« Le dialogue catholiques-évangéliques, Débats et documents »… Naguère, un tel titre aurait été taxé d’utopie - ou de dangereux compromis. Pourtant la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (FLTE) a osé un colloque sur ce thème, avec la participation d’un éventail de théologiens et de pasteurs évangéliques de tendances diverses, ainsi que d’un théologien jésuite, le père Bernard Sesboüé. Cet ouvrage rassemble les interventions des orateurs auxquelles sont joints plusieurs documents résultant de rencontres nationales ou mondiales entre catholiques et évangéliques.
Les divers auteurs nous font découvrir le catholicisme contemporain, ses tendances parfois contrastées, ses évolutions récentes, et chacun à sa manière montre les points de convergences aussi bien que les points de résistances et d’incompatibilité.
Les évangéliques vus par un jésuite
Il serait trop long de détailler chaque exposé. Je me borne à deux éléments. Premièrement le texte de Bernard Sesboüé : « Les évangéliques vus par un catholique ». L’auteur ne traite pas vraiment son sujet ! Il signale rapidement les convictions principales des évangéliques (telles qu’il les perçoit, et c’est vu avec pertinence), mais s’applique surtout à illustrer en quoi la foi catholique lui paraît les rejoindre. Puis il réfute certains reproches évangéliques et justifie certains aspects de la foi catholique condamnés habituellement par les évangéliques. Texte sympathique, fraternel, mais aussi sans ménagements diplomatiques, et parfois empreint de tristesse face à ce qu’il ressent comme des incompréhensions de notre part. Il faut en savoir gré à Bernard Sesboüé qui nous oblige à sortir des ornières de certains arguments polémiques qui n’ont guère porté de fruit dans le passé, et qui nous pousse à aiguiser notre réflexion. Nous nous sommes si souvent contentés de condamner sans chercher à comprendre l’autre, et même sans désirer le connaître !
Un dialogue intra-évangélique sur le catholicisme
L’autre texte qui m’a paru particulièrement stimulant, c’est la transcription de la table ronde, présidée de main de maître par Hubert Goudineau. Il ne s’agit pas d’une confrontation entre catholiques et évangéliques, mais d’un dialogue intra-évangélique. Il ne faut pas forcément le regretter : il y a largement de quoi débattre entre nous de nos divergences sur l’attitude à adopter face au catholicisme. S’expriment ici des options parfois nettement incompatibles et, sur un ton fraternel, sans exclusives. Ouf ! On s’est si souvent bagarré, condamné, divisé entre évangéliques acceptant ou rejetant toute collaboration et même tout contact avec les catholiques !
Cet ouvrage, bien sûr, ne répond pas à toutes les questions. Il ne mettra pas forcément tout le monde d’accord. Et, heureusement, il ne nous dicte pas une ligne de conduite censée être la seule possible pour un évangélique fidèle ! Mais il nous aide à cheminer, à laisser de côté nos attitudes frileuses, et en même temps à rester lucides.
En définitive, la question qui revient sans cesse sur le tapis lorsqu’on parle du catholicisme en ayant à l’esprit le tragique héritage de l’histoire de l’Église : persécutions, guerres de religion, anathèmes et autres violences, c’est : « Le catholicisme a-t-il vraiment changé ? » A cette interrogation, le professeur évangélique Henri Blocher n’hésite pas à clairement répondre : « Oui et non! » Et sa réponse, solidement documentée, ainsi que son analyse, éclairante, nous délivrent aussi bien des rancunes et des préjugés que de l’euphorie.
Les documents qui constituent la seconde partie du livre sont plus ardus à lire. Ils témoignent du souci un peu acrobatique d’exprimer avec finesse convergences et divergences. Mais ils sont d’une grande richesse et leur lecture est un excellent exercice de théologie fondamentale.
Un regret cependant : avec ce livre, on ne se trouve jamais « sur le terrain », dans nos villes et nos villages, avec des catholiques en face ou à côté de nous, avec des frères et sœurs réformés à qui la collaboration avec les catholiques ne pose pas de problème... Quelques témoignages d’expériences vécues « à la base » - là où nous sommes dans la réalité quotidienne - auraient été un « plus » qui n’aurait nullement déparé le niveau académique du colloque de Vaux-sur-Seine...
Jacques Blandenier
(Cet article est paru dans le journal Vivre en 2002)