Avez-vous déjà remarqué que les Bibles catholiques et orthodoxes contiennent plus de livres que nos Bibles protestantes ? Ce constat, parfois rapidement écarté de nos discussions, porte uniquement sur l’Ancien Testament (AT). En ce qui concerne le Nouveau Testament (NT), tous les chrétiens sont unanimes sur les livres qu’il doit contenir.
Se pose alors la question du « canon » de l’AT (1) ou, pour le dire autrement, du statut d’inspiration divine accordé ou non à certains livres. D’où viennent ces différences entre les éditions de la Bible et comment les expliquer ? Existe-t-il un document historique relatant la fermeture du canon ?
Deux formes d’existence de l’Ancien Testament
Comme cela a été mentionné dans l’article « La Bible et ses manuscrits »(2), l’AT nous est parvenu grosso modo sous deux formes différentes : le Texte Massorétique (TM) rédigé en hébreu et la Septante (LXX) rédigée en grec. Bien que ces deux formes de l’AT soient assez proches, on relève un certain nombre de différences. La version grecque, en effet, varie dans l’arrangement des livres bibliques qui la composent par rapport autexte hébreu. Ce dernier s’organise en présentant tout d’abord la Torah, puis les Prophètes et enfin les Ecrits. Le canon hellénistique reflété par la LXX, quant à lui, s’organise en quatre parties, à savoir le Pentateuque (correspondant à la Torah), les livres historiques, les livres poétiques et les prophètes. La plupart des introductions de nos Bibles d’étude présentent ces différences.
L’arrangement tripartite du TM semble le plus ancien et le mieux attesté. La formule « la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes » est d’ailleurs utilisée dans le NT en Luc 24.44. Il faut comprendre ici la mention du livre des Psaumes comme désignant l’ensemble de la section des Ecrits, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il en constitue l’œuvre majeure. En revanche, la répartition des livres entre les Prophètes et les Ecrits semble plus floue et varie selon les manuscrits des premiers siècles de notre ère.
Toujours du côté des différences entre le texte hébreu et grec, la LXX comporte certains livres que le TM omet. Parmi ceux-ci, les livres de Judith, Tobit, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Siracide, Baruch, Lettre de Jérémie et les ajouts aux livres d’Esther et de Daniel sont les livres retenus dans la tradition catholique. Le canon orthodoxe reprend tous les livres présents dans la LXX et comprend, en plus des livres déjà cités, 3 et 4 Maccabées, 3 et 4 Esdras, Prière de Manassé et le Psaume 151. Tous ces livres sont des écrits juifs et certains d’entre eux, à l’exemple d’1 et 2 Maccabées, nous livrent des informations sur la période entre la fin de l’AT et celle du NT, période dite « intertestamentaire ». Certains de ces livres ont par ailleurs été cités par des Pères de l’Eglise et l’on a retrouvé quelques fragments en hébreu ou en araméen de Siracide, Tobit ou du Psaume 151 dans les manuscrits de la mer Morte.
Le canon de l’Ancien Testament
Aucun document historique ne parle d’une quelconque décision officielle concernant la fermeture du canon. Ceci rend donc la recherche historique difficile mais pour le moins intéressante. On a avancé l’hypothèse qu’un concile ayant pour but de fixer le contenu précis du canon se serait tenu à Jamnia en Israël à la fin du Ier siècle. Cependant, les sources historiques juives, en l’occurrence la Mishna, ne parlent en fait que de débats concernant deux livres, l’Ecclésiaste et le Cantique des Cantiques. Or, on retrouve plus tard d’autres discussions sur ces deux livres, ce qui vient démentir l’hypothèse d’une décision officielle à Jamnia.
Il nous faut donc distinguer la constitution du canon de sa clôture. La constitution a pu se faire progressivement, par groupes de livres ajoutés les uns aux autres au fil du temps, selon l’autorité et l’inspiration divine qu’on leur reconnaissait. S’il est impossible de mentionner une date de constitution du canon, on peut toutefois souligner trois aspects permettant d’établir une fourchette probable. Premièrement, le canon n’a pu être clos avant que les derniers livres de l’AT soient rédigés, autour du Ve siècle avant notre ère. Ensuite, on retrouve des indices importants, comme une mention de la division tripartite de l’AT, dans le prologue du livre du Siracide (130 av. J.-C.), ce qui tend à démontrer que le canon était déjà relativement constitué à cette époque. Finalement, Flavius Josèphe, historien juif du Ier siècle avant notre ère, témoigne clairement d’un canon figé semblable à celui du TM.
Les livres acceptés respectivement par les Bibles d’obédience catholique ou orthodoxe sont nommés par ces derniers « deutérocanoniques », car on reconnaît à la fois leur caractère canonique et second. La décision d’ajouter officiellement certains livres au canon catholique a été prise en 1546, lors du concile de Trente, alors que le canon orthodoxe a de tout temps suivi le canon de la LXX. Au regard des sources anciennes, il est vrai que certains de ces livres ont parfois été perçus comme sacrés, comme par exemple le livre du Siracide dans la communauté de Qumrân. Cependant, il convient de noter que les membres de cette communauté, les « esséniens », formaient une secte en marge du reste du judaïsme de l’époque. Origène (IIIe siècle ap. J.-C.), quant à lui, classe les livres de Judith, Tobit et Sagesse parmi les livres saints, bien qu’il reconnaisse que la Sagesse n’est pas unanimement acceptée.
Alors comment faire la part des choses ? Le regard et les citations du NT sur ce qu’il nomme « l’Ancienne Alliance » sont assez éclairants. On retrouve des citations de l’ensemble de l’AT à l’exception de sept livres (Juges, Ruth, Esdras, Esther, Cantique des Cantiques, Lamentations et Abdias). Certaines citations des livres du Siracide et de Tobit apparaissent dans le NT, mais elles correspondent aussi à des formules attestées dans des ouvrages canoniques. Ainsi, il serait inapproprié de parler de citations pour ces trois cas. Pour ces raisons, les juifs et les protestants ne considèrent pas les livres deutérocanoniques comme inspirés et les désignent par le terme « apocryphes », ce qui signifie « cachés ».
En bref
Finalement, il n’y a pas grand-chose qu’on puisse prouver réellement concernant l’évolution de la formation du canon, car l’histoire ne donne pas de réponses de manière stricte. En effet, nous ne pouvons pas donner de date à laquelle le canon aurait été définitivement clos. Pour autant, tout ce que l’on sait de l’histoire d’Israël rend suspect l’hypothèse que certains livres d’avant le IVe siècle av. J.-C. soient passés inaperçus pour ensuite devenir sacrés entre le IVe siècle et la période du NT. Le statut d’autorité que ce dernier donne à la plupart des livres de l’AT protestant renforce d’ailleurs ce constat.
D’une certaine manière, il est plutôt rassurant que ce ne soit pas lors d’un concile composé d’hommes que le canon ait été fixé. Il faudrait alors être certain que ces hommes-là étaient bien inspirés par Dieu. Finalement, c’est par leur caractère inspiré et sacré que les livres de l’AT protestant se sont imposés d’eux-mêmes comme devant être intégrés au canon.
Antony Perrot
Notes
1) Cet article ne vise pas l’exhaustivité et décrit les choses de façon assez schématique. Notamment, il n’aborde pas la question des livres pseudépigraphes intertestamentaires.
2) Cet article d’Antony Perrot est disponible sur lafree.ch.