Entrer dans les cultures occidentales actuelles est certes essentiel pour l’Eglise, mais ce qui me semble encore plus important, c’est de discerner quelles sont les puissances spirituelles qui nous dominent. Si nous restons sur le plancher des vaches, à vouloir simplement nous organiser en réseau pour mieux répondre aux besoins des gens, nous n’irons pas très loin. Nous devons affronter des puissances spirituelles qui n’ont aucun intérêt à notre développement ou mieux encore, qui feront tout leur possible pour nous détourner des vrais objectifs, quitte à nous faire construire des «cathédrales» cathodiques vides de sens et de contenu spirituel. D’autre part, si nous voulons avoir une prise sur la société, nous devons connaître nos adversaires pour pouvoir les contrer et offrir aux croyants la possibilité de construire des alternatives performantes.
Ne nous méprenons pas de puissance
En Occident, on se focalise très vite sur la montée de l’islam comme une de ces puissances spirituelles qui va nous dominer et nous assujettir. Les chrétiens vivant dans des pays islamisés nous incitent à être plus fermes, au vu de ce qu’ils vivent eux-mêmes dans ces contrées et nous serions enclins à suivre ces recommandations. Il est en effet toujours plus facile d’affronter un concurrent très présent, visuellement parlant et très médiatisé, qu’un ennemi somme toute bien intégré et faisant partie des meubles. Sans minimiser l’impact de la religion du prophète Mahomet sur l’Occident, nous devrions nous en prendre d’abord à nous-mêmes. La puissance spirituelle qui dicte la cadence de nos vies et nous met au pas de ses exigences, ce n’est pas l’islam, mais le dieu Mammon. Il nous fait tuer nos gamins dans le ventre de leur mère, alors que nous sommes suffisamment riches pour les nourrir et les éduquer. Il nous force à exploiter l’hémisphère Sud à notre seul profit et par la même occasion nous culpabilise si nous ne donnons pas assez pour les pauvres bougres du Sud. Sans vergogne, nous envoyons nos bateaux pleins de déchets toxiques, les décharger sur les côtes africaines. Même les Eglises sont enrôlées pour soutenir des guerres qui n’ont d’autres buts que de contrôler la richesse minière d’un pays, sous couvert de démocratie.
Mammon jusque dans l’Eglise
Le jour de repos obligatoire fait partie des dix commandements, mais il a été complètement squatté par l’économie des loisirs. Dans le temps, le loisir tournait autour des fêtes religieuses et des saints patrons en pays catholique. Aujourd’hui, ce n’est de loin plus le cas et derrière la majorité de nos activités dominicales se trouvent des personnes que nous faisons bosser que ce soit le pompiste, l’ouvreur de ski, les serveurs de restaurant, les opérateurs de cinéma, les saltimbanques, les artistes, les musiciens, les gardiens de musée, les pilotes d’avion ou mécaniciens des trains, etc. Nous-mêmes, nous bossons sur nos VTT, sur nos skis, dans nos voitures, en marchant, en grimpant, en participant à des spectacles. L’Eglise elle-même donne des cours de formation, des spectacles, des concerts où des gens se dépensent et dépensent. Le dieu Mammon nous a éduqués à «marchander» même le dimanche et lorsque je décris nos activités dominicales, je suis moi-même un peu éberlué en me posant la question comment on pourrait, par exemple, faire autrement avec des enfants qu’il faut occuper, des adolescents qu’il faut sortir de devant la télé.
La marque de la puissance spirituelle est bien là: nous ne savons plus fonctionner autrement qu’en faisant tourner la machine financière. Bien pire, vouloir contester le système des loisirs dominicaux nous paraît bien archaïque et rétrograde. Et pourtant…
Rappeler aux chrétiens occidentaux que nous avons un problème avec l’argent et que bon nombre de nos activités dites spirituelles deviennent en partie une sorte de commerce, n’est pas religieusement très correct.
Contestation des pouvoirs
Le christianisme a toujours eu l’art de contester les dieux. Les césars modernes ont d’autres noms que les empereurs romains, mais nous y sommes tellement inféodés que nous ne savons pas comment réagir. Cette puissance spirituelle de l’argent a besoin d’être combattue sur son propre terrain. Comment?
Même si le Royaume de Dieu est une réalité, il n’a pas encore manifesté ici-bas sa pleine puissance. Nous ne pouvons vivre que des prémisses de cet eldorado spirituel. Tous les malades de ce monde ne seront jamais guéris, mais Dieu accorde de temps en temps des guérisons comme des signes de ce Royaume. Ainsi, nous aussi nous devons produire des «signes» qui montrent que le Royaume de Dieu sera exempt de tout souci d’argent et de toute domination liée à la puissance monétaire. L’Eglise émergente devra produire des signes pour encourager le monde à faire confiance à ce Royaume. Je ne suis absolument pas convaincu que l’Eglise est appelée à transformer ce monde de fond en comble. Ce sont des utopies qui ne correspondent pas à la vision biblique de la fin des temps qui montrent l’affrontement entre une puissance du Mal contre Dieu lui-même. Nous ne pouvons qu’atténuer les effets de cette influence. Je n’ai aucune idée qui sera ce grand challenger de Dieu, mais ce que je sais, c’est que cette puissance de contestation sera liée au monde de l’argent. Au niveau mondial, nous sommes dans une phase de consolidation de cette puissance du Mal. Toute contestation financière de la part de l’Eglise est un grain de sable dans ce mécanisme économico-financier.
Quelques pistes
Un des principes que nous devrions mettre en avant, c’est la notion de « vivre par la foi ». Faire confiance à Dieu qu’il pourvoira pour la croissance de son Eglise. Pourquoi vendre des prestations, des produits pour soutenir l’Eglise? Si Dieu en est le Patron, c’est à lui de fournir les finances, mais nos Eglises sont parfois de drôles «d’entreprises» spirituelles: les employés doivent eux-mêmes s’occuper de trouver leurs salaires! Un de nos problèmes, c’est d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Nous implorons Dieu de financer des projets, qu’il ne nous a même pas demandé de réaliser. L’Eglise s’est souvent fourvoyée avec des projets de prestige, alors que Dieu avait en tête des micro-réalisations, comme trois ans de formation avec seulement douze disciples? Un vrai gouffre financier que de mettre à disposition un homme-Dieu aussi qualifié que le Christ, seulement pour douze personnes! Cette clique d’étudiants se faisait soutenir par des proches et des sympathisants et pourtant, ils ont mis en branle une dynamique planétaire.
Vivons plus simplement. Développons des organisations émergentes basées sur le principe de pauvreté. Pauvreté des moyens, des infrastructures, des locaux, mais misons sur les richesses spirituelles et humaines des personnes. Misons sur les talents, le savoir-faire, l’esprit de service, alors nous irons loin! Nous ne pouvons plus régater avec le show-biz, à part quelques Eglises mastodontes qui ont développé, entre autres, des empires multimédia! Les petites communautés devront inventer un autre style de vie et surtout se conformer à un autre train de vie! Gratuité ne rime pas forcément avec médiocrité, comme pauvreté ne se conjugue pas toujours avec déchéance. D’ailleurs, entre nous, la richesse n’est presque jamais à l’origine des vraies valeurs de l’Evangile.
Henri Bacher
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