Comment expliquer que des personnes en position d'autorité dans des Eglises abusent de leur pouvoir?
Les abus de pouvoir existent dans toute forme de structure. Les Eglises évangéliques ne sont hélas pas à l’abri de tels comportements. Il existe peu ou pas de mécanismes de contrôle et une culture du silence protège souvent davantage les auteurs que les victimes.
Il est nécessaire de faire de la prévention auprès des responsables d'unions d’Eglises mais aussi des facultés de théologie, de les sensibiliser aux différentes structures psychiques de personnalités. Un sérieux travail sur soi et une supervision devrait être encouragé. Car ces dérives reflètent des failles humaines, des difficultés psychiques ou personnelles mais également organisationnelles, et non l’essence du message chrétien.
Dans quelle mesure l'enseignement biblique sur la soumission due aux autorités pourrait-il être un prétexte pour certains ?
L’enseignement biblique sur la soumission aux autorités peut être mal interprété ou déformé pour justifier des abus de pouvoir, autrement dit pour justifier la domination par la manipulation. Lorsque cet enseignement est isolé de son contexte global, qui insiste également sur la justice, l’humilité et la responsabilité, il peut devenir un prétexte pour imposer une obéissance aveugle.
Cela reflète une instrumentalisation du texte biblique plutôt qu’une réelle adhésion à son esprit. Il est crucial de rappeler que l’autorité dans la Bible est toujours associée au service et à l’amour, et que tout abus, toute violence est contraire à l’exemple du Christ. Une bonne formation théologique, une sélection des candidats au pastorat et un cadre de gouvernance transparent pourraient prévenir ou limiter de telles dérives. Tous, responsables ou pas, nous sommes appelés à nous soumettre au Christ, qui lui est amour.
Le contexte chrétien - des croyants se considérant frères et soeurs dans la foi - favorise-t-il aussi une certaine naïveté face aux violations de limites?
L’Eglise doit être un lieu sécure. Elle l’est souvent, heureusement. Mais en raison des notions comme le pardon, l’humilité et la bienveillance, les croyants peuvent être moins enclins à reconnaître ou à dénoncer les comportements abusifs, par crainte de “troubler l’unité” ou de “juger autrui”. La culpabilité peut aussi empêcher d’alerter.
Cette dynamique peut malheureusement offrir un terrain favorable à ceux qui souhaitent exploiter cette confiance à des fins personnelles.
Il est donc crucial d’encourager une vigilance saine, combinant amour fraternel et responsabilité, tout en restant fidèle aux valeurs chrétiennes. Cette vigilance passe par de la sensibilisation aux comportements de manipulation, qui souvent sont similaires aux agissements des auteurs de violences conjugales. Attention : Quand on parle de violences, on oublie souvent les violences invisibles (psychologiques, spirituelles).
Qu'est-ce qui devrait être mis en place dans la formation des leaders chrétiens pour prévenir les situations abusives ?
Il existe déjà des apports très basiques de relation d’aide ou des notions de psychologie. Mais c’est insuffisant. Il sera utile de proposer des formations continues pour les pasteurs tout au long de leur exercice pour les sensibiliser aux troubles psychiques, aux comportements narcissiques ou aux stratégies d’agresseurs. Combien de pasteurs s’épuisent littéralement dans la prise en charge pastorale de personnes qui auraient davantage besoin d’un suivi avec un psychiatre ou un psychologue.
En ce qui concerne la prévention des violences sexuelles, cela passe enfin par une éducation complète et positive à la sexualité qui tient compte du développement psychosexuel de l’enfant. Apprendre la notion de consentement me semble si important.
Les pasteurs ou responsables de jeunesse peuvent être assez seuls avec leurs luttes intérieures. Le mentorat ou la redevabilité envers un autre responsable spirituel pourrait être une piste à développer?
Des mécanismes concrets de supervision et de redevabilité devraient être mis en place pour garantir un suivi régulier et prévenir les dérives. Une telle formation allie des compétences psychosociales et de l’intégrité, au service d’un leadership sain et respectueux.
C’est vrai : entre responsables ou pasteurs, il peut y avoir une tendance à se raconter ce que l’on veut, soit par peur de perdre la face, soit par désir de maintenir une image irréprochable. Même un pasteur peut être habité par un désir de «briller».
Un dernier mot ?
Des services « neutres », en dehors des Eglises et en faveur des victimes d’abus sont importants car plus ces comportements peuvent être dénoncés, plus l’opinion publique dans nos communautés pourra être aiguisée.
Dieu a toujours protégé les plus faibles, les plus vulnérables de la société. C’est le coeur du message chrétien. Ne l’oublions pas quand nous pensons aux victimes. Il ne s’agit pas juste de « politique » ecclésiale !
*André et Myriam Letzel sont également co-auteurs de l’ouvrage collectif «Comprendre et lutter contre les violences en protestantisme», à paraître mi-février 2025 aux éditions Bibli’O/Fédération protestante de France. Ils sont soutenus par la FREE dans leur ministère.