Pour Pierre Bühler, toute la loi sur les étrangers devrait être révisée : « Elle est trop dure, trop extrême. Et je pense que la Suisse est en train de durcir constamment sa politique d’asile et de migration, en lien avec l’Europe. Tenez : on a pu voir un policier grec repousser des bateaux de réfugiés au lieu de les laisser accoster : je crois que c’est un acte très symbolique de ce que fait l’Europe actuellement et la Suisse participe à cet effort-là. » Selon le théologien, la question de l’asile est un lieu de mise à l’épreuve des convictions éthiques. « Il y a aussi eu des tirs à balles réelles pour faire fuir des personnes. Et puis les migrants dans les camps ont la gale, on leur donne de la nourriture avariée... l’Europe est en train de se vendre du point de vue de ses valeurs, elle qui était le berceau des déclarations des droits humains. Cela me met en colère. »
« Il faudra encore se battre »
L’acquittement de Norbert Valley est ainsi une victoire, mais pas complète. « Ce qui me laisse dubitatif, c’est que le juge a dit que c’est parce que je n’avais pas suffisamment aidé mon ami qu’il pouvait prononcer l’acquittement, a d’ailleurs réagi d’emblée Norbert Valley dès l’annonce de son acquittement. Cela veut dire que cela ne résout pas le problème de tous les autres aidants, et cela veut dire qu’il faudra se battre encore pour que la loi change. » Le juge a en effet utilisé sa marge d’interprétation concernant la loi sur les étrangers pour estimer que le pasteur n’avait fourni qu’une aide ponctuelle et discontinue à l’homme togolais dont la demande d’asile avait été rejetée et qui séjournait par conséquent illégalement en Suisse. Norbert Valley lui avait donné la clé de l’Eglise évangélique du Locle, pour qu’il puisse au besoin y dormir et manger les denrées gardées au réfrigérateur.
Commerce de la misère humaine
Pour Claude Ruey, ancien conseiller d’Etat vaudois et, comme Pierre Bühler l’un des témoins de la défense, l’acquittement prononcé est quand même « une reconnaissance du fait que Norbert Valley a agi de manière tout-à-fait désintéressée en appliquant ses valeurs ; c’est la reconnaissance que l’aide d’urgence à des personnes en détresse n’est pas punissable en tant que telle, parce que c’est une aide d’urgence justement, donc une aide ponctuelle. Cela ne change pas la loi qui n’accepte pas l’aide plus longue, comme l’a dit le président du Tribunal. Donc c’est une demi-victoire, si je puis dire. Maintenant c’est au niveau politique qu’on devrait pouvoir aller plus loin. » Quant à Olivier Bigler, l’avocat de Norbert Valley, l’enjeu de cette affaire était en effet de dire qu’une aide désintéressée et sporadique ne tombe pas sous le coup de l’article 116 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI). « J’espère maintenant que les organes de répression, ceux qui veillent au respect de la loi concentrent leurs efforts sur les passeurs, les trafiquants d’êtres humains et les employeurs au noir qui, eux, font commerce de la misère humaine. »
Se souvenir de l’Histoire
Etait aussi présente à cette audience Anni Lanz, la septuagénaire bâloise ancienne secrétaire générale de Solidarité sans frontières, jugée elle aussi pour un délit de solidarité en 2018, mais qui, contrairement à Norbert Valley, a été reconnue coupable pour avoir ramené en Suisse un demandeur d’asile expulsé, et qui attend encore le résultat de son recours au Tribunal fédéral. « Pendant la deuxième guerre mondiale, il y avait beaucoup de gens qui soutenaient des personnes contre les lois en place. Et nous sommes aujourd’hui très contents qu’ils aient aidés ces réfugiés à entrer en Suisse. On pourrait se souvenir de l’Histoire ! Et nous souvenir que c’est pour cela que nous avons élaboré les Droits humains : pour empêcher des choses qui ne sont pas justifiables », a-t-elle exprimé.
Gabrielle Desarzens