Mark Driscoll est qualifié de « géant de la scène évangélique états-unienne » par le New York Times. Ses sermons enregistrent à chaque fois 200'000 clics en moyenne sur internet et son Eglise compte plus de 15'000 fidèles répartis dans une quinzaine de lieux de culte. Le quotidien américain a toutefois mis à mal fin août la réputation de ce pasteur en révélant qu’il est l’objet d’une plainte qui demande son retrait. Vingt et un anciens responsables de son Eglise lui reprochent en effet ses abus spirituels. Ils l’accusent de créer une culture de la peur, de faire preuve d’autoritarisme et d’utiliser les fonds de la communauté pour financer le marketing de ses livres.
Maître assistant en sociologie à l’Université de Lausanne, Philippe Gonzalez commente ce qui s’est passé.
A partir de ce cas particulier, comment expliquer la fascination qu’exercent ces méga-Eglises ?
Philippe Gonzalez : « Les méga-Eglises américaines attirent du monde avant tout en raison du charisme de leur pasteur. Il existe une vraie starification du pastorat aux Etats-Unis. Les prédicateurs ont d’ailleurs parfois du mal à la gérer et peuvent devenir abusifs et narcissiques. Mark Driscoll, auteur d’une quinzaine de livres, a en l’occurrence été certes accusé de plagiat, mais il est aussi épinglé pour le mobbing qu’il a fait subir à une bonne partie de l’équipe qui travaille avec lui. Ces méga-Eglises sont en outre très en phase avec la culture médiatique contemporaine. Ce sont d’énormes complexes qui ressemblent à des méga-centres commerciaux en dehors des villes, avec des parkings gigantesques pour drainer les foules. En découle une culture marketing, une sorte de standardisation cultuelle. »
Jusqu’à proposer des prédications à « seuil bas » ?
Philippe Gonzalez : « Le dimanche matin, il y a un seuil de communication qui est abaissé pour que ceux qui sont en recherche spirituelle puissent s’intégrer. La semaine, un travail théologique plus approfondi intervient dans de petits groupes. C’est le paradoxe des méga-Eglises : ces lieux de grand spectacle dominical sont doublés de toutes sortes de groupes chaleureux. Ces Eglises répondent donc à un double besoin : celui d’être en phase avec les codes audio-visuels d’aujourd’hui et celui de reformer de petites communautés dans une Amérique périurbaine. »
Est-ce que le modèle peut se développer en Suisse ?
Philippe Gonzalez : « Comme ces méga-Eglises américaines, ICF propose dans quelques grandes villes de Suisse des cultes pop-rock le dimanche matin avec orchestre ; en parallèle, elle offre des petits groupes de partage où on peut creuser la Bible et partager ses expériences. Cela dit, le modèle ne peut se traduire à grande échelle en Europe voire en Suisse tel quel, car il est avant tout lié au développement de la démographie et de l’habitat aux Etats-Unis. C’est une façon là-bas de recréer des communautés. »