« La résurrection soutient le travail de « Sune Egge ». C’est le fondement de tout ce que nous entreprenons ici pour les malades du sida. » Le pasteur des toxicomanes zurichois, Ernst Sieber, cherche dans un immense trousseau de clés au bout d’une longue sangle orange un sésame. Celui qui lui permettra d’accéder à l’une des nombreuses oeuvres sociales qu’il a fondées dans l’agglomération zurichoise. Nous sommes en plein Kreis 5, à quelques encablures de la gare principale, non loin du Platzspitz et du Letten, les deux scènes ouvertes de la drogue à Zurich des années 1990. A 78 ans, Ernst Sieber est toujours alerte. Cette personnalité atypique du protestantisme suisse alémanique franchit une première porte et salue le gardien qui lui permet d’entrer dans la clinique elle-même.
Une croix, un billet et Janine
« Voilà 16 ans que nous avons reçu d’une famille zurichoise, cette belle demeure, explique Ernst Sieber. Aujourd’hui, elle accueille entre 20 et 30 personnes, pour la plupart des malades du sida. Au 3e étage, les plus atteints par le virus et au 2e des malades de la scène des sans-abri zurichois. » Une cinquantaine de toxicomanes viennent aussi chaque jour chercher leur dose de méthadone, dans cette clinique qui dispose du personnel médical suffisant pour faire face à un tel accompagnement.
Au premier étage, dans la cafétéria de l’institution, un petit panneau d’affichage informe les malades de la vie de la clinique. Sur la partie du haut, une maxime attribuée à un chrétien indien affirme: « La foi, c’est comme un oiseau qui chante quand la nuit est encore sombre. » Aujourd’hui un petit billet porte un prénom féminin. Il est punaisé sur une croix. « Janine nous a quittés voilà deux jours, explique le pasteur-aumônier. Quand un patient meurt, tout le monde partage la tristesse de ce départ. Mais dans le même temps, parmi ces malades, il y a beaucoup d’énergie pour croire que tout ne s’arrête pas avec la tombe... »
Expérimenter la résurrection aujourd’hui
A côté de ses activités d’aumônerie dans les diverses institutions qui portent son nom, Ernst Sieber fréquente plusieurs fois par semaine la clinique « Sune-Egge ». Il y visite les malades, tout en animant des rencontres de discussion autour de thèmes qui touchent à la vie des sidéens et à leur spiritualité. Le pasteur des toxicos zurichois aime rappeler que la résurrection de Jésus-Christ n’est pas qu’une réalité historique ancienne, ni un thème qui touche aux confins de l’existence. « Il est possible d’expérimenter la résurrection aujourd’hui déjà, en confiant sa vie aux mains du « bon Dieu », affirme-t-il dans son français au fort accent suisse alémanique. Pour le pasteur zurichois, le fait de vivre son quotidien en présence de Dieu ouvre déjà sur l’éternité, sur la vie après la mort. En paraphrasant une parole tirée de la Bible, il ajoute : « Que nous vivions ou que nous mourrions, nous sommes entre les mains de Jésus... A tous ceux qui viennent terminer leur vie ici, c’est très important de transmettre cette vérité chrétienne fondamentale, parce qu’aujourd’hui déjà, avec cette conviction, je peux jeter un autre regard sur ma propre mort. »
Penser à partir du soleil
Pour Ernst Sieber, rester centré sur les départs qui se succèdent à un rythme soutenu dans cette sorte de « mouroir », c’est se laisser gagner par la spirale du désespoir. « Ce qu’il faut, aime-t-il dire, c’est non pas réfléchir à partir de soi et de sa détresse, mais à partir du soleil, le symbole de la résurrection de Jésus. » Tous les matins, le fondateur de Sune-Egge (Coin de soleil) souhaite accomplir les mêmes gestes que sa mère qui, quand il était enfant, ouvrait les volets de sa chambre pour faire entrer la lumière. « Pour que notre vie échappe au désespoir du non-sens de la mort, il faut commencer à penser à partir de Jésus et de sa résurrection. Réorienter ses propres pensées permet alors de faire entrer la lumière et la paix dans notre vie. »
En ce printemps 2005, le pasteur Sieber vit un peu une résurrection. L’automne dernier, les oeuvres sociales qui portent son nom connaissaient des difficultés financières importantes. Plus de 2 millions de francs manquaient à l’appel et pouvaient conduire à la faillite. Ce printemps, grâce à des restructurations internes et à la générosité de nombreux donateurs, la situation s’est améliorée. Et de nombreuses dettes importantes ont pu être honorées. « Mes activités en faveur des pauvres ne sont pas différentes du quotidien de M. ou Mme Tout-le-monde, explique-t-il. On passe aussi par des tourmentes, mais ce qui est le plus important, c’est quand malgré tout on continue. »
Serge Carrel