Le Réseau évangélique suisse invite les Eglises à consacrer un dimanche de novembre (le 12 ou le 19) à l’Eglise persécutée. Dans le cadre de ce dimanche de sensibilisation et de prières, nous vous proposons un entretien exclusif sur la situation en Iran, à travers la voix de Hovan Hovsepian. Exilé en Europe, ce chrétien iranien était l'un des orateurs de la Journée annuelle de Portes Ouvertes, fin septembre à Yverdon.
Comment est le moral de la population iranienne?
Je dirais qu'il y a trois catégories dans ce grand pays de 85 millions d’habitants: d’abord les très optimistes (j’en fais partie), qui croient que le pays pourrait devenir libre demain ou l'année prochaine, surtout après les évènements de cette dernière année. Puis les plus réalistes, pour lesquels il faudra un certain nombre d'années pour que le régime change. Et les pessimistes selon lesquels rien ne changera. Pour eux, les manifestations de 2023 n’ont rien apporté de plus, à part des morts.
On peut donc imaginer que même certaines personnes proches du régime veulent le voir disparaître, tandis que d'autres profitent de la situation. Dans l’ensemble, le moral baisse parce qu’on espérait voir un changement plus rapide. Le statu quo ébranle la population.
Qu'est-ce qui est le plus difficile à vivre pour les chrétiens?
Je ne vis pas au pays, mais selon ce que j'entends, c'est le manque de communion qui est le plus difficile. Ne pas bénéficier librement d’une vraie communion fraternelle peut affecter tous les aspects de la piété, de l'enseignement à la prière, en passant par la discipline chrétienne. L’unité souffre quand on ne peut pas se rassembler.
Vivre sa foi de façon isolée n’est pas souhaitable. Ni devenir des « chrétiens en ligne », et regarder une chaîne de télévision par satellite pour seule source d’espoir ou de communion. Quel paradoxe: Au Royaume-Uni, certains refusent de venir dans une église locale parce qu’ils suivent le culte en ligne !
En Iran, tous les lieux de culte chrétiens offrant un service en farsi ont été fermés. Et même lorsque les chrétiens célèbrent leur culte chez eux, ils sont potentiellement en danger. Les autorités pourraient débarquer, si elles se rendent compte qu'il s'agit d'une Eglise de maison.
Les manifestations et répressions ont-elles suscité une solidarité, au-delà des confessions religieuses?
Oui et non. Oui dans le sens où de nombreux musulmans en ont assez de ce gouvernement et désirent un changement. Mais non dans le sens où de fausses accusations sont portées contre les chrétiens. Dans leur perspective musulmane, les chrétiens cherchent la liberté seulement pour pouvoir s’habiller comme ils veulent, boire de l'alcool ou avoir des relations sexuelles, ceci n’étant pas interdit par leur religion. Il y a encore des gens pour croire que les chrétiens aspirent à la liberté pour leur propre bien et qu'ils ne sont pas intéressés au bien du pays.
La situation politique et économique pousse-t-elle des Iraniens à s'intéresser à la foi chrétienne?
Oui, la situation incite certaines personnes sans espoir à prier et à trouver Jésus, si on leur présente le salut en Christ de la bonne manière. Mais certains chrétiens se demandent pourquoi Dieu, qui voit la situation du pays, ne semble pas agir. Leur foi est éprouvée car ils ont l'impression qu’il n'entend pas leurs prières. Ils attendent une percée qu’ils ne vivent pas encore.
On en revient à la question de la communion fraternelle. Où déposer sa déception sans pouvoir se réunir ? La personne reste donc avec ses propres expériences et ses émotions ; et si sa foi n’a pas de fondations solides, cela peut être déstabilisant. Alors oui, des Iraniens sont venus à la foi chrétienne à travers cette situation difficile, mais celle de certains chrétiens s’est aussi affaiblie. Nous espérons qu'avec le changement à venir, un nouvel espoir naîtra ainsi qu’un réveil spirituel.
Comment se développe l'Eglise dans les circonstances actuelles?
Si nous parlons des bâtiments, il n'y a pas de développement. La situation s’aggrave même, car la fréquentation d’un lieu de culte chrétien est réservée aux minorités ethniques comme les Arméniens, les Assyriens… Mais s'il s'agit de l’Eglise de maison, c'est une tout autre histoire.
En 2022, l'ayatollah Ali Khamenei a commencé à évoquer le « danger » représenté par l’Eglise souterraine. Auparavant, il ne mentionnait jamais ces rencontres chrétiennes dans les maisons car c’était un phénomène minime. Mais aujourd'hui, le mouvement a pris une telle ampleur que même le leader suprême le craint et cherche à mettre la population en garde ! Selon les statistiques, chaque jour, dix nouvelles églises de maison sont créées dans différentes régions du pays. Certaines d'entre elles sont minuscules, d'autres comptent quatre ou cinq participants.
Le mot "ecclésia" (église) signifie « rassemblement des saints ». Et la Bible dit que là où deux ou trois sont rassemblés en son nom, le Seigneur est au milieu d’eux. Dans ce sens, l’Eglise se développe. Mais bien sûr, le développement comporte des défis (arrestations, problèmes de sécurité etc). Souvent, les chrétiens sont incités à ne même pas prendre leur téléphone lors de leurs réunions. Et s'ils doivent le prendre, ils le mettent dans une feuille d'aluminium ou un pot pour que personne ne puisse les localiser. Les services de renseignement sont si équipés qu'ils peuvent traquer une personne en quelques minutes, s'ils le souhaitent. En revanche, si vous les sollicitez parce que votre voiture a été volée, ils ne peuvent pas vous aider…
Selon vous, quels sont les sujets de prière prioritaires?
Tout d'abord, la liberté du pays. Nous savons que l'Iran devrait être libre pour le Christ. La question n'est pas de savoir si cela arrivera, mais quand. Prions pour que le temps de Dieu corresponde au nôtre et que nous en soyons rapidement les témoins. Deuxièmement, pour la protection et l'unité de l'Eglise et des chrétiens. Et finalement, pour la nouvelle génération, pour que les jeunes ne soient pas accaparés par ce que le monde propose. Qu’ils apprennent à connaître Jésus et à s’identifier au message de l'Evangile.
A titre personnel, quel passage de la Bible vous encourage à tenir ferme?
2 Corinthiens 4:8-12 : Ce passage montre que oui, nous tombons, mais que nous ne sommes pas écrasés. Oui, nous sommes persécutés, mais nous ne sommes pas enchaînés. C'est un message important que les chrétiens doivent entendre. Il ne s'agit pas d’ignorer ce qui nous arrive. Je ne peux pas imaginer comment je serais affecté si mon père était massacré devant moi. Je serais dévasté mais pas abandonné parce que le Seigneur me donnerait suffisamment de grâce pour continuer.
Propos recueillis par Rebecca Reymond et traduits par Christine Chevallier.