Ils arrivent au fur et à mesure qu’Alexandre Oehen nourrit le feu de l’abri de la plage de la Dulive, sur la Côte lémanique. La pandémie permet un maximum de 15 personnes et les participants ont dû s’inscrire. L’un d’entre eux vient pour la première fois, d’autres sont des habitués. Vers 19h, le quadragénaire rappelle les trois valeurs fondamentales de ces moments, soit les 3 C : « C comme Christ, qui est ici le big boss, on se réunit en son nom », dit-il. Puis C comme confidentialité. Et enfin C pour convivialité. Ces « soirées feu », comme elles s’appellent, puisqu’un feu est à chaque fois allumé, sont l’un des exemples de ce qui existe en termes de rencontres masculines en Suisse romande. Elles sont très typées confessionnelles, contrairement à d’autres. « Je prie pour qu’il y ait ce soir des éléments de restauration, de résurrection, pour chacun d’entre vous, pour vos vies, vos couples, vos enfants, et les prochaines générations, déclare d’emblée Alexandre Oehen. Et aussi pour tous vos projets. »
Qui on est, ce qu’on fait, ce qu’on vit
Debout, en rond autour du feu, chacun se présente. Sans doute le plus âgé du groupe, Philippe Corthay déclare être l’un des fondateurs du For’hommes, créé en 1989. Il donne tout de suite le ton : « J’aime ces « soirées feu », car elles nous permettent de prendre de la distance par rapport à qui on est, ce qu’on fait, ce qu’on vit. Je trouve que c’est un appel aussi à être vrai et je me réjouis de voir ces soirées se développer. Parce que les hommes ont besoin de se retrouver entre eux, et que les communautés ecclésiales ne sont pas tellement organisées dans cette perspective-là. Je crois à cette nécessité de rencontres, parce que les défis auxquels les hommes sont confrontés et qu’ils ont souvent de la peine à partager sont très importants et de plus en plus défiants. » A ses côtés, Pierre-Alain déclare ensuite venir pour se ressourcer. Puis Richard parle de sa solitude en tant que chef d’entreprise et se réjouit des discussions possibles autour de décisions professionnelles à prendre.
« Un pour tous… »
Ce soir-là, des discussions par petits groupes sont prévues. Alexandre Oehen explique : « On a créé ces soirées suite à un week-end « caractère » organisé en 2016 par les 4M, un mouvement européen dont le but est de « taper dans le physique » par des marches éprouvantes. On marchait et on discutait de questions de fond comme « c’est quoi les priorités de la vie ? », « quelle est notre relation à Dieu ? », « c’est quoi être un père ou un mari ? »… Et « c’est quoi, un homme ? » ! 4M signifie 4 Mousquetaires, précise-t-il, en ajoutant que le « Un » de « Un pour tous, tous pour un » est bien entendu Jésus-Christ et « qu’on est là pour le servir ». Pour l’organisateur, être un homme est donc être un guerrier spirituel. « Mais sans être violent : cela signifie proclamer des choses, prier pour les gens qu’on aime et avoir une relation avec son Créateur. » Deux ans plus tard, « et après avoir appris la vulnérabilité en nous retrouvant régulièrement à 6 un an, des « soirées feu » se sont ouvertes toutes les 6 semaines. » Interdénominationnelles, elles se veulent ouvertes à tous. « C’est précieux de pouvoir ouvrir son cœur et de pleurer comme n’importe quel être humain », souligne encore Alexander Oehen, pour qui les larmes sont le meilleur moyen de rééquilibrer ses émotions.
Être un homme : avant tout une question
Dans son cabinet lausannois, le psychiatre et psychothérapeute Alexis Burger indique organiser depuis une quinzaine d’années des séjours dans le désert à l’adresse des hommes. « Je ne sais pas si ce genre d’événements sont plus nombreux qu’auparavant, mais ils sont plus visibles, beaucoup mieux perçus et font plus de sens aujourd’hui, estime-t-il. Car on ne sait plus très bien ce que c’est « être un homme » aujourd’hui. » Cela a pu signifier avoir un bon salaire, une voiture, assurer le revenu de la famille… Mais ce n’est plus vraiment le cas : ces choses ne sont plus genrées actuellement. Et par rapport à un féminisme qui s’affiche de plu en plus dans l’espace public, l’homme serait-il déboussolé ? « Oui, sans doute en partie, répond le thérapeute. Mais c’est bon, d’être secoué dans ses rigidités. » Et en allant plus loin dans ce qui les bouscule, les hommes ont besoin de soutien, de rencontrer des pairs pour guérir ce qui doit l’être, trouver de nouvelles façons de vivre leurs valeurs. « Et ensuite, on revient dans la mixité ! »
Alors qu’est-ce que c’est, être un homme ? Pour Alexis Burger, c’est avant tout une question. « Et ce qu’il y a de fantastique dans notre époque, c’est que l’on peut se la poser. »
Gabrielle Desarzens