A l’occasion de sa conférence nationale du 20 mai à Berne, le Réseau évangélique suisse (RES-SEA) a donné la parole à Thomas Schirrmacher(1), un fin connaisseur des relations entre catholiques romains et évangéliques. Ce dernier a fait le point d’une situation en constante évolution.
En effet, le théologien allemand, ancien étudiant de la STH Basel(2), montre à quel point ces deux groupes évolue. Il indique en particulier les changements intervenus dans l’Eglise romaine à partir du pontificat de Benoît XVI et, encore plus, depuis celui de l’actuel pape François.
Les catholiques et les évangéliques dominent par le nombre
La première évolution est démographique. Avec plus de deux milliards d’adhérents dans le monde, les catholiques romains et les évangéliques forment désormais les deux plus grandes familles chrétiennes. Celles-ci ne peuvent donc ni s’éviter, ni s’ignorer.
Si les relations entre catholiques romains et évangéliques ont été peu nombreuses par le passé, c’est entre autres parce qu’un protocole contraignant obligeait les papes à ne rencontrer que des chefs d’organisations religieuses. Mais le pape François a aboli ce protocole, ce qui le rend désormais beaucoup plus accessible.
Vers une théologie plus évangélique
La deuxième évolution est théologique. Thomas Schirrmacher classe l’Eglise catholique romaine en trois courants principaux : traditionnel, libéral et évangélique. Le courant traditionnel ne tient pas compte de ce qui évolue à Rome. Le courant libéral, y compris la théologie de la libération, a été dominant, mais il l’est de moins en moins. Centré sur la Parole de Dieu et parfois charismatique, le courant évangélique se développe, surtout en dehors de l’Occident. Le pape François est issu de ce troisième courant.
Ainsi, l'Eglise romaine tend à réaffirmer sa confiance en la Bible. Même si le Vatican publie sans problèmes des textes contradictoires, il est possible de discerner une tendance dans laquelle sont affirmés le salut par la foi, la nécessité d’une foi personnelle et l’importance de la critique textuelle plutôt que celle des sources. Cela mène à plus de proximité théologique entre catholiques et évangéliques.
La liberté religieuse convainc
La troisième évolution touche à l’identité de l’Eglise catholique romaine. Cette dernière est entrée dans des phases de réconciliation et de demande de pardon avec d’autres Eglises. Thomas Schirrmacher parle d’un processus de normalisation dans lequel l’Eglise romaine ne se considère plus comme la seule véritable. Ainsi, depuis Benoit XVI, les papes renoncent à embrasser le tarmac à leur descente d’avion : la consécration à l’Eglise et à Marie des pays visités par les papes est en diminution.
Les protestants se sont souvent battus pour la liberté religieuse, les anabaptistes en premier, les évangéliques à leur suite. Pour les protestants, cette liberté n’est pas un aspect, mais un fondement de la foi. Ce concept rejoint de plus en plus l'Eglise romaine, bien que de manière inégale selon les régions. En Espagne et au Brésil, par exemple, les catholiques continuent généralement de penser que leur pays appartient à leur Eglise.
De nouveaux papes « normaux »
La quatrième évolution concerne la place et la fonction du pape. Là aussi, Thomas Schirrmacher parle de normalisation. Car le temps où l’autorité pontificale était considérée comme supérieure à celles des autorités politiques est dépassée. Il en est de même de l’autorité de la Bible qui prend petit-à-petit le pas sur celle du pape.
Cependant, les papes conservent suffisamment d’autorité pour gérer et faire évoluer la tradition. Lorsqu’un changement est introduit par un pape, puis repris par ses successeurs, c’est la tradition qui est modifiée. François n’hésite pas à faire changer les anciennes habitudes.
Par contre, ce qui ne change pas, c’est la place de Marie dans la foi catholique romaine. Car la prière à Marie n’a jamais été remise en question par la hiérarchie. Les enseignements du pape François sont enracinés dans la Bible et très proches d’une compréhension évangélique. Mais ils finissent toujours par être « catholicisés » par une prière mariale finale. Là, les protestants ont à se positionner.
Convergences et divergences
Thomas Schirrmacher rappelle que les catholiques et les évangéliques ont une approche très similaire de l’éthique – en particulier de l’éthique personnelle et familiale – et ils se retrouvent généralement sur les questions de politique. Par contre, plusieurs sujets de divergence subsistent ; la cène et le pédobaptisme en font partie.
Si les évangéliques et les catholiques doivent dialoguer, c’est d’abord parce que le Nouveau Testament est exigeant en matière d’unité des chrétiens. C’est ensuite parce que l’Eglise catholique romaine vit des changements rapides et profonds qui donnent l’occasion d’un tel dialogue.
Dans ce processus, les évangéliques ne risquent-ils pas d’être séduits par le catholicisme ? Ne risquent-ils pas de perdre leurs convictions ? Thomas Schirrmacher a la conviction que certains courants susceptibles d’être séduits par la foi catholique ont existé dans le protestantisme, mais qu’ils ne sont plus vraiment d’actualité. Quant à la perte des convictions, elle indiquerait un vrai problème, chez les évangéliques eux-mêmes en tout cas. Car, dans ces dialogues, la question de la vérité n'est pas évacuée.
Claude-Alain Baehler
Voir aussi la présentation de cette journée par Jean-François Mayer sur le site Religioscope: "Suisse: les évangéliques réfléchissent à leurs relations avec les catholiques", ainsi que la présentation du document de travail paru en allemand et intitulé: "500 ans après la Réformation".
Notes
(1) Le docteur Thomas Schirrmacher est secrétaire général adjoint de l’Alliance évangélique mondiale, responsable pour les questions de théologie, d’œcuménisme, de dialogue avec les religions et de liberté religieuse. Il est aussi professeur d‘éthique, sociologue des religions et auteur de plus de 100 livres.
(2) La Staatsunabhängige Theologische Hochschule Basel (STH Basel) – haute école de théologie indépendante de l’Etat – est une faculté de théologie évangélique située à Riehen près de Bâle. Elle délivre des bachelors et des masters. Depuis 2014, elle est accréditée par la Conférence suisse des universités.