« Une brève histoire de l’avenir », une recension du dernier livre de Jacques Attali

lundi 19 mars 2007
Le livre de Jacques Attali, « Une brève histoire de l’avenir », plonge ses lecteurs dans l’avenir de notre monde. Dans une prospective à vous faire froid dans le dos sur l’urgence de l’histoire et le devenir chaotique de l’humanité, il mentionne aussi « l’évangélisme », auquel il prête une évolution pour le moins dérangeante. Alain Normand propose une réflexion sur divers aspects de ce livre.

Le livre « Une brève histoire de l’avenir », de Jacques Attali, est important. Il interpelle, bouscule, questionne. Son contenu à la fois réaliste et utopique avant l’heure a le mérite de nous pousser à la réflexion quant au futur de l’humanité dans lequel nous sommes tous déjà engagés. Et peut-être de s’interroger quant à la réalité et la qualité de la présence au monde, même modeste, de nos Eglises évangéliques.

Ni science-fiction ni prédiction
Le livre  de Jacques Attali se veut une projection sérieuse sur l’avenir plausible. Il n’a rien de la science-fiction et il est bien certain que, l’écrivant, il n’a pas cherché à jouer les Nostradamus. D’ailleurs, dans son avant-propos, il se veut honnête pour dissiper toute illusion sur sa démarche : « Pour leur laisser (à nos enfants et petits-enfants) une planète fréquentable, il nous faut prendre la peine de penser l’avenir, de comprendre d’où il vient et comment agir sur lui. C’est possible : l’Histoire obéit à des lois qui permettent de la prévoir et de l’orienter. »  
Cela nous fait penser à certains prophètes de l’Ancien Testament qui prophétisaient les pires catastrophes au peuple d’Israël, et qui montraient en même temps la voie pour les éviter.

Hyperempire, hyperconflit, hyperdémocratie
L’auteur voit les 50 prochaines années en trois vagues distinctes quoiqu’entremêlées :  l’hyperempire, l’hyperconflit, l’hyperdémocratie.
Petit à petit, les forces du marché font main basse sur la planète. L’argent en viendra à détruire tout ce qui s’oppose à lui. Les Etats, y compris les Etats-Unis d’Amérique vers 2035, seront ainsi déconstruits. Le marché deviendra alors la loi unique du monde. Ce capitalisme exacerbé débouchera sur l’hyperempire, suscitant richesses et misères extrêmes, tout comme de nouvelles aliénations. Objet d’une hypersurveillance exercée par une technologie numérique pointue, l’individu toujours à la recherche d’une plus grande liberté deviendra de fait sa propre prison.
Si l’humanité refusait cette globalisation, notamment par la violence, elle connaîtrait une succession de guerres terribles, que l’auteur nomme l’hyperconflit, à l’aide d’armes dont nous n’avons pas idée aujourd’hui, opposants les Etats en voie de destruction, des mouvements religieux de différentes obédiences, les terroristes et les pirates superarmés, comme il y en a déjà au détroit de Malacca, du côté de la Malaisie, par exemple. Selon l’auteur, même s’il entrevoit une alternative plus heureuse, il se pourrait aussi, vu les capacités extrêmes de destruction à disposition, que l’humanité en vienne à se faire disparaître elle-même. Mais si l'humanité passe ce cap fatidique en survivant aux violences et aux chaos de ces guerres dévastatrices, son évolution pourra déboucher, de manière ultime, sur la troisième vague.
A son sujet, Jacques Attali écrit : « Si la mondialisation peut être contenue sans être refusée, si le marché peut être circonscrit sans être aboli, si la démocratie peut devenir planétaire tout en restant concrète, si la domination d’un empire sur le monde peut cesser, alors s’ouvrira un nouvel infini de liberté, de responsabilité, de dignité, de dépassement, de respect de l’autre. C’est ce que je nommerai l’hyperdémocratie. Celle-ci conduira à l’installation d’un gouvernement mondial démocratique et d’un ensemble d’institutions locales et régionales. » En fait, l’auteur appelle de ses vœux l’avènement d’une intelligence universelle. Au degré ultime d’évolution, « pourra naître – est peut-être déjà née – une hyperintelligence du vivant, dont l’humanité n’est qu’une infime composante. Cette hyperintelligence du vivant n’agirait alors plus en fonction du seul intérêt de l’espèce humaine. L’histoire singulière de l’Homo sapiens trouverait là son terme. Non pas dans l’anéantissement, comme dans les deux premières vagues, mais bel et bien dans le dépassement. »
Le concept même de l’évolution de l’humanité et son happy end selon Jacques Attali, pour intéressants qu’ils soient, ne sont pas sans susciter les interrogations d’une nécessaire sagacité, tout comme ce qu’il dit sur un certain avenir de « l’évangélisme »…

