C’est tentant de dire du mal. Ça passe le temps à la pause café. Les employés médisent du patron, les étudiants du professeur. On se moque de celui qui n’est pas à la page, du maladroit, du mal habillé. On raille les dirigeants et les suiveurs, on critique les malfaisants comme les faiseurs de morale. Il faut dire que c’est facile. Le médisant met naturellement les rieurs de son côté, tandis qu’un éloge ne fait rire que lorsqu’il est raté, sans compter que les louanges sont vite vues comme de la flagornerie.
Médire, c’est aussi prendre l’ascendant sur la victime. On vaut mieux qu’elle, puisqu’on a su trouver le point faible, puisque nous ne sommes bien sûr pas comme elle. Cela fonctionne quand on se sent supérieur comme lorsque l’on craint d’être inférieur. J’affirme ma supériorité ou je mets à bas la supériorité que l’autre pourrait avoir. Et comme nul n’est parfait sur cette terre, on trouvera toujours matière à médire, pas de risque de manquer de sujet !
La médisance pousse à voir les défauts
Cependant, la médisance n’est pas sans danger. Elle court bien sûr le risque de la calomnie, d’embellir ou plutôt enlaidir la réalité pour pimenter quelque peu la critique. Même lorsque la médisance reste dans le pur respect des faits, elle crée une atmosphère toxique. Elle nous pousse à nous fixer sur les défauts de nos prochains, et à leur en découvrir davantage pour alimenter la conversation. Puisque la fonction crée l’organe, notre capacité à voir le bien sera minée et notre aptitude à relever le mal s’exacerbera. Pensant plus de mal de nos relations, il nous sera plus difficile de les aimer, et plus aisé de nous agacer contre elles.
Les paroles ont du poids
Par ailleurs, dans une atmosphère de médisance, chacun pourra se douter que les autres se donnent à cœur joie à son sujet dès qu’il a le dos tourné, et se demander «Que trouveront-ils à dire sur moi?» La crainte du ridicule minera la spontanéité et la confiance en soi. La médisance finit ainsi par reprendre même le coup de pouce à l’estime de soi qu’elle semblait apporter. Et ne tombons pas dans l’illusion que la médisance serait sans conséquence du moment qu’elle est dite sur le ton de la plaisanterie, qu’on ne la prendrait pas au sérieux. Les paroles ont du poids, et s’accumulent dans le subconscient, qu’on le veuille ou non. Soulignons seulement que cette critique de la médisance n’exclut en rien la dénonciation d’une conduite délictueuse ou criminelle aux autorités.
L'approche de Jésus
Il y a alors tout à gagner à renoncer à la médisance, individuellement et collectivement. Pas en flattant les gens par des compliments hypocrites, pas en faisant semblant que tout le monde est gentil et parfait. Mais en mettant en avant les qualités réelles des autres, ce qu’ils font bien, ce en quoi ils sont dignes d’être imités. Et en consacrant à leurs mauvais côtés l’attention nécessaire, mais pas plus. La médisance porte souvent sur des broutilles qui n’ont pas besoin d’être relevées. Pour une faille un peu plus grave, la meilleure approche est à mon sens celle de Jésus : d’aller en premier lieu en parler seul à seul à la personne concernée, avec bienveillance. Il s’agit là de donner l’occasion de changer, pour le bien de tous, plutôt que de faire rire ou se rengorger aux dépens de l’autre.
Comme la cigarette
Ainsi donc, la médisance est une habitude facile aux conséquences néfastes. On peut la comparer à la cigarette : elle fait paraître « cool », mais crée une addiction, et a des retombées nocives autant pour ceux qui la pratiquent activement que pour ceux qui la subissent ou la consomment passivement. Et si nous essayions de créer des zones sans médisance ?