Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que 6 personnes avaient été assassinées dans l’Eglise des Assemblées de Dieu de Silgadji, au nord du Burkina Faso ?
C’était très douloureux. Et ce d’autant que nous avons organisé à Pâques dans l’Eglise de l’Union des Assemblées missionnaires de Delémont une offrande pour soutenir la veuve et les orphelins de Jean Sawadogo, un autre pasteur du Burkina qui a été assassiné.
A ce jour, il y a donc trois pasteurs qui ont été assassinés : Pierre Ouédraogo, assassiné dimanche dernier à Silgadji, Jean Sawadogo de Tamaskatt, un pasteur dont je suis très proche et que j’ai eu l’occasion de contribuer à former, et Elise Soré d’Arbinda.
Quels liens aviez-vous avec Pierre Ouédraogo, le pasteur assassiné dimanche dernier ?
Il faisait partie de la pastorale d’ensemble des Assemblées de Dieu du Burkina Faso. Je n’ai pas de lien direct, sinon celui de cette pastorale. Il s’est formé dans nos écoles bibliques et a implanté l’Eglise de Silgadji après sa formation. Il y a été pasteur pendant plus de 30 ans.
Dans les médias, on parle aussi de deux prêtres catholiques assassinés…
Oui et non. L’abbé Joël Yougbaré de Djibo est porté disparu – il a été enlevé – et le père César Fernandez, un missionnaire d’origine espagnole, a lui été assassiné plus à l’est du pays.
Plusieurs médias mettent en avant qu’il y a aussi des imams qui ont connu le même sort…
Oui, c’est vrai ! Mais il faut préciser que ce sont des imams modérés. Jusqu’à présent, l’islam au Burkina n’a posé aucun problème. J’ai exercé comme pasteur à Ouagadougou, et, dans mon quartier, on considérait l’imam, le catéchiste catholique et le pasteur protestant comme des personnes ressources pour des questions de morale et d’éthique. Nous intervenions en cas de crise ou lorsqu’il y avait un décès. C’est nous qui rassemblions les gens autour de ce qu’il fallait faire. L’islam burkinabé n’a jamais été radical ou enclin à exclure les autres. Aujourd’hui, quand ces représentants de l’islam radical constatent que les imams locaux collaborent avec les chrétiens, cela suscite de l’hostilité et les imams modérés peuvent aussi être assassinés.
Mon père qui était pasteur évitait durant la période de Noël de tuer du cochon pour que nous puissions faire la fête avec les musulmans… On se fréquentait très bien jusqu’au sommet de l’Etat. Mais on assiste à un nouveau phénomène. Depuis quelques années, l’islam n’est plus l’islam populaire, comme on en avait l’habitude. Il y a de plus en plus une montée de l’intolérence et de la radicalisation d’un certain type d’islam, néfaste et à visée de conquête.
Au nord du pays, c’est très marqué. Aux dernières nouvelles, cela entraîne des fuites de chrétiens et de pasteurs qui se replient au Sud. Et c’est le but de ces organisations djihadistes !
Partagez-vous cette perception de nombre de médias occidentaux qui parlent d’un développement important de zones de non-droit au Burkina Faso depuis 2015 ?
En 2015, je suis allé plusieurs fois au Burkina Faso et j’ai pu constater que mon pays d’origine n’est plus le même. Du reste, quand vous allez sur le site internet de l’ambassade de France ou de l’ambassade des Etats-Unis, vous vous rendez compte que la carte sécuritaire montre qu’il n’y a plus aucune zone où on ne risque rien. Pour moi, c’est la suite de ce qui s’est passé en Lybie avec l’éclatement du régime : cela entraîne la volonté d’éradiquer entre autres choses tout ce qui est chrétien. C’est vraiment la dynamique de l’Etat islamique qui est en train de se manifester dans cette région. Les collègues pasteurs le ressentent et c’est la psychose qui s’installe. Certains ont décidé de mettre leur famille à l’abri plus au sud et quittent leur poste, ce que je peux comprendre. D’autres choisissent la résistance, parce qu’ils ne veulent pas abandonner les quelques chrétiens du Nord qui sont en plein désarroi.
Pour moi, à côté des luttes politiques, il y a aussi une « guerre spirituelle » avec la volonté, du côté des mouvements islamiques radicaux, d’éradiquer tout ce qui est chrétien, y compris les paroisses catholiques.
Par rapport aux violences subies par les chrétiens, quelles consignent les Assemblées de Dieu (ADD) donnent-elles ?
Pour l’instant, les autorités des ADD évitent de trop parler, parce que l’Etat ne souhaite pas qu’une psychose se développe. Au niveau de l’Eglise, ce sont les femmes qui sont à la pointe de ce combat. Elles se sont organisées parce que des chrétiens et des pasteurs ont été déplacés comme réfugiés. La veuve de Jean Sawadogo, l’un des trois pasteurs assassinés jusqu’ici, a été aidée par les femmes évangéliques et a obtenu un accueil, des vivres et des habits pour elle et sa famille.
Pour l’instant, notre approche se veut surtout spirituelle. Nous prions pour la paix et essayons de maintenir la cohésion entre croyants de toutes les réligions. Mais peut-être que nous devrions développer notre réflexion et élaborer une stratégie d’ensemble au vu de l’histoire de l’Eglise où hier l’Afrique du Nord était le berceau du christianisme. Nos succès en terme de croissance spirituelle ne doivent pas occulter le danger de rester un géant aux pieds d’argile…
L’armée vient de pacifier la zone de l’est du Burkina et on peut penser que ces soldats de métier vont faire de même dans le Nord. Ce qui se passe au Burkina devrait entraîner une mobilisation générale et demander un effort de guerre à tous.
Que vous semble-t-il important de faire actuellement ?
Personnellement, je demande à ce que l’on prie pour le Burkina Faso. J’essaye aussi de rassembler des amis pour le soutien matériel des veuves et des orphelins de mes collègues tués. Mon Eglise à Délemont m’a suivi pour un secours d’urgence à la veuve du pasteur Sawadogo assassiné… et je lui en suis reconnaissant.
Propos recueillis par Serge Carrel
Lire le "Message de la Fédération des Eglises et Missions Evangéliques (FEME) face au drame de Sirgadji" publié sur le site de Sidwaya, le Quotidien burkinabé d'information.