« Je suis triste, déçu, désolé d’avoir publié ce livre. » Directeur de la Société biblique de Genève qui a traduit Taming The Tiger en français, Jean-Pierre Bezin précise avoir arrêté la diffusion de L’œil du tigre en avril dernier déjà, quand le livre a commencé à faire l’objet d’une enquête en Angleterre. Une semaine après les conclusions de celle-ci, dont les membres ont été nommés par l’Alliance évangélique de Grande-Bretagne (AE), il parle d’une « manipulation à laquelle on a prêté la main » ; non sans souligner que le ministère d’évangélisation Avanti fondé en 2003 par Tony Anthony et qui le soutenait dans son travail a mis la clé sous le paillasson en 24 heures.
Plagiat et mensonges
Il y a longtemps que l’on reproche au témoignage de Tony Anthony de ne pouvoir prouver ses victoires à des compétitions de Kung Fu ; encore moins ses titres de champion du monde par trois fois. Un examen minutieux du texte du livre révèle en outre que beaucoup de passages détaillant les techniques de cet art martial ont été plagiés d’un site web, et qu’un passage est même tiré d’un livre sur Bruce Lee.
En France voisine, le pasteur et aumônier de prison David Buick a mené avec plusieurs autres chrétiens des recherches intensives sur Tony Anthony et livré ses conclusions à la Commission d’enquête officielle. Ce qui lui a mis la puce à l’oreille : notamment la remarque d’un collègue aumônier qui lui avait dit à son propos que les détenus n'ont pas besoin d'un témoignage exotique, mais d'une expérience qui est proche de leur réalité. « Mais lorsque j'ai eu confirmation de la véritable date de naissance de Tony Anthony, son histoire ne tenait plus debout. Le plus difficile a été d'en faire la démonstration systématique », commente-t-il.
Au fil des pages de L’œil du tigre, Tony Anthony affirme avoir travaillé comme garde du corps d’élite pour « plusieurs clients riches et puissants » avant de devenir l’homme de main et agent de protection rapproché de l’Ambassadeur d’Arabie saoudite à Londres Amin Fahed. Il n’y a cependant aucune trace d’un diplomate saoudien de ce nom et, à l’époque, l’ambassadeur saoudien à Londres était Sheikh Nasser Almanqour.
Sa date de naissance, un élément clé
Mais l’histoire de Tony Anthony a vraiment volé en éclats lorsque les enquêteurs ont découvert sa véritable identité : il est né Andonis Andreou Athanasiou le 30 juillet 1971 dans le University College Hospital à Londres. Si Tony Anthony a maintenant confirmé qu’il s’agit là de sa véritable identité, il n’a pu encore expliquer comment il aurait mené des équipes de sécurité de cinq hommes, s’engager dans des courses-poursuites armées style James Bond dans les rues de Riyad... alors qu’il ne pouvait avoir qu’entre 13 ou 14 ans et 16 ou 17 ans maximum selon les différentes éditions du livre.
Les enquêteurs ont de surcroît découvert que Tony Anthony n’a pu être emmené en Chine par son grand-père « maître de Kung Fu » à l’âge de 4 ans, ne serait-ce que parce que celui-ci est décédé 7 ans avant sa naissance!
Plus grave : Tony Anthony explique à la fin de son livre que, quelques années après son retour au Royaume Uni, il a été condamné à 15 mois de prison suite à un accident avec délit de fuite, dans lequel une femme motocycliste a perdu la vie. Dans le livre, il dit avoir cru heurter un « petit chevreuil ou un renard » qui serait « parti en boitant dans la broussaille » ; il se serait arrêté et n’aurait rien vu sur la route. Mais les enquêtes policières, judiciaires et le procès ont révélé que la femme décédée a été retrouvée en plein milieu de la route par un automobiliste qui a vu la voiture d’Anthony prendre la fuite.
Réaction de Tony Anthony
Dans une déclaration publique moins d’une semaine après les conclusions de l’enquête, Tony Anthony se défend de l’accusation de fausses déclarations et persiste à défendre son livre comme « l’histoire de sa vie passée », même s’il reconnaît que certains détails ne s’avèrent pas corrects historiquement. Il souligne notamment l’impact que son livre a eu avec l’aide de Dieu sur la vie de beaucoup.
« Je n’ai pas l’impression qu’il prend la mesure de ce qu’il a provoqué, commente Jean-Pierre Bezin, soit un faux témoignage sur l’action du Seigneur dans sa vie. » Et le directeur de la Société biblique de Genève de parler d’une « maladie évangélique typique » qui consiste à dire combien on était mauvais avant de se convertir. « Entre chrétiens on se fait confiance et c'est une bonne chose, estime pour sa part David Buick. Mais plus on met quelqu'un sur le devant de la scène, plus nous avons une responsabilité de vérifier que ses propos sont authentiques et sa vie intègre. La confiance n'exclut pas le contrôle, tout au contraire. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il y a des enjeux importants, comme dans le cas d'un témoignage destiné à une grande diffusion. »
Véritable phénomène de librairie, L’œil du tigre a été vendu à 1,5 millions d’exemplaires dans 25 pays.
Gabrielle Desarzens
Sources : le travail de Gavin Drake et la réaction de Tony Anthony.