Aujourd’hui, nous sommes le 25 septembre 2008, 25 jours après le début du cauchemar que nous traversons. Plusieurs cyclones avaient déjà commencé à toucher Haïti mais Gonaïves avait jusque là été épargnée.
C’est lundi soir, 1er septembre que tout a commencé. La pluie s’est mise à tomber dès 16h. J’étais alors en réunion avec le comité fondateur de la Fondation Erwin Buchmann. Cette fondation a été mise en place en juin dernier suite à la décision de permettre d’élargir les activités de l’EPI. Un des membres fondateur a proposé de la nommer ainsi en mémoire de mon père décédé en mai dernier et qui s’est énormément investi dans le travail que je fais aux Gonaïves depuis 16 ans.
Une nuit émaillée de coups de fil
Ce jour-là, la pluie a donc commencé à tomber abondamment mais comme nous sommes en saison des pluies, personne ne s’est alarmé étant donné qu’aucun cyclone ou tempête tropicale n’avait été annoncé. Nous sommes donc rentrés chacun chez soi.
Mais vers le milieu de la nuit nous avons commencé à recevoir des coups de fil alarmants d’amis en ville disant que l’eau commençait à monter. Ce fut notre première nuit blanche. Nous suivions l’évolution des évènements par le biais des coups de fil répétés.
Nos proches amis, les membres de la famille d’Emeraude, commençaient à monter sur les maisons à étage. L’expérience du cyclone Jeanne en 2004 avait rendu les gens prudents. Ils ont donc quitté les rez-de-chaussée, monté les documents importants, etc.
Le mardi matin, il y a eu une accalmie, voire un coin de ciel bleu. On pensait qu’on était à la fin du danger. Puis les pluies ont recommencé de plus belle et, le mardi après-midi, les rivières en crue se sont déchaînées et les eaux se sont déversées avec fracas dans le bas de la ville, détruisant et emportant sur son passage des quartiers entiers.
« Ma maison est complètement sous les eaux ! »
Le président de la Fondation était alors sur le toit voisin de sa maison au deuxième étage et au téléphone il nous a dit : « Je ne vois qu’une seule et immense étendue d’eau. Il n’y a plus que quelques toits ça et là qui émergent, ma maison est complètement sous les eaux. Je ne la vois plus. » Un autre membre de la Fondation, qui habite en ville, nous a appelés au milieu de la nuit en disant : « Je suis au deuxième étage, sur mon lit qui flotte sur l’eau. L’eau monte toujours... Je ne peux pas aller plus haut dans la maison. Je vous appelle pour vous dire adieu. Il n’y a plus d’espoir ! » Un autre proche nous a appelés au même moment. Il était sur le toit de la maison au deuxième étage avec un groupe de personnes qui se tenaient les uns les autres pour ne pas être emportés par le courant. Il nous a appelés en nous disant : « J’ai de l’eau jusqu’aux épaules. Je vous appelle pour vous dire que je vous aime mais que tout est fini ! » Je pourrais multiplier les témoignages d’appels téléphoniques que nous avons reçus durant cette deuxième nuit blanche. Nous ne pouvions que pleurer et prier, complètement impuissantes.
« Des dégâts anéantissants ! »
Le lendemain la pluie a cessé, mais le constat des dégâts était anéantissant. Cependant aucun de nos proches n’avait péri, quel soulagement ! Ce n’est que le mercredi après-midi que les premiers ont pu sortir de leur retraite. Le jeudi, Fanette, Robbins et moi sommes sortis pour aller aider un ami à quitter le toit de sa maison. Nous avons marché dans la boue jusqu’à la taille et avons dû traverser une route transformée en courant d’eau violent. Nous avons mis plus de 3 heures pour parcourir à peine un kilomètre. L’après midi, nous avons aidé une autre amie, Mme Jacques, et son fils Ernst à quitter leur maison envahie jusqu’au deuxième étage.
