Dans votre charge de secrétaire général de la FREE, quelle a été votre plus grande joie ?
Sur une période de 18 ans, il m'est difficile de ne citer qu'un seul événement. J'en retiendrai trois.
Il y a eu l'éclosion de la Maison d'accueil Béthel, à Blonay. Ce ministère social de nos Eglises me fait très plaisir, de même que Praz-Soleil et l'Escale.
Je retiens également l'implantation de nouvelles Eglises, un domaine qui m'a toujours tenu à cœur. A l'époque où j'étais étudiant en théologie à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, près de Paris, j'ai participé à une implantation à partir d'un noyau de chrétiens. Lorsque je suis arrivé comme pasteur dans l'Eglise évangélique de l'Oasis à Morges, un « essaimage » à Cossonay était en phase de finalisation. J'ai eu le plaisir de participer au coup d'envoi. Au terme de mon engagement à l'Oasis, j'ai vécu un autre « essaimage », celui de Lonay. C'était chaque fois une joie.
J'aimerais aussi mentionner la fusion entre la FEEL et les AESR, deux anciennes fédérations d'Eglises qui ont donné l'actuelle FREE. C'était un très beau projet et l'une de mes plus grandes satisfactions.
Pour revenir à l'implantation d'Eglises en Suisse romande... Avez-vous l'impression d'avoir pu promouvoir pleinement cette dynamique ?
Promouvoir, non ! Mais encourager, oui ! Je n'aurais pas eu l'audace de proposer moi-même l'implantation de dix nouvelles Eglises en dix ans – j'ai aussi une responsabilité quant aux engagements financiers de la FREE ! –, mais ce projet m'a plu ; je l'ai soutenu et encouragé. Dans ce domaine, par le passé, nous avons connu quelques échecs, des occasions qui n'ont pas été saisies. C'est dommage ! J'espère qu'à l'avenir, nous ferons preuve de hardiesse !
Lorsque, il y a 28 ans, vous avez été engagé comme pasteur dans l'Eglise évangélique de l'Oasis, à Morges, votre statut était celui d'un ancien parmi les anciens. Aujourd'hui, on parle régulièrement de la fonction apostolique des pasteurs. Comment voyez-vous cette évolution et ce débat ?
Durant mes premières années à l'Oasis, on avait encore un peu de peine avec le titre de pasteur. Mais, honnêtement, cela ne m'a pas posé de problèmes. Je garde l'impression d'avoir bénéficié de beaucoup de confiance et d'avoir pu servir avec une grande liberté.
La situation actuelle est très différente. Le titre ne dérange plus, mais la question que se posent parfois les pasteurs est celle de la reconnaissance de leur leadership. Je ne pense pas que cette question soit bien posée. Se dire : « Je veux être reconnu et ensuite je foncerai », c'est prendre les choses à l'envers. La reconnaissance vient de notre engagement, pas l'inverse. La vraie question est de savoir si nous servons selon nos dons et selon l'appel que Dieu nous a adressé.
Quant à la fonction apostolique, je la vois comme un travail d'équipe. J'ai de la peine avec le titre d'apôtre décerné à un individu.
Dans la FREE, il semble difficile de mener des projets fédératifs importants. Par exemple, le projet d'implanter dix nouvelles Eglises en dix ans montre la difficulté de mobiliser concrètement les Eglises. La fédération ne peut-elle rien imposer ?
La FREE est au service des Eglises, pas le contraire. Elle n'a pas le pouvoir d'imposer quelque chose ou de mobiliser les Eglises à son service. Ce point est très clair ! Par exemple, la Commission des ministères peut conseiller, mais elle ne peut pas s'imposer dans la nomination d'un pasteur. La Commission jeunesse est logée à la même enseigne concernant les animateurs jeunesse.
Il faut un brin d'humilité pour travailler pour la FREE. En effet, les Eglises finissent toujours par se mobiliser autour de leurs propres priorités.
Est-ce que vous ne rêvez pas d'un autre système ecclésial, non pas congrégationaliste, mais presbytéro-synodal par exemple ?
C'est le système en vigueur dans les Eglises libres de France. Je l'apprécie parce qu'il présente une certaine cohérence et les choses sont plus claires. Mais quand on approche les responsables, on voit qu'ils sont aussi confrontés aux problèmes d'autonomie locale. Je pense que cette question est récurrente dans tous les systèmes.
N'avez-vous pas rêvé d'un pouvoir plus fort pour le secrétariat général ?
Je ne crois pas avoir rêvé d'un pouvoir plus fort... J'ai plutôt rêvé que les projets avancent beaucoup plus vite et que les Eglises participent plus activement à l'œuvre commune. Mais, engagé dans le Conseil d'une Eglise de quelque 80 membres à Lonay, je comprends la difficulté. Nous sommes confrontés à tant de situations à gérer au plan local qu'il reste peu d'énergie à mettre dans la fédération.
Dernièrement, les milieux évangéliques semblent avoir essuyé des revers concernant l'éthique individuelle. Dans le canton de Vaud, il y a l'obligation, y compris pour des EMS évangéliques, d'accueillir les équipes d'assistance au suicide d'Exit. En France, il y a l'adoption du « mariage pour tous ». Les divergences éthiques entre la société et les Eglises augmentent-elles ?
Oui, je crois que les valeurs éthiques des chrétiens seront toujours plus marginalisées dans notre société. En même temps, cette marginalisation n'enlève rien à la soif profonde d'une vie spirituelle chez nos contemporains. Il n'y a pas, à mon avis, d'espoir de réformer la société. Mais une annonce de l'Evangile qui va au cœur des besoins personnels des gens est plus que jamais d'actualité.
