Lundi 22 octobre 2018, au petit matin, le pasteur et théologien américain Eugene Peterson est décédé à l’âge de 85 ans. Moins connu dans le monde francophone que dans le monde anglophone, où on l’associe principalement à sa rédaction de la Bible en anglais contemporain « The Message », Eugene Peterson a été une voix prophétique pour son pays ces quarante dernières années. Face à un christianisme américain consumériste, individualiste, centré sur les émotions et une vie sans souffrance, Eugene Peterson a fidèlement prêché une théologie biblique avec en son centre l’incarnation de Dieu en Jésus et ses implications pour la vie chrétienne.
Une théologie de l’ordinaire
Auteur de plus d’une trentaine de livres (voir encadré pour les traductions françaises), professeur de théologie spirituelle à Regent College Vancouver (1992-2006), et pasteur durant 29 ans dans une congrégation presbytérienne à Bel Air, au Maryland, Eugene Peterson n’a cessé de prêcher sa vie durant, une seule prédication : celle de la transfiguration opérée par le Fils de l’homme qui n’a pas d’endroit où reposer sa tête, de ce passage de la mort de l’homme à sa participation à la Résurrection. Ce message d’émerveillement invite toute personne à goûter à cette crainte mêlée d’admiration, alors que Peterson pointe vers la Bible, la création et l’Eglise qui, elles, pointent vers le Christ qui tient toutes ces choses en tension dans ses mains. Et ce Jésus, révélation de Dieu, est bel et bien un être humain, qui a vécu sa vie dans des conditions similaires aux nôtres.
Eugene Peterson aimait à rappeler que Jésus a passé neuf mois dans le ventre de sa mère, tout comme nous l’avons fait. Jésus est né d’une femme, tout comme nous tous. On connaît non seulement son nom, mais aussi celui de sa mère, de sa famille et de ses amis. On sait qu’il y a eu du travail à faire : de la charpenterie, de la maçonnerie et de la pêche. Des repas ont été mangés, des prières ont été prononcées. Jésus est entré dans des maisons et des synagogues, tout comme nous entrons dans des maisons, des écoles, des magasins et des églises. Il est mort et a été enterré, tout comme nous le serons un jour. C’est ce Dieu incarné dans notre quotidien qu’Eugene Peterson prêchait. « La vie de Christ émerge des circonstances actuelles de nos vies qui n’ont nullement l’air spirituel – les choses du quotidien marquées par l’ordinaire, par des accidents et de la confusion, par de bonnes et de mauvaises journées, enjambant à la fois la monotonie et les catastrophes. Les miracles regorgent dans cette vie, mais la plupart des miracles chrétiens (pas tous) ne prennent pas la forme d’interventions, mais sont cachés dans les circonstances de peur et de trahison, ainsi que de désillusion : des enfants qui ne se comportent pas bien, et des amis qui nous déçoivent. Des crèches et des croix. Et pendant tout ce temps, une vie, une vie centrée sur le Christ, est en train de se former, tout en étant pleinement humaine » (1).
Une vie marquée par la convergence entre enseignement et vie
Une des dernières paroles d’Eugene Peterson a été : « Allons-y » (Let’s go). Toujours ancré dans les saisons de vie qu’il traversait, prêchant, enseignant et écrivant ce qu’il vivait, ou vivant ce qu’il partageait, Eugene Peterson se réjouissait de la prochaine étape. Dans une interview en 2015, il déclarait : « Je me retrouve en train de gentiment finir ce que j’ai à faire. La continuité de ma vie se base principalement sur les personnes de mon âge et on se réjouit tous de la mort, ou peut-être est-ce juste moi. Mais oui, on anticipe la mort. »
Eugene Peterson aimait dire que la vie chrétienne n’est pas romantique. Dès lors, quand un étudiant évoquait devant lui son désir de changer d’Eglise à cause de sa médiocrité, que ce soit au niveau de la prédication, de la louange, de l’organisation, ou encore du manque de vision, le professeur-pasteur l’invitait à tenir bon, à y rester et à apprendre à aimer les gens. C’est ça la vie chrétienne : devenir pleinement participants à l’histoire de Jésus, alors que les Ecritures nous montrent comment devenir de tels participants. Peterson conclut l’une de ses plus brillantes publications académiques par ces mots : « Nous sommes invités à mourir la mort de Jésus, ainsi qu’à vivre sa vie, avec la liberté et la dignité de participants ! » (2). Avec ce statut de participants, le Christ vit et agit en nous de telles manières que nos vies expriment une convergence entre notre être intérieur et extérieur, une convergence de fins et de moyens. Oui, le Christ qui incarne les moyens et les fins, se présente au travers de nos entrailles et de nos yeux auprès du Père, et tout cela au travers de nos traits de visage afin que nous puissions nous trouver en train de vivre la vie de Christ, à la façon du Christ (3).
L’imagination chrétienne
Donner cours à son imagination et à sa créativité, pour Eugene Peterson, poète et écrivain, c’est permettre à l’être humain d’accéder au mystère, d’accéder aux coulisses de nos vies si ordinaires. C’est voir, écouter, toucher, goûter et sentir l’étendue du monde de la création et de la beauté du salut, qui habitent, qui sont sous-jacents et ont infiltré l’espace et le temps, ainsi que chaque personne. Selon Eugene Peterson, c’est cela le sacré, et c’est vers ce sacré que toute imagination chrétienne est appelée à tendre.
Dans son discours d’inauguration de la chaire de théologie et des arts de Regent College – dédiée à Eugene Peterson et à son épouse Jan – en mars 2013, le pasteur presbytérien parle de la théologie comme étant le pôle Nord et l’art le pôle Sud de la vie chrétienne. Alors que la théologie est l’étude de ce que Dieu fait et dit ; l’art est ce que les gens font et disent dans l’entier du contexte de ce que Dieu fait et dit. Pour Eugene Peterson, l’imagination chrétienne est ainsi une réponse que nous pouvons esquisser au mystère de la foi. « L’art utilise les choses de la création de Dieu (les formes, les couleurs, les sons, le toucher et le goût) de telles manières que nos imaginations peuvent dès lors saisir et esquisser une réponse à l’invisible, afin d’être présent pour le Dieu qui est présent parmi nous » (4).
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Ces trois aspects de la vie d’Eugene Peterson – une théologie de l’ordinaire, une vie marquée par la convergence entre enseignement et vie et l’imagination chrétienne – ne sauraient rendre justice à l’étendue de son ministère pastoral, d’enseignement et d’écriture. Ils reflètent toutefois l’œuvre du Christ dans la vie d’un homme qui n’a cessé d’être une voix prophétique et contre-culturelle dans un contexte de christianisme en crise.
Ecouter gratuitement des interventions d’Eugene Peterson dans le cadre du Regent College (en anglais).
Notes