L’hyperconflit et « l’évangélisme »
A ce stade de son développement, il évoque « La colère des croyants ». Il écrit à ce sujet : « Si, selon l’idéal judéo-grec, l’Ordre marchand représente l’aboutissement bienvenu du progrès et de l’individualisme, il constitue aussi, pour d’autres croyants, le pire ennemi : parce que la liberté humaine y passe avant les ordres de Dieu ». Et il cite le christianisme et l’islam. « Certains mouvements chrétiens reprocheront – reprochent déjà – au marché et à la démocratie de sécréter des désirs futiles, de favoriser la luxure et l’infidélité, de commercialiser des valeurs morales, de laisser la science penser le monde autrement que le décrit la lettre des textes sacrés, de renoncer à donner un sens à la mort, d’édicter un droit différent de celui de la Bible. Ils s’opposeront, en particulier, à toute forme d’avortement, de contrôle de naissance, d’euthanasie. (…) Certains d’entre eux iront jusqu’à considérer que l’usage de la force est théologiquement licite. (…) Des Eglises protestantes seront à l’avant-garde de ces luttes. En particulier l’évangélisme, venu de plusieurs états du sud des Etats-Unis - la « Bible Belt » -, et qui regroupe plus de 70 millions de ressortissants américains, dont plusieurs centaines de pasteurs-propagandistes. (…) Seuls parmi les grandes démocraties à n’avoir jamais connu un passé de dictature, les Etats-Unis pourraient alors, vers 2040, être la proie d’une tentation théocratique, explicite ou implicite, sous la forme d’un isolationnisme théocratique où la démocratie ne serait plus qu’une apparence. »
Plus troublante, cette pensée que des Eglises évangéliques d’Afrique et d’Amérique latine pourraient devenir des « puissances financières, idéologiques, militaires et politiques majeures ». Et plus préoccupante encore cette assertion : « Elles s’entendront, comme elles l’ont déjà fait, avec des mafias, des empires du crime, des maîtres du jeu et pourraient fort bien s’allier, ça et là avec des pirates laïcs, trafiquants d’armes, de femmes ou de drogues. Elles rivaliseront aussi, frontalement avec l’islam, avec lequel la concurrence sera acharnée. »
Cela vous surprend ? Moi aussi. Mais, à demi, je dois dire… Nous y reviendrons dans ma conclusion.

