La France laïque distribue largement des films à connotation chrétienne. En Suisse romande, de tels films n’arrivent jamais dans les salles. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut dire que cela a été compliqué. On parvient à distribuer en France des films comme « Paul, apôtre du Christ », « Jésus, l’enquête » ou « Dieu n’est pas mort », parce que cela fait quatre ans que l’on laboure le terrain. Voilà quatre ans que l’on fait la preuve qu’il y a un marché pour ce genre de films, que l’on convainc les salles qu’elles peuvent ouvrir leurs portes en toute confiance parce que le public sera là.
Avez-vous l’impression qu’il y a une hostilité des distributeurs à l’endroit de ces films ?
Il peut y avoir une hostilité idéologique chez certains exploitants de salles, mais c'est rarissime. Je pense précisément à deux ou trois villes où nos films ne sortent jamais à cause de cela. Dans la plupart des cas, à partir du moment où vous amenez du monde dans leurs salles, il n'y a pas de raison que ces exploitants objectent quoi que ce soit.
On a pu ouvrir cette porte et c’est une sorte de sas que l’on a franchi dans la laïcité à la française en permettant à des films comme « Dieu n’est pas mort » d’exister dans des agoras publics que sont les salles de cinéma.
Tout le combat n’est pas gagné. Il reste à mener celui de la télévision. A part KTO, la chaîne de TV catholique en France, personne ne diffuse nos films. Les télévisions avancent la raison de la laïcité et certains ajoutent même : « Si on diffuse vos films, on devra aussi le faire pour les musulmans ! » Ce à quoi je réponds : « Grand bien leur fasse aux musulmans ! »
Pour l’instant, les décideurs en matière de programme TV n’ont pas encore compris que notre société avait besoin d’un supplément d’âme et qu’il n’y avait pas à avoir peur de l’expression d’une religion dans l’espace public. Au contraire, c’est cela qui va apaiser les tensions que l’on peut connaître en France aujourd’hui.
Pour la Suisse romande, j’espère que l’on va arriver à diffuser ces films à connotation chrétienne. Nous avons la ferme intention d’y développer notre diffusion. Peut-être que cela commencera au travers du « cinéma paroissial », de la projection de films dans les paroisses ou églises, mais on est déjà en contact avec des salles de cinéma pour essayer d’organiser des petites projections ici ou là. C’est le succès de ces petites projections qui va faire que les exploitants de salles vont ouvrir leurs portes à leur tour.
Comment vous y prenez-vous pour créer un public et l’inciter à aller voir les films que vous diffusez ?
Nous investissons beaucoup sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas les moyens des grands distributeurs d’acheter de l’espace publicitaire dans le métro. En fait, nous nous trouvons sur un cinéma de niche. Il est plus facile et moins coûteux d’atteindre notre public par les réseaux sociaux et les médias chrétiens à qui on achète des espaces publicitaires et avec lesquels nous nouons des partenariats. Il y a aussi beaucoup de bouche à oreille.
Etant les seuls à promouvoir le cinéma à connotation chrétienne, quand un tel film arrive dans le giron français d’Universal ou de Sony, les responsables de ces grandes maisons de production viennent nous voir pour que nous les aidions. Pendant 30 ou 40 ans, nous n’avons pas eu grand-chose à nous mettre sous la dent en matière de productions chrétiennes au cinéma, mais les temps changent !
Sur le fond, notre vision est de montrer qu’il y a une attente pour ce type de films. Nous avons l’impression que le message est en train de passer. La preuve, c’est qu’il y a eu deux films de production française « L’apparition » et « La prière » qui sont sortis cette année et qui sont très engagés du point de vue religieux. Nous espérons que nous aussi un jour nous aurons l’occasion de produire nos propres films pour évangéliser par ce biais-là.
Diriez-vous qu’il y a aujourd’hui une sorte de « résurrection » du cinéma chrétien ?
J’en suis persuadé : preuve en est le nombre de productions outre-Atlantique. Les Etats-Unis sont les premiers à avoir compris qu’il y avait un marché pour ce genre de films. En 2004, il y a eu un événement qui s’appelle « La Passion du Christ » de Mel Gibson. C’est le film indépendant le plus rentable de tous les temps. Aux Etats-Unis, les Eglises protestantes, évangéliques et catholiques ont fait le succès de ce film. Cela a profondément frappé les professionnels de l’industrie cinématographique et les grands studios.
Par ailleurs, Hollywood fait souvent des études de marché pour voir de quoi les salles ont besoin. En 2010, ils ont découvert que le public avait des attentes en matière de spiritualité. A partir de ce moment-là, on a su qu’Hollywood allait se remettre à produire des péplums bibliques et il y en a eu plusieurs depuis ! Plus ou moins réussis !
Il y a eu « Noé », « Exodus », « Le Fils de Dieu », « Marie Madeleine »…
Il y a eu de très bonnes choses comme « Le Fils de Dieu », mais aussi des ratés comme « Exodus » ou « Noé »… D’autres films ont aussi vu le jour du côté de producteurs indépendants : « Et si le ciel existait » d’une filiale de Sony qui s’appelle Affirm Films et « Dieu n’est pas mort » produit par Pure Flix. Les succès rencontrés par ces deux films qui avaient coûté entre 2 et 10 millions de dollars ont été tels -60 millions de dollars de rentrée pour l’un et 120 millions pour l’autre -que Sony a décidé de créer la filiale Affirm Films qui ne fait que du film chrétien. Cette filiale a sorti « La résurrection du Christ » (« Risen »), « L’étoile de Noël », « Paul, apôtre du Christ ». Elle envisage dorénavant de sortir un ou deux films par an.
Quel bilan tirez-vous de votre implication dans la distribution de ces films ?
C’est plein d’espérance ! Nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Nous avons beaucoup investi financièrement pour en arriver là. Nous n’avons pas encore le retour sur investissement que nous souhaitons, mais en même temps je crois beaucoup à ce que nous sommes en train de faire et j’espère que, dans un avenir assez proche, nous serons capables de produire nos propres films et, de petit à petit, transfromer cette culture en y apportant le soufle de l’Evangile. C’est ce pour quoi nous nous battons tous les jours !
Quel sont les prochains films sur lesquels vous travaillez actuellement ?
On va aider Universal pour la diffusion du film « Le Pape François », un documentaire réalisé par Wim Wenders qui sortira le 12 septembre en France. L’autre film que nous allons sortir devrait constituer un événement, puisqu’il sera projeté le même soir dans plus de 300 salles, en France, en Belgique et en Suisse. Ce film s’appelle « Le coeur de l’homme ». C’est une fiction extraordinaire qui parle de la miséricorde de Dieu quand on est enfermé dans ses addictions et de la manière dont le Seigneur vient nous chercher dans nos tourments.
Propos recueillis par Serge Carrel
Hubert de Torcy est interviewé par Serge Carrel dans l'émission Ciel! Mon info.