etat peut être l’œuvre de chrétiens convaincus. La constitution de cette « colonie » a instauré que la liberté de conscience valait pour tous, y compris « les papistes, les protestants, les juifs et les turcs » ! Tout cela parce que cette liberté de conscience se trouve dans la Bible. Pour Roger Williams, à aucun moment la foi ne peut être imposée à qui que ce soit. Elle est le fruit d’une décision personnelle, prise en toute liberté. De plus, Dieu ne force personne à croire. Il fait preuve de miséricorde aussi bien à l’endroit des justes que des injustes, comme le soulignent les Paraboles du Royaume de Matthieu 13 !
« Dieu est offensé par toute forme de contrainte en matière religieuse ! »
En prenant au sérieux la formule de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22.21), Roger Williams a marqué une rupture avec une valorisation de l’Ancien Testament où religion et politique sont étroitement liés, comme dans la loi de Moïse. Contrairement à ce que les Puritains américains de son temps préconisaient, il a mis en avant le fait que l’amour de Dieu pour les pécheurs et l’amour que Jésus invite à pratiquer à l’endroit du prochain a des conséquences politiques qui entraînent l’égalité de traitement entre tous, croyants et incroyants, dans la société civile. « Roger Williams croyait à la Bible de manière absolue et il a affirmé avec force : ‘Dieu est offensé par toute forme de contrainte en matière religieuse’ », a lancé Miroslav Volf.
Le professeur de Yale a conclu sa conférence en affirmant son espoir que « toutes les religions mondialisées aient les ressources suffisantes pour promouvoir le pluralisme politique et ne pas oppresser les croyants d’autres convictions, les agnostiques et les athées ! »
Serge Carrel
Pour aller plus loin : Miroslav Volf, A Public Faith. How Followers of Christ Should Serve the Common Good, Grand Rapids, Brazos Press, 2011, 174 p.