"Angelina Grimké : une femme du XIXe siècle plaide la fin de l’esclavage" par Antje Carrel

lundi 02 décembre 2013

Angelina Grimké est la première femme du Sud des Etats-Unis à s'être opposée à l'esclavage. Avec véhémence, elle a dénoncé au début du XIXe siècle l'abomination de cette institution. Figure évangélique de résistance par rapport à son milieu et à la société, elle a répondu ainsi à l'appel de Dieu pour sa vie.

Dans le Sud américain des années 1800, on attendait des jeunes filles de bonne famille qu'elles soient pieuses et dociles. Leur éducation ne les prédisposait pas à être courageuses et indépendantes, et encore moins à militer pour l'abolition de l'esclavage. Cependant, au sein même de cette société patriarcale composée de familles de propriétaires d'esclaves, une femme pas comme les autres voit le jour le 20 février 1805 : Angelina Grimké. Issue d'une des familles les plus fortunées et influentes de Caroline du Sud – deux membres de sa famille ont été gouverneurs de l'Etat, son père, juge à la cour suprême de cet Etat – Angelina passe une enfance aisée, rythmée par un séjour annuel de six mois sur la plantation familiale en dehors de Charleston. C'est sur cette plantation que la jeune fille découvre les horreurs de l'esclavage, entre conditions de travail insupportables dans les champs de riz ou de coton et châtiments injustes. Dès son plus jeune âge, elle montre de l'aversion vis-à-vis de cette institution qui condamne ses compagnons de jeux à une vie d'asservissement. A l'âge de treize ans, Angelina refuse de confirmer son engagement chrétien dans l'Eglise épiscopalienne. Elle se détache ainsi de la foi de ses parents. Quelques années plus tard, elle fait l'expérience d'une conversion et rejoint l'Eglise presbytérienne. Dès lors, Angelina Grimké organise des réunions de prière pour les esclaves de sa famille. Elle invite les membres de son Eglise à dénoncer l'esclavage. Les débats qu'Angelina développe avec son voisinage, le pasteur et les anciens de sa communauté presbytérienne, révèlent une jeune fille dotée d'un caractère fort et indépendant, pourvue de grands idéaux et de valeurs progressistes, ainsi que d'une foi profondément ancrée dans la Bible et d'une espérance forte en son Sauveur. A l'âge de 23 ans, Angelina écrit dans son journal : « Si je suis obéissante au murmure doux et léger de Jésus dans mon cœur, il me conduira dans des chemins plus difficiles, et ainsi m'amènera à le glorifier, lui, dans une œuvre plus honorable et plus éprouvante que tout ce que j'ai fait par le passé. » Habitée d'un désir de vivre une vie qui compte, Angelina recherche la volonté de Dieu pour sa vie.

L'abolition comme appel
Remplie de compassion envers les esclaves et animée d'un profond désir de justice dès son adolescence, ce n'est qu'à l'âge de 29 ans qu'Angelina Grimké décide d'agir selon ses idéaux et commence ainsi à s'intéresser avec assiduité au thème de l'abolition. Alors qu'elle croyait la cause des esclaves sans espoir, elle lit des textes abolitionnistes écrits par une nouvelle génération de partisans de « l'émancipation immédiate »(1), majoritairement évangéliques. Angelina découvre des principes anti-esclavagistes remplis de vérité biblique. Cette réflexion grandissante autour de l'abolitionnisme s'enrichit d'un engagement spirituel. Dans son journal, elle remarque : « Mon âme s'est en quelque sorte tenue à la place de l'esclave infortuné, et mes prières les plus ferventes ont été déversées pour que le Seigneur m'autorise à être un instrument de bonté envers nos semblables déshonorés, opprimés et tourmentés. » Cette remarque fait écho aux expériences de son enfance sur la plantation. Lorsqu'elle entendait dire qu'un esclave allait être puni, Angelina s'enfermait dans sa chambre. Se sentant en quelque sorte responsable d'une telle punition, elle se mettait à prier ardemment pour que la punition soit levée. Après avoir assisté à tant d'injustices, Angelina ne supporte plus de vivre dans sa Caroline natale. Elle quitte son Etat d'origine pour le nord des Etats-Unis, plus conciliant avec ses idéaux. Et c'est en côtoyant notamment le cercle des Quakers que la jeune femme se met à soutenir cette cause de « justice, de compassion et d'amour » qu'est l'abolitionnisme. Cette même cause l'amènera à dire : « Aussi longtemps que je vivrai, et que l'esclavage persistera, je me dois de lutter contre lui. »

