« Quand on parle de la famille, il y a une chose dont on prend très rapidement conscience, c’est que notre propre réalité familiale est loin d’être idéale ! » Le psychothérapeute bernois, Manfred Engeli, est marié à Fleurette. Il est père de 5 enfants adultes et il n’aime pas parler de la famille idéale. Pour lui, il s’agit plutôt de prendre chaque famille là où elle est, et de lui proposer quelques pas pour devenir une « famille sel et lumière », une famille qui donne de la saveur à la vie et qui rayonne (Mt 5, 13 et 14).
Une réalité inscrite dans le plan de Dieu
« Depuis des décennies, explique le Dr en psychologie, de nombreux spécialistes ont essayé de faire comprendre que la famille était une réalité dépassée et inutile... Ils ne sont jamais arrivés à la mettre totalement de côté ! » Manfred Engeli en est convaincu : la famille demeure une réalité à laquelle nos contemporains s’accrochent et dans laquelle ils investissent beaucoup affectivement, émotionnellement et financièrement. En fait, pour lui, rien de bien étrange, puisque la famille fait partie de l’ordre de la Création.
Dans le récit de Création du premier chapitre de la Genèse, la famille s’inscrit dans le plan de Dieu au travers de cette invitation adressée au premier couple à « être fécond et à peupler la terre » (Ge 1,28). Avant la chute ou la rupture, Dieu dit même au sujet de ce premier couple que « c’était très bon ! » (Ge 1,31).
Un espace relationnel où devenir une personne
Au vu de ces affirmations de la Bible, le Dieu de Jésus-Christ a confié un rôle particulier à la famille, même au-delà de la chute. Avant toute chose, elle est un espace relationnel où l’homme et la femme se découvrent dans une relation de vis-à-vis et font l’expérience de leurs différences et de leur unité. La famille est aussi un espace relationnel où l’enfant peut devenir une personne. Pour comprendre qui il est, le petit d’homme a besoin de se voir au travers du regard des autres. « C’est ainsi que des propos comme : ‘Tu es comme la tante Amélie...’ ou ‘Toi, tu ne réussiras jamais dans la vie !’ peuvent constituer des obstacles considérables à l’épanouissement d’un individu. »
La famille joue aussi un autre rôle fondamental dans la croissance d’un enfant en lui proposant des modèles au travers de son père et de sa mère. Par leurs biais, l’enfant se familiarise avec un mode de comportement, il l’endosse, le fait sien ou s’en détourne. « Là aussi certaines personnes n’ont pas beaucoup de chance à cause des modèles qu’ils se sont vu proposer. »
Le lieu où expérimenter l’amour inconditionnel
L’amour inconditionnel est aussi une expérience qui a son lieu dans le cadre familial. Pour bien se développer, l’enfant a besoin de réaliser que l’amour que lui portent ses parents ne dépend pas de ce qu’il fait. Leur amour est inconditionnel ! Ils acceptent leur enfant tel qu’il est. « Ce défi de parvenir à aimer inconditionnellement ses enfants, remarque Manfred Engeli, ne disparaît pas avec l’âge. Nos enfants adultes ont toujours besoin du même message : même s’ils choisissent des voies que nous n’approuvons pas, ils doivent pouvoir ressentir que dans le fond nous les aimons ! »
La famille est aussi le lieu privilégié où l’enfant devrait pouvoir entrer dans une relation personnelle avec son Créateur et goûter à son amour inconditionnel. Cette ouverture est là dans la vie de l’enfant. Elle se manifeste par toutes sortes de questions sur le pourquoi des choses et le sens de la vie. « A mon sens et au vu de notre expérience, la plus grande ouverture à cet amour inconditionnel de Dieu se situe entre 7 et 8 ans. »
La famille est enfin un lieu de bénédiction tant pour les enfants que pour les parents. « Des données statistiques le confirment, souligne le psychologue. Les personnes mariées vivent plus longtemps. Elles développent plus de résistance au stress et à certaines maladies. En cas de problèmes de santé, leur guérison est plus rapide. De manière générale, elles se disent aussi plus heureuses que les non-mariés... On discerne ainsi que la bénédiction de Dieu sur la dynamique familiale est réelle », complète Manfred Engeli.
Jésus, l’enfant d’une famille ordinaire
L’intérêt de Dieu pour la famille n’a pas diminué tout au long de l’histoire du salut. Dieu le Père n’a pas hésité à faire passer son propre Fils par l’éducation d’une famille de Palestine du Ier siècle. Une famille qui, loin d’être modèle, était constituée d’une maman, Marie, enceinte en dehors du mariage. Peu après la naissance de son premier enfant, cette famille connaît la fuite en Egypte et la condition de réfugiés. Elle vit ensuite à Nazareth, un modeste village où Joseph fait office de vis-à-vis à Jésus, en exerçant son métier de charpentier... C’est donc dans un cadre très ordinaire que se donne à voir le salut du monde !
Pour Manfred Engeli, il y a là quelque chose de typique de la démarche de Dieu à l’endroit de nos familles aujourd’hui. Dans un contexte social où près d’une famille sur deux connaît un divorce, Dieu veut accompagner nos familles et leur permettre de devenir « sel et lumière ».
Répondre aux offres de Dieu
Pour devenir sel et lumière, les familles chrétiennes peuvent répondre aux offres que Dieu leur fait. La première offre consiste à accepter d’entrer dans une dynamique de changement progressif. « Trop souvent, nous sommes perfectionnistes et nous voulons être tout de suite au top, explique Manfred Engeli. Il faut tout simplement être d’accord de devenir. » Les changements dans une dynamique familiale prennent du temps et il importe de donner du temps au temps.
Deuxièmement, Dieu nous fait une offre de vie familiale selon son projet. Il importe que nos familles reconnaissent que la vie familiale fait partie intégrante du projet de Dieu pour l’humanité.
Troisièmement, toute famille qui souhaite devenir sel et lumière dépend de la qualité de vie du couple. Quelle relation les deux conjoints entretiennent-ils l’un avec l’autre ? Souvent au sein des couples, le père et la mère s’accusent mutuellement d’être à l’origine des difficultés de la famille. « Ce n’est quasi jamais notre partenaire qui détruit notre couple, explique Manfred Engeli, mais la plupart du temps ce sont nos attitudes profondes ! » Notre égoïsme, notre incapacité à aimer l’autre tel qu’il est, notre sentiment d’avoir droit à une épouse ou à un mari aimant... constituent les véritables obstacles à l’épanouissement de notre famille. « Si Dieu veut faire quelque chose pour votre famille, ce n’est pas à travers votre conjoint, mais à travers vous, personnellement ! » lance le psychothérapeute.
Dieu, source de changement
En final, Dieu s’offre aussi à nous pour occuper une place dans notre vécu familial. « Si un couple fait de la place à Dieu dans sa famille, explique Manfred Engeli, les choses commencent à changer. » Il vérifie cela régulièrement dans son accompagnement de familles en difficultés. La promesse que contient ce propos de l’apôtre Paul se concrétise : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici : toutes choses sont devenues nouvelles... » (2 Co 5,17).
Serge Carrel