En République démocratique du Congo, il répare la destruction volontaire et planifiée des organes génitaux des femmes, suite à ce qu’on appelle le viol comme arme de guerre. Denis Mukwege a reçu plusieurs distinctions pour son action, dont le prix « Héros pour l’Afrique » au Parlement européen en 2016. De passage en Suisse à l’occasion de la Journée internationale pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, qui a eu lieu le 25 novembre, il souligne l’importance des Eglises dans ce dossier. Sa fondation en Suisse et le collectif I respect women initié par le chanteur évangélique Philippe Decourroux se sont associés dans un effort de sensibilisation auprès des hommes, « qui doivent se mettre debout ». C’est ce qu’estime ce médecin, dont la première opération d’une femme violée remonte au 1er septembre 1999.
Denis Mukwege, vous opérez à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, comment cette violence est-elle dénoncée ? On a le sentiment que pas grand-chose ne change...
- Il n’y a pas grand-chose qui change parce que tout simplement, la culture de l’impunité a pris place. Le viol est un crime pour lequel les auteurs devraient être poursuivis, mais on observe que les femmes n’ont que très peu de moyens pour aller en justice. Et lorsqu’elles s’y rendent, il n’y a pas de réparation au final. Résultat : beaucoup de femmes préfèrent le silence plutôt qu’aller s’humilier pour la deuxième ou la troisième fois.
Vous êtes médecin, mais aussi pasteur : est-ce que les églises se sentent concernées par cette question de la violence faite aux femmes ?
- Je crois qu’il y a aujourd’hui une évolution positive : les femmes ne sont plus culpabilisées comme cela a pu être le cas il y a une dizaine d’années. Il a fallu d’abord donner l’information. Car vous savez, dans beaucoup d’églises, tout ce qui a rapport au sexe est un péché. Lorsqu’on a ce concept, on ne veut pas savoir. Mais nous avons fait beaucoup de séminaires et avons parlé même des viols dans la bible. Et je crois que cela a porté du fruit. Les gens ont compris qu’ils ne devaient pas rester indifférents à ce phénomène, car leur indifférence ressemblait à une complicité. Aujourd’hui, le problème du viol dans le monde, le harcèlement, la violence faite aux femmes requièrent une grande éducation. Il faut amener les hommes à comprendre que les femmes ne sont pas des objets. Qu’elles sont leurs égales, qu’elles sont créées à l’image de Dieu.
Est-ce que selon vous justement les instances religieuses doivent être des actrices dans ce dossier ?
- Absolument. Violer une femme, c’est déjà très grave. Mais la violer, puis la mutiler, ou introduire n’importe quoi dans son appareil génital : c’est tout simplement démoniaque, à mon avis. Et puis des bébés sont violés par des adultes... Oui, je crois que l’Eglise a un rôle très important à jouer. Quand vous êtes dans un pays où le 90% des gens se dit chrétiens et que des choses comme ça se passent, il y a du travail à faire. J’ai sinon toujours dit que les viols vont continuer tant que les hommes qui ne violent pas n’élèvent pas leur voix. Ces derniers doivent se mettre debout pour empêcher ces actes et protéger les femmes. Ainsi peut-on arriver à isoler la minorité qui viole et la faire réfléchir. C’est pour cela que je suis ici à Genève avec Philippe Decourroux, pour vraiment lancer cette lutte des hommes contre la violence sexuelle. Je dois encore préciser que le viol utilisé comme arme de guerre, où les femmes sont violées en présence des enfants, des voisins... ces scène macabres sont faites pour détruire la personne non seulement physiquement, mais aussi moralement, spirituellement. Et donc l’église a tout-à-fait une place à prendre dans ce contexte.
Est-ce que la conception patriarcale de la femme est typique à l’Afrique ou elle est aussi présente ici en Occident ?
- Je crois qu’il y a beaucoup d’Occidentaux qui veulent dire que c’est un problème des Africains. Mais allez parler avec les femmes de l’ex-Yougoslavie. C’est à quelques kilomètres d’ici et elles vont vous dire ce qu’elles ont subi pendant la guerre. Le phénomène est global, je crois. La grande différence, c’est que lorsque l’on vit dans un pays en paix, cela se traduit par du harcèlement. Mais lorsque l’on vit dans un pays où règne l’impunité, le viol se pratique de la même façon, quel que soit le conflit en cours.
Vous êtes connu comme l’homme qui répare les femmes. Après l’opération chirurgicale, procédez-vous à une opération sociale, spirituelle ?
- Oui, dans notre expérience, on s’est rendu compte que le traitement physique est insuffisant. Car l’acte dont les femmes sont victimes vise non seulement à humilier, mais à déshumaniser. Il y a une atteinte psychologique et spirituelle profonde. Nous faisons donc appel à plusieurs thérapies et ce sont les traitements qui prennent le plus de temps.
Qu’en est-il enfin de la violence faite aux hommes ?
- Dans nos statistiques, elle concerne à peu près 1% de nos patients. J’ai vu des hommes mutilés ou qui ont connu pénétration de leurs orifices. Sur le plan psychologique, ils sont très difficiles à relever. Surtout quand cela s’est produit en face de leurs enfants, de leur épouse. Cette humiliation les amène souvent au suicide. On fait très attention quand un homme dit ce qui lui est arrivé. Sa prise en charge doit se faire avec beaucoup de délicatesse puisque la tendance suicidaire est très élevée.
Propos recueillis par Gabrielle Desarzens
Un entretien à retrouver sur le portail www.rtsreligion.ch
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