Réflexions en guise de conclusion provisoire
Jacques Attali, d’origine juive, intellectuel surdoué et penseur hors norme, ex conseiller du président François Mitterrand, et ami selon ses dires du présidentiable Nicolas Sarkozy, (bien qu’étant lui-même d’une autre famille politique), familier de beaucoup d’hommes politiques et de personnalités marquantes dans le monde, offre une base de réflexion inattendue sur le devenir de notre monde, qui ne passe pas inaperçue.
Pour ce qui est de l’hyperempire et la loi unique du marché régi par l’argent, nous ne devrions pas être trop surpris : le Jésus des Evangiles nous aura déjà prévenus des méfaits diaboliques du règne de Mammon. Pourtant le côté implacable, massif, global et tentaculaire de son emprise, tel qu’il est décrit dans ce livre, pourrait nous saisir d’une certaine épouvante. Comment allons nous réagir en tant qu’individus ou Eglises ? Les laissés-pour-compte seront si nombreux, que la compassion des croyants pourra s’exercer à la fois spirituellement, par l’évangélisation, et de manière caritative, par le partage. Comme disait un sage, « le meilleur moyen de déboulonner Mammon, c’est encore de le… donner ! »
En ce qui concerne l’hyperconflit, il suffira, avec un sens de l’urgence, de se reporter aux paroles de Jésus, en Matthieu 24, qui prennent désormais un relief d’actualité extraordinaire. Par contre ce que Jacques Attali dit de « l’évangélisme » en relation avec cette période de violences nous choquerait-il ?
Il serait plus utile, à son écoute, de prendre conscience assez tôt de nos faiblesses pour y remédier avec courage et espérance. C’est vrai que nous avons aussi au sein de la famille globale des évangéliques nos frères flingueurs… C’est vrai que des évangéliques dans le monde ne seraient déjà pas trop regardant quant à la provenance de la finance… C’est vrai que partout dans le monde où les évangéliques font du nombre, la tentation sera – est déjà – grande de combattre la persécution autrement que par des armes spirituelles… C’est vrai que parmi le grand nombre de « convertis » que « font » les évangéliques tous ne sont pas automatiquement nés de l’Esprit…
Face à de futurs « Rwanda », comment réagiront les évangéliques en situation de génocide et d’épuration ethnique ou religieuse? Quelle formation recevons-nous dans nos Eglises à ce sujet, et où sont  nos ministères prophétiques pour enseigner nos frères et sœurs dans les régions concernées ? De quelle foi notre cher mouvement évangélique sera-t-il capable face aux nouveaux défis considérables de l’humanité ?
Quand Jacques Attali aborde l’hyperdémocratie, il semble bien croire en l’évolution de la vie débouchant sur un « messianisme » humaniste, socialisant et laïque, où l’intelligence universelle serait devenue son propre « messie ». Mais il ne dit pas par quelle baguette magique cela deviendrait soudain possible. Et c’est bien là que réside une faiblesse de son livre pourtant si intéressant. Au contraire de la révélation biblique qui ose parler du jugement des nations, de la nécessaire repentance du cœur, de la foi personnelle et d’un Sauveur pour le monde, il se montre enfermé dans le sophisme un peu court d’un hypothétique salut de l’homme par l’homme.

La trompette du jugement
Au moment où ce livre important sur le devenir possible et imminent de l’humanité est reçu avec un certain succès, les évangéliques francophones restent sans voix en matière d’avenir, de fins dernières.
Trop de dérives interprétatives chez les millénaristes d’une part et la fadeur d’un
amillénarisme sans perspective prophétique d’autre part ont fini par nous bâillonner à ce sujet. L’espérance chrétienne quant à l’avènement du Seigneur est pourtant fondamentale, aujourd’hui comme au début. Comme l’a si bien dit le réformé Jacques Ellul, maintenant, l’indispensable charité envers l’humanité nous appelle à emboucher la trompette du jugement, et à annoncer avec courage et humilité le salut qui est venu, qui vient et qui viendra en Jésus, le Sauveur du monde.

Alain Normand
MEDIA Communication Evangélique

Indication bibliographique : Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Paris, Fayard, 2006.

  • Encadré 1: Biographie sommaire de Jacques Attali
    Jacques Attali est né en 1943 en Algérie dans une famille juive. En 1956, sa famille s’installe en France. Etudes brillantes. En 1966, il sort Major de Promotion  de Polytechnique. Il deviendra aussi Docteur d’Etat en sciences économiques, Ingénieur de l’Ecole des mines de Paris, diplômé de Science Po et de l’ENA. En 1981, le président de la République François Mitterand le nomme « conseiller spécial ». Il rédige chaque soir des notes pour le président sur l’économie, la culture, la politique ou le dernier livre qu’il a lu. C’est lui qui conseillera au président de faire venir à l’Elysée quelques énarques prometteurs, comme le couple François Hollande/Ségolène Royal… En 1990, il quitte l’Elysée et devient le premier président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Il est actuellement président de PlaNet Finance, une association à but non lucratif, qui aide 7'000 institutions de micro finance de par le monde. Ecrivain, il a publié à ce jour trente-neuf livres, et ses articles sont nombreux dans la presse.
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