Les quatre blocs en bois à deux étages, cachés derrière une petite entreprise de la banlieue de Zurich-Affoltern, comptent quelque 25 résidents. Joseph Keutgens, le pasteur de ce village baptisé « Brothuuse », traduction suisse alémanique du mot hébreu Bethléem (maison du pain), joue les guides, un gros carton sous le bras : « C’est un duvet pour l’un des résidents. » Accueilli chaleureusement par son bénéficiaire, l’homme d’Eglise passe rapidement un bleu de travail pour porter des planches en bois prévues pour la construction d’une cabane de jardin : « On se retrouve une fois que vous avez parlé avec quelques habitants ? »
Ouvert en mai dernier
Inauguré le printemps dernier, le « Dörfli » (petit village) est le dernier-né des œuvres sociales du pasteur suisse alémanique Ernst Sieber destinées aux sans domicile fixe (SDF). Ouvert en mai dernier, il prolonge la structure d’accueil « Brot-Egge » (le coin du pain) et le « Pfuusbus » (le bus où dormir) de 35 places, mis en fonction pendant l’hiver.
Luis prend le relais de la visite des lieux : « Tu vois, là, on organise un ‘grillplatz’, puis on fera pousser de la verdure... des pommes de terre, des tomates », explique-t-il, non sans préciser avec fierté habiter la structure depuis son ouverture. Il est d’accord de montrer le logement qu’il partage avec 6 autres hommes, bien qu’il manque des chaises autour de la table ronde : « Attends... je vais en chercher une ! » Il rit, puis s’offusque un peu quand on lui demande son âge : « Une femme qui me demande ça ? J’y crois pas !... bon, allez, j’ai 43 ans. » Il garde le bonnet enfoncé sur la tête, et sa veste d’hiver sur le dos. Derrière lui, Donato fait la cuisine. Il est 15 heures. D’abord méfiant, Luis se détend et se dévoile petit à petit. « Ce que je trouve là que je ne trouve pas ailleurs ? Un toit ! Et puis il fait chaud, ici, non ? J’ai une chambre, je peux dormir... Il y a une douche, des toilettes, et puis j’ai des amis, ici, je peux discuter, hein, Donato ? » Ce dernier lève ses spatules en signe d’acquiescement. Luis reprend : « Des fois, je vais au ‘Pfuusbus’. Car tu sais, ça fait mal de voir des gens qui n’ont pas de maison. Quand tu as connu ça, tu peux pas l’oublier. »
« Bienvenue ! »
Luis travaille de nuit dans le bâtiment. Un divorce, des dettes, des loyers inabordables « pour des gens comme moi » à Zurich et le voilà à la rue. « Pfarrer Sieber m’a dit : ‘Herzliche Willkommen’, tu comprends ? »
Une femme passe devant le bâtiment. Originaire du Cameroun, elle est mariée à un Suisse « qui n’est plus au social » ; elle indique trouver ici une solidarité et « de la chaleur humaine ». Dans une semi-obscurité au rez-de-chaussée de son habitation communautaire, elle propose deux tabourets. « Et moi, je ne montre pas ma chambre », prévient-elle. Elle explique qu’il y a « la messe », tous les dimanches, et puis une discussion entre habitants tous les jeudis soirs. « On parle de ce qui va, de ce qui ne va pas... Il y a toujours des choses qui ne vont pas, c’est la vie ! »
Une assistante sociale aide les intéressés à dénouer leurs différentes difficultés administratives. Le concierge du lieu sort de chez lui, cigarette aux lèvres, et refuse de parler à la presse. « Il fait un travail remarquable », commente le pasteur Joseph qui a fini de charrier son bois. Dans un petit local, au-dessus de la grande salle qui sert le dimanche également de chapelle, il explique : « Brothuuse est en plein développement. Les résidents initient des projets comme cette place commune au jardin. Pour Noël, l’un d’eux, cuisinier de formation, avait prévu concocter un repas pour ses colocataires : tout cela est très positif. »
Sa dernière prédication, il l’a faite avec des gants de travail, « pour symboliser le service que l’on peut se rendre mutuellement et l’attitude du Christ. Vous comprenez, ils viennent tous de la rue où ils se sont battus avec eux-mêmes. Là, ils doivent construire ensemble. C’est un sacré défi. Mais jusqu’à présent, ça marche ! »
Gabrielle Desarzens