"Johnny Cash (1932-2003) : la rédemption de l’homme en noir" par Gabrielle Desarzens

lundi 27 juin 2011

Celui qui aimait porter des habits noirs « pour les pauvres et les vaincus, ceux des rues de la faim et du désespoir », en a porté jusqu’au bout, en signe de rébellion notamment contre « les gens dont l’esprit reste fermé aux idées des autres ». Après avoir connu l’enfer des drogues et frisé la mort, le chanteur de country Johnny Cash dit avoir découvert en Dieu un roc sur lequel tenir debout. Portrait de ce musicien qui a inspiré plusieurs artistes.

[audio]http://www.paroles.ch/les-grandes-figures-de-resistance/552-johnny-cash/?play=1

Johnny Cash est un homme qui a voulu mourir. A l’âge de 35 ans, après des années de prises de pilules par douzaines, vingtaines, ou même centaines, après des accidents de voitures en série et diverses arrestations, il s’est engouffré dans les grottes de Nickajack, au bord de la rivière Tennessee. Pourtant en pleine période de succès professionnel, il a rampé deux ou trois heures dans ce dédale obscur. Une fois les piles de sa lampe de poche à plat, il s’est étendu. « L’absence de lumière était appropriée, puisque j’étais en cet instant aussi loin de Dieu que j’aie pu l’être, écrit-il dans son autobiographie. Cette séparation de lui, la plus profonde et la plus dévastatrice de toutes les formes de solitude que j’ai éprouvées au cours des ans, me paraissait désormais complète. » Elle ne l’était pas. S’il croyait avoir abandonné Dieu, celui-ci lui aurait alors insufflé le désir de s’en sortir. Ce que Johnny Cash fit, au propre comme au figuré.

« J’avais découvert qu’au fond ce n’était pas mourir que je voulais, mais juste que ma souffrance, mes ennuis et mes chagrins prennent fin ; j’étais si fatigué que la mort m’avait semblé la seule façon d’y parvenir. Je voulais cesser de me haïr, aussi. La haine que je ressentais envers moi-même n’était pas un petit truc soft, de la psychologie pop ; c’était un holocauste quotidien, fait de honte et de dégoût, profond, violent, et d’une façon ou d’une autre, il fallait que ça cesse. » Pour « renaître », comme il l’exprime lui-même, il dit avoir dû s’incliner devant Dieu d’abord… puis se rendre dans un établissement de désintoxication. Et comme le combat est sans fin – « mon problème persiste » – il a essayé par la suite de s’engager chaque matin envers le Christ et de demeurer honnête vis-à-vis de lui comme vis-à-vis de lui-même.
 
La mort de son frère : une ombre qui le suit  
Johnny Cash est né le 26 février 1932, pendant la Grande Dépression, dans une famille pauvre et rurale d'origine écossaise de l’Etat de l’Arkansas, aux Etats-Unis. Il est le quatrième enfant d’une fratrie de sept. Dès l'âge de cinq ans, il travaille avec sa famille dans les champs de coton, où il est imprégné des chants des travailleurs, qu’ils soient du répertoire folk, country ou des chants d’Eglise. Les temps sont durs. Très proche de son frère de deux ans son aîné, Johnny voit son univers s’écrouler quand celui-ci meurt accidentellement à l’âge de 14 ans : Jack est presque coupé en deux par une scie circulaire avec laquelle il débitait du chêne pour gagner quelques dollars supplémentaires afin d’aider aux dépenses familiales. « Jack était mon grand frère et mon héros : mon meilleur ami, mon grand copain, mon mentor et mon protecteur. » Il voulait devenir pasteur. « Après la mort de Jack, j’ai eu le sentiment d’être mort, moi aussi. Je ne me sentais plus vivant, c’est tout. Sans lui, j’étais terriblement seul. Je n’avais pas d’autre ami. »
Dans le film qui retrace sa vie, Walk the Line, sorti en 2005, cet épisode tragique est évoqué, comme le fait que Johnny regrette de ne pas être mort à la place de Jack, qui était le préféré de leur père. Dans sa biographie, Cash indique que ce frère qui s’est toujours efforcé de lui faire prendre le chemin de la vie plutôt que celui de la mort, est pourtant resté près de lui au-delà de son décès. Et qu’il habite d’ailleurs régulièrement ses rêves de façon paisible et bienfaisante.
 