Des femmes appelées à agir
En août 1835, alors que le Nord est agité par des manifestations contre le mouvement abolitionniste, Angelina Grimké développe la conviction profonde que l'Esprit l'appelle à s'afficher publiquement. Malgré les préjugés sociaux hostiles à la prise de parole publique des femmes, Angelina répond à un article de William Lloyd Garrison, grand abolitionniste du moment. Alors que Garrison déclare que les abolitionnistes ne céderont pas d'un pouce, elle l'encourage, lui et ses partisans, dans leur lutte. « Le terrain sur lequel vous vous tenez, ne le laissez jamais, jamais tomber, car c'est un terrain saint », lâche-t-elle. Angelina rappelle aux abolitionnistes que cet engagement ne va pas sans un coût. Mais elle soutient que la persécution mènera non seulement à l'abolition de l'esclavage mais aussi à la purification de l'Eglise, qui, selon elle, s'est rendue coupable en acceptant une telle institution aux Etats-Unis.
Angelina Grimké est la première femme du Sud des Etats-Unis, issue d'une famille de propriétaires d'esclaves, à se soulever contre l'institution qui a permis l'établissement d'une société comme la sienne. Sa réponse à William Lloyd Garrison a beaucoup d'effets. Une année après, en 1836, Angelina Grimké écrit son Appel aux femmes chrétiennes du Sud. Ce texte positionne Angelina comme une personnalité abolitionniste majeure dans les Etats du Nord des années 1830. Par une analyse rigoureuse de la Bible, Angelina montre l'égalité de tous les êtres humains en se fondant sur Genèse 1. Elle condamne ainsi le traitement réservé aux esclaves qui sont considérés comme du vulgaire bétail, alors que l'homme a reçu autorité sur les animaux et non sur ses confrères. Angelina réfute les arguments en faveur de l'esclavage, en montrant la différence qu'il y a entre un serviteur dans l'Ancien Testament sous la loi juive et les esclaves du Sud américain d'avant la Guerre civile. Alors que sous la loi juive, les esclaves sont protégés et ont le droit de recouvrer leur liberté tous les sept ou tous les cinquante ans, les esclaves du Sud américain sont asservis à vie. De plus, ils sont traités cruellement par les plus fervents des chrétiens. Angelina s'adresse tout particulièrement aux femmes, qui, même si elles se sentent incompétentes, sont « les épouses et les mères, les sœurs et les filles » de ceux qui font les lois. Elle les appelle à l'action pour influencer le cours de l'esclavage. S'informer, prier, en parler et agir, tels sont les encouragements qu'Angelina donne aux femmes du Sud américain.

2,25 millions de personnes privées de leur humanité
Alors que son Appel est brûlé dans le Sud et qu'il lui vaudra l'interdiction de visiter sa ville natale de Charleston, elle est acclamée dans le Nord pour son point de vue inédit. Projetée sur le devant de la scène abolitionniste par ses écrits, Angelina rejoint le comité de la Société américaine antiesclavagiste en novembre 1836. Secondée par Sarah, son aînée, qui a suivi ses pas, elle devient une oratrice très prisée de conférences organisées dans les Etats du Nord. Pendant une année et demie, elle parcourt sans répit ces Etats où elle est invitée à parler à des groupes de femmes ainsi qu'à des groupes d'hommes. L'originalité de son propos, l'information qu'elle délivre de première main et son tempérament profondément chrétien font adhérer de nombreuses personnes à la cause abolitionniste et permettent l'avancement de nouvelles réformes. Angelina sensibilise les citoyens du Nord à la situation catastrophique des esclaves. Elle dénonce le péché commis dans le Sud. Elle accuse les propriétaires d'esclaves de voler aux Noirs leur humanité, ce qui est contraire non seulement à la Bible mais aussi à la Déclaration d'indépendance américaine. Alors que rien qu'aux Etats-Unis, 2,25 millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont sous le joug de l'esclavage, Angelina s'attend à une punition divine. Dieu se doit de purger la terre américaine de ce péché.

Une voix pour les muets
En mai 1838, Angelina Grimké épouse Theodore Dwight Weld, une des personnalités majeures du mouvement abolitionniste des années 1830. Ce couple d'abolitionnistes décide de rendre son mariage légal grâce à douze témoins lors d'une cérémonie religieuse. La présence de personnes de couleur parmi les témoins est un acte fort politiquement. Le couple montre ainsi, contrairement aux lois en vigueur, que Noirs et Blancs sont égaux. Angelina Grimké Weld donne son dernier discours public lors de la convention américaine antiesclavagiste à Philadelphie, le 18 mai 1838. Alors qu'une manifestation fait rage en dehors du Pennsylvania Hall, là où a lieu la conférence, Angelina délivre un discours éloquent, entrecoupé de cassages de vitres et de cris des manifestants hostiles. Cette femme du Sud invite ses compatriotes du Nord à ne surtout pas lâcher, et « au milieu de ces menaces et de ces insultes, [à ouvrir] nos bouches pour les muets et [à plaider] la cause de ceux qui sont prêts à mourir pour trouver leur liberté ». Pour des raisons de santé, Angelina se retire de la vie publique, mais l'abolition de l'esclavage reste l'une de ses priorités. Alors que son engagement a été de très courte durée, son témoignage a joué un rôle très important dans l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis en 1865, avec la promulgation du 13e amendement qui stipule que : « Ni esclave, ni servitude involontaire [...] n'existeront aux Etats-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction. »
Antje Carrel

Les citations de cet article sont tirées des écrits des sœurs Grimké rassemblés dans le livre : Larry Ceplair (éd.), The Public Years of Sarah and Angelina Grimké, New York, Columbia UP, 1989.

Note
1 « L'émancipation immédiate » est différente de l'abolition graduelle, qui est un lent processus commençant par l'abolition de la traite des esclaves et qui, petit à petit, veut changer les mœurs. Elizabeth Heyrick, abolitionniste britannique, dénonce l'abolition graduelle d'un Thomas Clarkson ou d'un William Wilberforce dans son tract influent de 1824 : Immediate, not Gradual Abolition.

  • Encadré 1:

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