Le pont principal nous reliant à la capitale s’était effondré, le pont nous reliant vers le nord avait lui aussi été détruit. Seule la route passant par le plateau central était encore praticable. Un ami, Pasteur Eris, représentant de CAM (Christian Aid Ministry) est venu avec 100 kits de nourriture de base et 200 packs d’eau. Cette aide nous a permis de tenir le coup les premiers jours, d’autant que le cyclone Ike se préparait à venir nous ravager dans la nuit du samedi à dimanche.
Quel soulagement de savoir Mme Gracia et les siens en sécurité chez nous ! Quel soulagement aussi d’avoir reçu cette première aide de nourriture qui nous a permis de tenir le coup jusqu'à ce que les secours se mettent en place après le passage de Ike qui a fini de détruire l’Artibonite.
Coupés du monde
Ainsi, le 7 septembre après le passage de Ike, nous avons été informés de la destruction du pont de Mirebalais dans le plateau central, le seul accès qui demeurait encore entre les Gonaïves et Port-au-Prince. Désormais l’aide ne peut nous parvenir que par la voie des hélicoptères. Petit à petit, l’aide s’organise, mais le tout est très lent et très fragile.
Le lendemain, nous établissons un contact avec l’organisme Food for the Poor qui va faire parvenir par hélicoptère de la nourriture cuite pour 2000 personnes. La Fondation fait alors la coordination et distribue cette nourriture au commissaire en chef de la police pour les prisonniers de la prison, à l’administrateur de l’hôpital pour les malades et les employés, à l’évêché et à l’école des sœurs, au maire pour certains abris de la ville. Nous-mêmes, pour la Fondation Erwin Buchmann (FEB), nous distribuons cette nourriture dans certains centres informels. Ces centres sont des maisons privées dont le propriétaire a accueilli parfois jusqu’à 40 personnes qui ont tout perdu et dont il se trouve responsable non seulement pour le logement mais aussi pour la nourriture. Ces centres sont innombrables dans les quartiers comme le nôtre qui ont été épargnés par les eaux. Je reçois dans ma maison encore maintenant 30 personnes dont 14 enfants. L’école a accueilli 37 personnes.
Une infirmière mennonite pour les soins d’urgence
Le 10 septembre, nous recevons parmi nous une jeune mennonite américaine, Béthanie, sa sœur et son beau-frère. Béthanie est infirmière, elle travaille pour CAM et ils viennent 5 jours apporter des soins à la population. Un centre de soin va être installé à la mairie le jeudi 11 sous la responsabilité dans un premier temps de Béthanie.
Tous les jours, excepté les weekends, la nourriture apportée par Food for the Poor continue à être distribuée. Elle est répartie dans différents centres de la ville. Le vendredi 12, nous vivons une expérience révoltante. La nourriture cuite de FFP devant arriver avec un hélico américain devra retourner vers Port-au-Prince pour y être malheureusement jetée. La raison : sur la piste un hélico de l’ONU bloque l’atterrissage de tout autre hélico. Les pilotes de cet hélico attendaient la délégation de l’OEA (Organisation des Etats américains). Notre hélico, faute de carburant, après avoir tourné en rond au-dessus de nous, a dû retourner vers Port-au-Prince.
Le samedi 13, CAM, va nous faire parvenir un autre camion transportant 400 kits de nourriture, des packs d’eau, un delco et des médicaments. Par voie terrestre, nous recevrons encore quelques boîtes de corn flakes et des packs d’eau par FFP. Hier mardi, CAM nous a fait encore parvenir par voie terrestre 250 kits de nourriture de base (riz, huile, haricots rouges, farine de maïs et savon de Marseille).
Toute cette nourriture qui est redistribuée est vraiment salutaire, car beaucoup de monde a faim. Elle est cependant loin d’être suffisante.