Une musique qui raconte la terre
La musique country a baigné l’enfance de Johnny Cash. Il l’écoutait le soir dans son lit, l’oreille collée sur le poste de radio familial après une journée de travail harassant. « La musique que j’entendais là est devenue ce qu’il y avait de meilleur dans ma vie. » Sa mère chantait des cantiques dans les champs de coton et c’est elle qui, la première, a décelé un don dans la voix de son fils qui l’accompagnait. Une voix devenue grave, « la plus mâle de toute la chrétienté, selon le chanteur Bono du groupe U2. Tout homme se sent une femmelette à côté de lui ! »
La musique country raconte la terre, le dur labeur quotidien des gens que Johnny a bien connus dans ce Sud des Etats-Unis des années 40 et 50. S’il a pris par la suite la route avec Jerry Lee Lewis ou Elvis Presley « et tous les autres fauteurs de troubles de Memphis », il aime rappeler que la country a précédé le rock’n’roll.
Mais la musique n’a pas été tout de suite son quotidien. Après plusieurs expériences de travail difficiles – ouvrier dans une usine de voitures au Michigan, colporteur... –, Cash s’enrôle dans l’armée de l’air américaine. Il est envoyé à San Antonio, au Texas, pour y être entraîné à l'interception de communications radio codées. Il part ensuite pour la base aérienne de Landsberg, en Allemagne. Il y reste trois ans, pendant lesquels il écoute les communications des Soviétiques, achète sa première guitare et forme son premier groupe nommé The Landsberg Barbarians. Il est démobilisé le 3 juillet 1954, avec le grade de sergent, et retourne vivre au Texas.
Un mois après sa démobilisation, il épouse Vivian, la femme rencontrée au cours de sa formation militaire et avec laquelle il a entretenu des échanges épistolaires réguliers. En 1954, le couple déménage à Memphis, dans le Tennessee, où Johnny travaille comme vendeur, tout en étudiant pour devenir speaker à la radio. Il passe ses nuits à répéter avec deux amis musiciens, le guitariste Luther Perkins et le contrebassiste Marshall Grant, qui se font appeler les Tennessee Two. Il trouve finalement le courage de solliciter une audition à la maison de disques de Sam Phillips, Sun Records, berceau du rock’n’roll blanc. Peu impressionné par le gospel que lui présente le groupe, Phillips l’encourage à trouver son propre son. Cash lui chante alors les chansons qu'il a lui même écrites, dans le style frénétique qui fera la célébrité du groupe, et son premier enregistrement sort en 1955. Dès lors, tout s'accélère.
 
Descente aux enfers
Ses premières amphétamines, il les prend en 1957 alors qu’il est en tournée. « J’ai adoré. Ça augmentait mon énergie, aiguisait mon intelligence, chassait ma timidité, améliorait mon sens du rythme. » Mais pas une seule pilule des milliers qu’il a ingurgitées par la suite « et qui m’ont coupé lentement de ma famille, de mon Dieu et de moi-même » ne lui a conféré ce formidable sentiment d’euphorie de cette première prise.
Au début des années 1960, il commence à consommer de grandes quantités d'alcool et de drogues, notamment pour tenir lors des longues et difficiles tournées (comptant pas moins de 300 spectacles par an, souvent dans des lieux très éloignés qu'il faut rejoindre en voiture). Il devient rapidement dépendant des amphétamines et des barbituriques, qui affectent grandement son comportement. « J’ai atteint et même dépassé le point d’épuisement total, doublé, triplé, quadruplé ma consommation en y trouvant de moins en moins mon compte. Je sortais de là tremblant, suant, perclus de crampes et de douleurs, et plongé dans une terreur telle qu’aucune substance n’aurait pu la chasser. »
En juin 1965, le camion qu'il conduit prend feu, provoquant un vaste feu de forêt dans le parc national de Los Padres en Californie, tuant 49 des 53 condors qui l’habitaient. La même année, il est arrêté à El Paso, au Texas, par la brigade des stupéfiants, qui le soupçonne de transporter de l'héroïne depuis le Mexique. Il est rapidement relâché. Il est à nouveau arrêté le 11 mai 1965, à Starkville, Mississippi...
Bien que perdant peu à peu tout contrôle sur sa vie, Johnny Cash reste très productif et les succès s’enchaînent. Le label de Sam Phillips devient rapidement trop petit pour Cash, devenu son artiste le plus vendeur. En 1957, à la recherche de plus de liberté artistique, le chanteur accepte l'offre alléchante de la compagnie de disque Columbia Records. A la même époque, il tourne avec la Carter Family, légendaire famille de musiciens country aux Etats-Unis. Une relation ambiguë naît entre lui et l'une des filles de la famille, June, chacun étant de son côté marié et parent. 
Riche de 4 filles, le mariage de Vivian et Johnny ne résiste pas à la vie mouvementée de l’artiste. Le couple divorce en 1966. Deux ans plus tard, 13 ans après leur première rencontre, Johnny Cash demande June en mariage au cours d'un concert, pendant l'interprétation de leur duo Jackson.
 