Certains nous disent que les Eglises pentecôtisantes croissent alors que les autres stagnent. Avons-nous quelque chose à entendre ?
La croissance n'est pas réservée aux Eglises pentecôtisantes ! Dans la FREE, les deux plus grandes Eglises se trouvent à Oron et à Neuchâtel. Et leurs dynamiques charismatiques sont vraiment différentes. Oron possède les plus grands locaux. Mais à Neuchâtel, si ceux-ci étaient plus grands, je suis sûr que l'Eglise grandirait encore.
De toutes manières, la croissance numérique d'une Eglise n'est jamais facile. Il y a des paramètres régionaux de population, des questions d'infrastructure, etc. Je pense que le meilleur facteur de croissance d'une Eglise est sa capacité à répondre aux besoins des personnes extérieures à la communauté. Trop souvent, dans nos Eglises, tout est fait comme si chacun possédait une culture biblique approfondie, ainsi qu'une connaissance des habitudes de l'Eglise locale : la louange, la prédication, les annonces...
A ce sujet, nous devons travailler à améliorer la « qualité d'émission » de nos cultes. Chaque fois que nous nous exprimons dans un langage de connaisseurs, nous créons une barrière entre les initiés et les autres. Ceux-ci ont l'impression d'arriver dans un club dont ils ne sont pas membres. C'est raté !
Les Eglises pentecôtisantes connaissent les mêmes défis sur ce point. Mais elles développent des ministères liés à l'évangélisation – prière de délivrance, espaces de guérison – qui nous interpellent et que nous pouvons prendre en exemple.
Comment voyez-vous nos Eglises dans le futur ?
Il est difficile d'être prophète ! Nos Eglises grandiront à condition de savoir s'adapter aux changements de notre société. Inévitablement, certaines n'y parviendront pas. Mais cela n'empêchera pas l'Evangile d'avancer.
Demain encore plus qu'aujourd'hui, il existera une grande diversité de formes d'Eglises, certaines très structurées avec leurs bâtiments, d'autres plus informelles, comme le TAG dans la région de Neuchâtel et du Jura. Mais pour toutes, leur développement sera lié à leur capacité de répondre aux besoins profonds de la population.
La promotion de la réflexion théologique dans la FREE est un véritable défi aujourd'hui. S'agit-il d'un domaine où nos Eglises ont régressé ?
Je ne sais pas si elles ont régressé. Mais j'ai toujours regretté qu'il n'y ait pas plus de débats, de « disputes fraternelles », au sein de la Pastorale. Nous avons vécu des changements importants dans nos Eglises et, en relation avec eux, des questions théologiques non moins importantes se sont posées : œcuménisme, ministères apostolique ou de guérison, Israël... Nous en avons parlé en Pastorale, mais trop peu ou de manière trop générale à mon gré. Nous laissons la Commission théologique se prononcer et rédiger des documents. Pourtant, ceux qui guident la théologie sur le terrain, ce sont les pasteurs !
Je vois aussi un mouvement dans les formations. Celles qui ont le vent en poupe sont les formations pratiques, utilisables immédiatement, souvent orientées vers le leadership plus que vers la théologie. C'est pourquoi, j'apprécie le développement de formations telles que l'Initiation à la spiritualité chrétienne et à l'accompagnement spirituel (ISCAS) proposée par Linda Oyer, Louis Schweitzer et l'association Compagnons de route. C'est une approche à la fois théologique et concrète que je trouve vraiment précieuse.
Nous voyons cependant arriver quelques responsables et pasteurs théologiquement bien formés dans notre fédération. Que peuvent-ils apporter ?
Il sera important que les Eglises accueillent ces théologiens et osent faire appel à leurs compétences. De leur côté, il faudra que ceux-ci osent exposer les enjeux théologiques des débats, sans couper les cheveux en quatre. Ils constituent la relève en ce qui concerne la formation, et c'est bon pour la fédération. Cela dit, je n'oublie pas les autres pasteurs qui ont reçu d'autres dons et développé des ministères particuliers sur le terrain : ils sont complémentaires.
Dans sa lettre aux Colossiens, Paul explique : « Je tiens à ce que vous sachiez combien rude est le combat que je livre pour vous » (Col 2.1). Puis il donne le sens de ce combat : pour que les croyants soient « unis par l'amour » et accèdent à « la certitude que donne la compréhension ». Nous y retrouvons une dimension sociale, relationnelle (l'union dans l'amour), ainsi que l'importance de la compréhension théologique. Paul s'est battu pour ce double défi, et la santé de nos Eglises passe par ces deux directions.
En matière de services à la société, nos Eglises ramassent ponctuellement de vieux papiers dans des parcs... Devrions-nous faire un pas de plus ?
Je pense que ce type d'engagement constitue un bon début... Il me semble que nous devons nous positionner comme partenaires de la société civile, nous insérer encore plus dans des actions « sociales ». Mais soyons clairs quant aux raisons qui nous poussent à faire cela, entre nous de même que dans notre communication avec l'extérieur. J'ai horreur d'entendre dire ou chanter « J'ai un Ami... » en laissant deviner que ça pourrait être Jésus !
Les Eglises ne seront-elles pas accusées d'instrumentaliser leur engagement social ?
Non ! Sauf si nos motivations ne sont pas exprimées honnêtement ou si le flou domine.
Propos recueillis par Claude-Alain Baehler, accompagné de Serge Carrel