Abus sexuels sur une base missionnaire : le témoignage d’une victime fait l’effet d’une bombe

Krüsi Christina
Krüsi Christina (©Robin Heuser) icon-info
vendredi 11 octobre 2013 icon-comments 1

Abusée sur le terrain missionnaire de Wycliffe dans les années septante, Christina Krüsi, une fille de collaborateurs suisses alémaniques, raconte son calvaire. Résultats : un livre-témoignage de 284 pages qui a fait la une des médias cet été outre-Sarine, et l'adoption par l'ONG de directives et de règlements rigoureux pour la protection des enfants.

« J'ai grandi dans la forêt vierge bolivienne comme fille de missionnaires, en Amazonie, auprès des Indiens Chiquitanos. Sur la base de Tumi Chucua, on nous a fait, à nous, enfants, des choses terribles. » Christina Krüsi, 45 ans, est sortie de son silence. Elle vient de publier l'histoire des abus qu'elle a subis de 1974 à 1979 (1), où elle raconte avoir été violée régulièrement de 6 à 11 ans par des missionnaires qui travaillaient avec ses parents pour l'ONG Wycliffe.
Tout a commencé lors d'une fête d'Halloween, quand plusieurs hommes l'ont attrapée, elle et des camarades, et les ont violées. « Un mal indescriptible est intervenu entre mes jambes, j'ai vu tout noir », se souvient-elle. Devenue « esclave sexuelle » comme 16 autres enfants, elle témoigne avoir été abusée pendant des cours de piano, comme par le directeur de leur école de brousse, et même pendant les leçons d'école du dimanche. « Il n'y avait pas d'échappatoire. »

Le silence pendant de longues années
Née en Suisse, Christina est le deuxième enfant sur six de missionnaires qui se sont impliqués dans le travail de Wycliffe en Bolivie. Leur mission : traduire la Bible en chiquitano. La station missionnaire de Tumi Chucua, aujourd'hui habitée par la population locale, hébergeait alors les traducteurs avec leur famille ainsi que du personnel d'appui : instituteurs, imprimeurs, personnel administratif et médical. En tout, elle abritait de 40 à 60 adultes et de 25 à 30 enfants.
Après 13 ans sur le terrain, quand Christina était âgée de 11 ans, la famille est rentrée en Suisse. Christina a pu enfin se sentir en sécurité, mais dit avoir perdu son enfance. Menacée par ses abuseurs, elle n'a jamais réussi à parler des viols répétés qu'elle a endurés, même si des symptômes comme l'arrêt de la parole ou l'énurésie ont alerté ses parents.

A 35 ans, elle affronte son enfer
A 19 ans, elle se marie dans son cercle ecclésial et a par la suite deux enfants. Mais ses souvenirs reviennent la hanter. En 2003, elle s'effondre et décide d'affronter cet enfer qui l'a souillée et de ne plus être victime : elle se confie enfin à une amie. Son couple n'y survit pas, mais Christina se libère d'un poids énorme. Elle se forme alors notamment en management, tout en confirmant ses talents d'artiste-peintre et de sculpteur. Si ses œuvres reflètent ses cauchemars d'autrefois, elle dit avoir connu une libération au travers de son livre et s'être réconciliée avec son passé.
Ses parents et elle ont en effet pu se dire s'aimer sans condition, écrit-elle, en dépit de ce qu'ils n'ont pas compris ou réussi à être les uns pour les autres. Et Christina indique à la fin de son livre être reconnaissante d'avoir retrouvé la foi, « non pas celle qui m'a été enseignée enfant, mais ma foi en l'espérance et en l'amour ». Elle a créé une fondation pour la protection de l'enfant (2) et projette, dans un but de prévention, de faire un film à partir de son témoignage.

