Le livre « L’Eglise et l’attirance homosexuelle : mythes et réalité » (1) de Ed Shaw est une petite « pépite spirituelle ». Il compte parmi ces publications récentes de pasteurs anglicans « homosensibles » qui ont conservé une éthique biblique du couple et du mariage, et qui prônent pour eux-mêmes et pour ceux qui sont dans leur situation une valorisation du célibat. On connaît déjà en traduction française « Dieu est-il homophobe ? » du pasteur Sam Allberry de Maidenhead (GB) qui propose un parcours biblique très accessible autour du couple, du mariage et de la sexualité (2). Il existe aussi des publications très stimulantes de Vaughan Roberts, pasteur dans l’Eglise Saint-Ebbe d’Oxford, comme « Vraie amitié : marcher épaule contre épaule » ou « Transgenre » (3).
Un problème de crédibilité
Avec « L’Eglise et l’attirance homosexuelle », Ed Shaw lance une interpellation vibrante à notre manière d’incarner la foi évangélique et de vivre l’Eglise de Jésus-Christ. Son objectif : montrer à Pierre, un étudiant attiré par les personnes de même sexe, et à Jeanne, divorcée, la trentaine passée, qui vient d’entrer dans une relation gay avec une collègue, que la Bible offre un chemin « crédible » pour les personnes homosensibles. « Nous avons effectivement un problème de crédibilité : ce que la Bible enseigne clairement semble totalement irrationnel à beaucoup d’entre nous aujourd’hui, et est par conséquent partout rejeté, ce qui est compréhensible » (p. 19). Il ajoute toutefois : « Si l’enseignement de la Bible sur l’homosexualité semble à ce point déraisonnable, c’est en raison d’un grand nombre de mythes acceptés par l’Eglise elle-même au cours des années, marquée qu’elle était par de nombreuses façons de voir que les évangéliques ont empruntées au monde qui les entoure » (p. 20).
Ed Shaw passe en revue neuf mythes qui doivent être récusés, neuf mythes qui touchent à la fois au « catéchisme sur l’homosexualité » que l’on entend dans les principaux médias aujourd’hui, mais aussi à certaines dimensions – souvent constitutives mêmes ! – du vécu de la foi ou des Eglises évangéliques ! En voici cinq :
« Je suis gay ! »
« Notre sexualité définit notre identité », voilà le premier mythe que tient à déconstruire Ed Shaw. Pour ce pasteur dans l’Eglise « Emmanuel City Centre » de Bristol, ce qui le définit le plus dans la vie, ce n’est pas son orientation sexuelle, mais son statut d’enfant de Dieu en Christ. Nulle « thérapie de conversion », nul changement d’identité sexuelle à l’horizon, mais l’affirmation que « l’enseignement oublié derrière tout ça est (…) celui de notre union avec le Christ, la vérité incroyable que nous sommes désormais liés à son identité et à sa justice devant Dieu à jamais » (p. 35). Développer une estime de soi et une spiritualité, fortement ancrée en Jésus-Christ, permet alors de jeter un autre regard sur l’attirance que l’on peut avoir pour les personnes de même sexe.
« Une famille, c’est maman, papa et 2,4 enfants »
Le milieu évangélique investit beaucoup dans la famille. Dans son vécu ecclésial, dans sa pastorale… Loin de décrier cela, Ed Shaw n’en rappelle pas moins que, dans le Nouveau Testament, la famille biologique ne joue pas le même rôle que dans l’Ancien. « Dans le Nouveau Testament, on voit aisément que l’accent est mis sur l’accroissement de l’Eglise plutôt que sur celui de la famille biologique, et ses deux figures dominantes, Jésus et Paul, sont tous les deux célibataires » (p. 41). Cela devrait entraîner en milieux évangéliques une valorisation de l’Eglise locale comme famille, comme lieu où des relations profondes devraient se développer entre personnes diverses, et où on fait de la place aux célibataires, aux veufs… et aux personnes homosensibles.
« Naître gay ne peut être mal ! »
« L’homosexualité est innée. Que peut-on faire contre ? » Voilà l’argument que l’on entend le plus souvent aujourd’hui dans le débat en milieu chrétien autour de l’homosexualité. Ed Shaw confesse que c’est celui qui l’arrange le mieux, même s’il y a toujours débat sur l’existence ou non du « gène gay » ! Le fait que l’attirance pour les personnes de même sexe puisse être innée ne légitime pas pour autant la pratique de l’homosexualité. On peut être cupide, colérique ou obnubilé par l’autre sexe, de naissance, cela ne dispense pas de gérer ses instincts. Le pasteur anglican de Bristol relie son attirance pour les personnes de même sexe à la doctrine chrétienne du péché originel, à cette « tendance innée à nous dresser d’une façon ou d’une autre contre le Dieu créateur » (p. 55). Rien là de spécifique aux homosexuels, mais cette tendance est caractéristique de l’ensemble du genre humain. « Etre né ‘gay’, pour le dire crûment, ne justifie pas forcément le fait d’embrasser une identité et un mode de vie gay » (p. 56). En conséquence, l’Eglise devrait être, pour Ed Shaw, le lieu le plus accueillant pour tous ceux qui sont « nés gays », et qui pensent qu’il n’est pas bon de manifester sexuellement cette tendance. « La morale, ajoute-t-il, doit être définie par une source qui nous est extérieure, à savoir par le Dieu qui nous a créés » (p. 57).
« Si quelque chose vous rend heureux, c’est une bonne chose »
Le « quatrième mythe » que Ed Shaw déconstruit se retrouve dans l’affirmation que l’on entend beaucoup, y compris en milieu chrétien : « Si quelqu’un ou quelque chose nous rend heureux, cela ne peut qu’être bon et juste. » Cette affirmation qui sous-tend les discours publicitaires, consuméristes, politiques… déploie aussi toute sa force dans le domaine de l’éthique, et de l’éthique évangélique notamment ! Si je ne suis pas heureux en mariage, le divorce apparaît comme la solution. Les discours marqués par la théologie de la prospérité vont dans le même sens : acquérir des biens et posséder de l’argent est un moyen d’acheter le bonheur… En conséquence, notre bonheur à court terme est devenu le critère qui oriente nos choix. En fait, nous sommes prêts à tout sacrifier à « une sorte de dieu totem qui ne nous contredit jamais et nous laisse faire ce que nous voulons » (p. 62).
Pour le pasteur de Bristol, le vrai bonheur, c’est de redonner à Dieu et à sa Parole l’autorité suprême. « Chose étonnante, souligne-t-il, c’est en obéissant à la Parole de Dieu que nous trouverons le vrai bonheur tant convoité » (p. 65). Cette conviction est bien entendu valable pour les personnes homosensibles, mais aussi pour toutes celles qui se laissent déranger dans leur parcours de vie en quittant la réussite pécuniaire qui leur est promise ou la belle carrière qui leur sourit pour suivre le Christ dans des chemins originaux. Elles créent ainsi un « cadre de vraisemblance » dont les personnes homosensibles ont besoin pour ne pas se sentir seules dans leur engagement sacrificiel.
« Intimité rime avec sexualité »
Le cinquième mythe qui imprègne fortement notre société renforce la superficialité de nombre de nos relations aujourd’hui. Entretenir une « relation intime avec quelqu’un », c’est assez systématiquement développer des relations sexuelles avec cette personne. Le pasteur Ed Shaw plaide pour le développement dans les Eglises d’amitiés non sexuelles, qui permettent à des relations profondes de se développer et de dépasser ainsi une certaine superficialité ambiante. Du point de vue pratique, il s’agit de libérer du temps pour les autres, d’évoquer des choses personnelles avec ses amis et d’être persévérant. C’est une question de survie et d’épanouissement pour les personnes homosensibles, mais aussi une occasion de renforcer la qualité du vécu dans les familles et dans les couples, note-t-il (p. 75).
Ed Shaw complète son parcours en développant encore quatre vérités clés : « Le mariage comme préfiguration de l’union du Christ et de son Eglise, la piété comme étant l’imitation du Christ et non liée à nos attirances, le fait que le célibat est véritablement un grand don, ainsi que le fait que suivre Jésus signifie porter notre croix et souffrir comme lui » (p. 136).
Un débat clarificateur !
Les débats, nourris et difficiles, autour de l’homosexualité, qui traversent les Eglises et qui les divisent, apparaissent à beaucoup comme des catastrophes. Pas pour ce pasteur de Bristol ! Tout au long de l’histoire de l’Eglise des débats vifs ont permis de clarifier des points importants de la théologie chrétienne. Au XVIe siècle, avec la Réforme, des Martin Luther et Jean Calvin ont clarifié l’importance du salut par la grâce seule. Au XXe, le mouvement des droits civiques et Martin Luther King ont permis de réaffirmer l’égalité entre tous les êtres humains. « Par conséquent, la controverse actuelle autour de la sexualité devrait nous réjouir plutôt que nous consterner, car c’est dans les moments de profonds désaccords que notre Dieu souverain a souvent apporté une clarté biblique radicale dans la théologie et dans les pratiques de l’Eglise » (p. 137). Une clarté que Ed Shaw permet de déployer au travers de ce livre regorgeant de pépites !
Serge Carrel