Son âme sœur
En June, Johnny Cash trouve son âme sœur, qui se battra pour lui de toutes ses forces et par tous les moyens pour le sortir de la drogue, de la solitude et du désespoir. « Elle le fit comme compagne, amie et amante, en priant pour moi », relève-t-il.
En 1968, Cash parvient à se sevrer de la drogue. C’est l’épisode des grottes de Nickajack où il veut mourir et dont il dira par la suite être sorti grâce à Dieu, en qui il dit avoir découvert « un roc sur lequel tenir debout ». Il vit cet événement comme une véritable nouvelle naissance, et reçoit très concrètement l'aide de June et de sa famille pour suivre un chemin de désintoxication.
A la fin des années 1960, il commence à se produire pour les pensionnaires de diverses prisons des Etats-Unis. En résultent deux célèbres albums, At Folsom Prison (1968) et At San Quentin (1969). A l'occasion du concert de la prison de Folsom, Cash rencontre le détenu Glen Sherley, lui-même chanteur de country, dont il interprète d’ailleurs une chanson qui figure sur l'album live.
S’il fait un peu de télévision, comme en 1974 dans un épisode de la série culte Colombo, il présente de 1969 à 1971 sa propre émission, enregistrée au Ryman Auditorium de Nashville : The Johnny Cash Show, sur la chaîne américaine ABC. Il y reçoit régulièrement la Carter Family ou Carl Perkins, mais aussi des artistes plus contemporains, souvent assez éloignés des goûts de son public le plus conservateur : Neil Young, Louis Armstrong, Kenny Rogers and The First Edition, James Taylor, Ray Charles, Eric Clapton, Kris Kristofferson et Bob Dylan.
 
Un signe de rébellion
Ses tenues de scène noires ont toujours étonné et contrasté fortement avec les tenues de scènes des autres groupes country de l'époque, généralement vêtus de chapeaux de cow-boys et de costumes bariolés. Mais Johnny Cash portait aussi du noir en dehors de la scène, dans sa vie quotidienne, « pour les pauvres et les vaincus, ceux des rues de la faim et du désespoir, chante-t-il dans Man in Black. Pour le prisonnier qui a depuis longtemps payé pour son crime, mais qui reste la victime de son époque. Pour les vieux, les malades, les solitaires, et pour l’imprudent qui dans son bad trip laisse les gens indifférents. » Il a toujours aimé porter ces habits sombres qui ont continué à signifier quelque chose pour lui : « C’est toujours mon signe de rébellion », peut-on lire dans son autobiographie, notamment contre « nos Eglises hypocrites », et « contre les gens dont l’esprit reste fermé aux idées des autres ».
Au rayon des images, il produit en collaboration avec son ami Billy Graham The Gospel Road (Le Sentier de l’Evangile), un film sur la vie de Jésus-Christ dont il est le narrateur et le coscénariste. La foi prenant de plus en plus de place dans sa vie, il participe également à plusieurs reprises aux manifestations religieuses organisées par ce pasteur évangélique. Sans jamais toutefois cesser de chanter pour son public, en mettant sa chemise noire, bouclant son ceinturon noir sur son pantalon noir et laçant ses chaussures noires...
June et Johnny ont eu un fils en 1970, et ont continué à travailler ensemble jusqu'au décès de June, le 15 mai 2003. Johnny Cash est mort quatre mois après elle.
Gabrielle Desarzens
 
  • Encadré 1:
    Sources
    Cash, L’autobiographie, Le Castor Astral, 2005.
    De Reinhard Kleist, Johnny Cash, une vie 1932-2003, Dargaud, 2008 (bande dessinée).
    Wikipédia.
    Walk the Line, 2005, de James Mangold, avec Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon (DVD).
  • Encadré 2:
    Les disques de Johnny Cash
    En plus de 40 ans de carrière, Johnny Cash a sorti près de 450 singles, plus de 1500 albums 33 tours et au moins 300 CD, sur 228 labels différents, selon le survol discographique signé John L. Smith dans son autobiographie.
    Johnny Cash at Folsom Prison, enregistré à la prison de Folsom le 14 janvier 1968, a offert une seconde carrière à Johnny Cash en pénétrant dans le classement des meilleures ventes du Billboard le 1er juin de la même année et en y demeurant 18 semaines, dont 4 à la place de numéro 1.
    Precious Moments, 1975, est un disque de musique chrétienne qui est dédié à Jack, le frère de Johnny Cash, mort à l’âge de 14 ans.
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