Un grand choc chez Wycliffe
A Bienne, le directeur de Wycliffe Suisse, Hannes Wiesmann, indique avoir été informé en 2007 officiellement de l'affaire en question et que ce fut un grand choc pour l'ONG. « On a réagi immédiatement en établissant des règlements pour la protection des enfants », déclare-t-il. Sur le champ missionnaire, une grande sensibilisation est en effet entreprise aujourd'hui auprès des enfants comme auprès des adultes. L'ONG a décidé de préciser quels comportements sont jugés corrects ou non, et comment réagir en cas de contacts inappropriés (voir encadré). Le directeur ajoute ne pas avoir pu porter plainte contre les abuseurs – des Américains – au vu du temps qui s'est écoulé depuis... et parce que les crimes n'ont pas été commis sur le sol des Etats-Unis ! « Mais les rapports et les noms des personnes incriminées ont été déposés auprès des autorités compétentes. »
Gabrielle Desarzens

Notes
(1) Christina Krüsi, Das Paradies war meine Hölle, Als Kind von Missionaren missbraucht (Le paradis était mon enfer, Abusée enfant par des missionnaires), Munich, Droemer Knaur, 2013, 284 p. Ce livre n'est disponible qu'en allemand.
(2) Voir le site.

  • Encadré 1:

    Les mesures prises par Wycliffe
    Suite aux incidents de Bolivie, Wycliffe a pris des mesures globales pour la protection des enfants. Elles stipulent notamment que :

    - « La protection des enfants présents dans nos activités est une priorité absolue.

    - Avant d'engager de nouveaux collaborateurs, nous vérifions qu'ils ne se sont pas rendus coupables dans le passé d'abus envers les enfants.

    - Dans le contact avec les enfants, nous prenons des mesures préventives et fixons des règles précises afin d'éviter des agressions. Les adultes sont responsables d'avoir un comportement approprié.

    - Nous mettons tout en œuvre pour tirer au clair les soupçons justifiés. La protection des victimes est une priorité absolue. Nous recourons à une aide externe pour élucider les problèmes.

    - Nous offrons toute l'aide possible aux personnes affectées et particulièrement aux victimes. Les auteurs démasqués sont immédiatement licenciés et dénoncés.

    - La personne chargée de la protection des enfants est responsable du respect des directives pour la protection des enfants. Elle n'assume aucune autre fonction chez Wycliffe et travaille en collaboration avec un service externe (actuellement Mira, un service de prévention des abus sexuels à Lausanne). »

    Wycliffe Suisse a par ailleurs exprimé par écrit ses profonds regrets à Christina Krüsi. La lettre a été signée par le président du comité, par le directeur de Wycliffe Suisse et par la personne responsable du personnel. Toutes les victimes ont été invitées à des entretiens de débriefing, indique l'ONG. Une aide psychologique leur a été proposée ainsi qu'une aide financière pour des formations.
    G.D.
    Wycliffe Suisse a été fondée en 1964. Elle fait partie de la Wycliffe Global Alliance, réseau d'organisations partenaires qui visent à traduire la Bible dans toutes les langues.
    Site web.

  • Encadré 2:

    Lire aussi l'article de Serge Carrel

    Abus sexuels : même les meilleurs n’y échappent pas!

1 réaction

  • Daniel dimanche, 13 octobre 2013 13:05

    Violée pendant l'école du dimanche, là même où elle était censée recevoir le message de l'Evangile.
    Les loups sont dans la bergerie et l'abomination ne connaît aucune limite.
    Merci Seigneur d'avoir réparé le coeur de cette femme. Personne d'autre que Dieu n'aurait pu réparer de tels dégâts, pas même 40 ans de psychanalyse. Le Seigneur offre une nouvelle vie à ceux qui ont été meurtris.

Publicité

Twitter - Actu évangélique

Journal Vivre

Opinion

Opinion

Agenda

Événements suivants

TheoTV (mercredi 20h)

20 janvier

  • «La terre, mon amie» avec Roger Zürcher (Ciel! Mon info)
  • «Repenser la politique» avec Nicolas Suter (One’Talk)

27 janvier

  • «La méditation contemplative» avec Jane Maire
  • «Vivre en solobataire» avec Sylvette Huguenin (One’Talk)

TheoTV en direct

myfreelife.ch

  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Ven 03 novembre 2023

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Ven 22 septembre 2023

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Jeu 15 juin 2023

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

eglise-numerique.org

point-theo.com

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !