Guilaine Mazzoni, 55 ans, rencontre très régulièrement les femmes qui arpentent les trottoirs de Bienne. Membre de l’Eglise des Ecluses (FREE), elle souligne que le racolage est interdit dans sa ville : « Cela rend la situation des prostituées très précaire. Et puis les Nigérianes que j’ai particulièrement à cœur, se cachent car sont illégales. Je suis alors là, avec des boissons, des cartes MicroSD d’évangélisation (1), de petites choses à manger dans ma voiture. Et puis j’offre souvent un diamant en plastique dans une boîte en carton : sans trop de mots, je communique que leur vie est comme une pierre précieuse, qu’on peut laisser tomber par terre, fouler aux pieds. Mais que Dieu peut soulever ce qui les écrase et leur offrir protection, à l’image de l’écrin en carton. Beaucoup pleurent. Elles comprennent. »
Fille de missionnaires, Guilaine a aussi travaillé comme infirmière dans différents pays d’Afrique. La sorcellerie, les sorts jetés qui emprisonnent les personnes qui en sont les victimes, elle sait que cela existe. « Ce qu’on appelle le ‘juju’, j’en ai beaucoup entendu parler. Mais pas par les prostituées que je côtoie. Elles ont trop peur. Elles pourront l’évoquer seulement une fois qu’elles se sentiront en confiance. Mais il est clair que plusieurs des femmes que je rencontre sont sous son emprise. »
Libération possible ?
Active depuis 20 ans auprès des femmes de la rue, Irène Hirzel d’ACT 212 (2) a déjà mis sur pied en février dernier une première séance d’information concernant le « juju ». Une deuxième session est prévue le 24 novembre à Berne (3).
La pratique du « juju » est un rite de magie noire à l’occasion duquel des vêtements intimes de la victime ou quelques-uns de ses cheveux sont prélevés, puis placés dans un lieu secret. La cérémonie lie la personne en question ; elle est profondément convaincue que le mauvais sort peut s’abattre sur elle et sur sa famille dans le cas par exemple où elle ne rembourserait pas sa dette ou qu’elle dénoncerait ses trafiquants. La magie est donc en l’occurrence un moyen particulièrement efficace pour soumettre des jeunes femmes trop crédules, des villageoises analphabètes vendues et forcées à se prostituer. Pour les chrétiens qui visitent régulièrement les femmes de la rue, comme Guilaine, seul Dieu peut libérer ces femmes.
Mais un autre mal toucherait également les prostituées : le désordre identitaire ou, plus précisément, le trouble dissociatif de l’identité. Cela concerne notamment les femmes qui ont été abusées enfants et dont des éclats du passé leur reviennent brusquement en mémoire. Ces retours de souvenirs provoquent des accès de colère, mais une colère qu’elles retournent souvent contre elles, indique Irène Hirzel, non sans ajouter qu’un cours spécifique à ce sujet est d’ores et déjà agendé au 16 juin (4).
A chaque fois, le public cible de ces formations sont les policiers, les travailleurs sociaux, les thérapeutes, ainsi que toutes les personnes en lien avec les prostituées... mais elles se tiennent encore uniquement en allemand pour l’heure !
Gabrielle Desarzens
Notes
1 Les cartes MicroSD sont des cartes mémoire amovibles de stockage de données numériques, utilisées notamment dans les téléphones mobiles, de façon très courante notamment dans les pays du Sud.
2 ACT 212 est un centre de consultation et de formation contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle.
3 « La malédiction du ‘juju’ », conférence le 11 novembre à Berne. Infos.
4 Cours sur les troubles dissociatifs de l’identité. Inscription.