Une aide précieuse : celle de Food for the Poor
Vendredi 19, nous recevons le dernier envoi de nourriture cuite de FFP. Les hélicoptères ne sont plus disponibles. Cette action a entraîné beaucoup de dépenses et d’efforts de leur côté et nous avons décidé de procéder d’une autre manière. Nous cherchons maintenant à organiser des cantines sur place. Nous avons un soutien non négligeable de Food for the Poor et la collaboration avec eux s’est renforcée, suite à la visite d’une délégation. Deux autres organisations nous apportent leur contribution. Il s’agit de CAM cité plus haut et de Parole et Action qui sont en train de planifier l’envoi d’une équipe médicale pour une semaine et l’envoi de brouettes, pelles, matelas et autres. Au fur et à mesure que les gens peuvent retourner dans leur maison, nous essayons d’aider certains à retrouver leur autonomie en leur donnant des kits pour qu’ils puissent faire à manger eux-mêmes. Mais il y a encore une grande partie des gens qui ne peuvent pas rentrer dans leur maison en raison des mètres de boue ou parce que leur maison est détruite. Ils sont obligés de dépendre de l’aide directe. Tout le monde est touché. Il n’y a plus de classes sociales !
Pour assurer ce travail, il faut une bonne logistique et des moyens financiers pour les dépenses courantes, comme les ingrédients à ajouter à la nourriture de base qui nous est fournie, l’essence pour les déplacements et autres. Cette aide nous est apportée par différentes églises ou organismes à l’étranger.
Une église du Canada nous a fait parvenir un don qui nous a été énormément utile pour faire tourner la maison mais aussi réparer la voiture qu’un ami nous a prêtée pour tous les transports de nourriture de FFP. Cette voiture commençait à être à bout de souffle.
Nous recevons aussi de l’aide de Martinique, de France et de Suisse. Même le Consulat suisse de Port-au-Prince, grâce à un don, m’a permis de tenir les 10 premiers jours pour nourrir toute la maison.
Une équipe qui travaille d’arrache-pied
L’équipe qui travaille d’arrache-pied, c’est Robbins Acciméus, le président de la Fondation, Emeraude Goimbert, Guerta Jacques, et moi-même. Nous avons aussi l’apport important d’amis proches comme Fanette Bouquié, une jeune française travaillant avec nous depuis novembre 2007, Leroy Rosemond, un parent d’élève, Emmanuel Honorat, administrateur de l’hôpital, Emercon Charles qui nous a prêté sa voiture depuis le début des évènements et bien d’autres encore qui travaillent plus dans l’ombre mais dont l’aide est loin d’être négligeable.
C’est cette solidarité et cette volonté de réagir face à ce désastre qui nous permet d’accomplir parfois des prouesses avec les moyens du bord.
Nous n’aurions rien pu faire sans l’aide aussi très active de ceux qui sont à Port-au-Prince, comme Mme Pun, Robert Déjean et ceux dont on ne connaît pas les noms de FFP, Tim, Pasteur Eris et Pasteur Beaulière pour CAM ou Parole et Action et bien d’autres encore que nous ne connaissons pas.
Tous ensemble, nous ici sur le terrain, ceux qui sont à Port-au-Prince, vous à l’étranger et avec, avant tout, l’aide de Dieu, nous pouvons donner un peu d’espoir à une population qui a tout perdu et qui est désespérée. N’oublions pas que parmi ceux qui sont actifs, certains comme Robbins ont tout perdu et n’ont à ce jour encore aucune maison où vivre. D’autres doivent recommencer à zéro avec une maison pleine de boue, où tout le mobilier est perdu. D’autres repartir à zéro comme Mme Jacques avec son magasin, etc. Ils gardent la tête haute et, pleins de courage, s’oubliant eux-mêmes, ils se consacrent aux autres.
A vous tous un grand merci pour votre soutien. Nous avons besoin d’une aide sur le long terme. Ne nous oubliez pas ! Gonaïves prendra des mois voire des années pour se relever non de ses cendres mais de sa boue !
Que Dieu vous bénisse.
Au nom de toute l’équipe,
Francine Buchmann
Secrétaire de la FEB