Il y a quelques décennies, une génération passait en 25 ans. Le film Tanguy, sorti en 2001, présente un jeune de 28 ans, largement diplômé, qui vit encore chez ses parents. A l’époque, le phénomène était inhabituel. Aujourd’hui, il est normal.
En fait, le passage d’une génération n’est pas une question de nombre d’années, mais d’étapes franchies, permettant de passer aux étapes suivantes. Ce qui était clairement défini et prenait 25 ans par le passé est devenu flou aujourd’hui. Voici cinq étapes qui ne se passent plus comme par le passé.
Une génération en cinq étapes
1 . La fin de la formation.
Avant, les choses étaient claires. Aujourd’hui, les jeunes savent qu’ils se formeront toute leur vie. En moyenne, la fin des études arrive tard, vers 28 ans. Un nombre croissant de jeunes suivent des études supérieures qui ne leur donnent pas forcément un métier. Puis, à 35, 40 ou 45 ans, beaucoup d’adultes sont à nouveau en train de se former.
2 . L’indépendance financière.
Avant c’était clair : on n'avait pas d’argent, puis on commençait à travailler, et alors on avait de l’argent. Aujourd’hui, un jeune n’a pas d’argent ; il fait un boulot d’étudiant ; il pense qu’il a de l’argent ; il recommence des études ; il n’a plus d’argent ; il travaille pendant ses études ; il ne sait pas s’il aura suffisamment… De nombreux parents continuent de soutenir financièrement leurs enfants mariés. Le moment de l’indépendance financière est devenu flou et ne permet plus de passer d’une génération à l’autre.
3 . Le moment de quitter le foyer.
Avant, on finissait ses études, on commençait à travailler et on quittait la maison. Aujourd’hui, le jeune ne finit pas vraiment ses études ; il ne sait pas si un jour il va les finir ; il a commencé à travailler ; il a arrêté ; il va recommencer ; il a trois boulots en même temps mais pas assez d’argent… Quand sera-t-il enfin autonome ? Quand saura-t-il qu’il a passé à la prochaine génération.
4 . Le mariage.
Pendant longtemps, le mariage a été un but évident. Aujourd’hui, pour certains, ça ne l’est plus. Pour d’autres, c’est un but, mais une fois les études terminées et des revenus assurés… Les gens se marient donc de plus en plus tard.
5 . Les enfants.
Il y a quelques décennies, ces cinq étapes étaient généralement franchies au moment où un jeune atteignait ses 25 ans. Une nouvelle génération était advenue. Aujourd’hui, ces étapes se mélangent et s’éternisent. Par exemple, une jeune femme de 23 ans peut être très avancée à certains égards : suite à une erreur de parcours, elle a eu un enfant à 16 ans. Elle a donc arrêté l’école. Elle ne savait pas trop quoi faire. Maintenant elle reprend sa vie en main. Elle reprend des études. Elle avait quitté le foyer familial, mais elle y retourne à cause de ses études.
Cinq types de générations
Dans notre société, les sociologues décrivent des types de générations en fonction de leur époque. Voici les cinq derniers types de génération.
La génération booster (ou silencieuse) est formée de gens nés entre 1925 et 1945. Ces personnes âgées sont contentes d’exister, de voir leurs enfants et leurs petits-enfants. Elles sont loyales et s’intéressent surtout à leur environnement proche : la famille, le quartier. Leurs références sont l’Etat, l’Eglise et la famille.
La génération boomers est formée de gens nés entre 1945-1960. Ces personnes se préparent à la retraite et à la vieillesse. Cette génération a appris le devoir et la fidélité : « Je viens à l’église parce que c’est important. Ça passe avant le brunch, l’anniversaire, la ballade dominicale ». Ces personnes ont trouvé leur rythme et redoutent les changements. Elles s’intéressent à leur pays et suivent religieusement le téléjournal. Leurs références sont l’Etat, la famille et l’Eglise – qui a malgré tout perdu du crédit à leurs yeux durant la guerre.
La génération X est formée de gens nés entre 1960-1980. Ces personnes courent après le temps : elles ont tant de choses à faire et d’expériences à vivre ! Elles ont aussi besoin de loisirs et du temps pour elles : « Je ne pourrai pas venir au culte à 10 heures, parce que nous avons une fête de famille à 15 heures. J’ai besoin de temps pour moi. J’aurai la famille après : ça va me stresser ! » Pour ces personnes, le monde est fait de deux camps : l’Europe et les Etats-Unis d’un côté… les méchants de l’autre. Leurs références sont la famille et l’Eglise. L’Etat n’est plus trop pris au sérieux à cause des scandales politiques.
La génération Y est formée de gens nés entre 1980 et 2000. Ces personnes sont à la recherche de sens : « J’aimerais comprendre pourquoi on fait ce qu’on fait. Il faut qu’on discute ! » Les relations sont également très importantes : « Il faut qu’on se mette autour de la table. Dis-moi comment tu vas. Moi je vais bien. Je suis bien. Tu es bien. On est bien ! » Ces personnes aiment la diversité, l’originalité, la nouveauté, le changement. Elles s’intéressent au monde entier et veulent avoir mis le pied sur tous les continents avant de mourir. Leurs références ne sont ni l’Etat, ni l’Eglise, ni la famille. Elles connaissent la famille recomposée, après divorces et remariages : leurs amis sont plus vrais et dignes de confiance que leur famille. Quant à la confiance dans l’Etat, elle est oubliée depuis la génération précédente. Et l’Eglise est absente de leurs préoccupations. Leurs nouvelles références sont les amis et les influenceurs. Par exemple : Steve Jobs avec ses ordinateurs, ses smartphones et sa philosophie de vie.
La génération Z est formée de gens nés après 2000. Ces jeunes sont en quête d’appartenance et d’attaches : « Qui est comme moi ? » Il veulent être connectés et regardent à l’apparence. Ils s’intéressent au monde par l’intermédiaire d’internet qui est pour eux une extension du monde. Ils jouent à des jeux vidéo avec des amis qu’ils n’ont jamais rencontrés, avec lesquels ils n’ont jamais mangé, mais qui sont très importants et très réels. Leurs grands-parents n’arrivent pas à comprendre comment ils peuvent se faire harceler sur internet : « Il te dit des horreurs, mais il ne te connaît même pas ! » Mais pour les jeunes de la génération Z, c’est très réel. Leurs références sont les influenceurs du net et Google : « Si j’ai une question, il y a Google qui me donne 400’000 réponses en moins d’une seconde. En plus de cela, je peux choisir la réponse qui me convient. Mon père, lui, n’arrive à me donner qu’une réponse ».
Des générations difficiles à comprendre
Nous constatons que les génération Y et Z sont très différentes des précédentes. Elles ont une autre vision du monde, un autre langage, d’autres valeurs, d’autres centres d’intérêt. Par exemple :
35 % des jeunes des génération Y et Z désirent être leur propre patron, ce qui n’était pas le cas dans les générations précédentes ;
50 % de ces jeunes désirent travailler dans plusieurs pays au cours de leur vie. Si nous leur proposons de s’engager à nos côtés parce qu’ils ont des talents, ils refusent : « Non, j’aimerais bien visiter, étudier, expérimenter d’autres choses ailleurs ! » ;
90 % de ces jeunes considèrent que la communication, l’honnêteté et le soutient sont les qualités essentielles d’un leader : « Tu ne m’as pas soutenu dans mon désir fou d’aller en Allemagne, alors comment veux-tu que je te respecte comme leader ? »
Autrefois, dans une entreprise, un collaborateur recevait une montre à l’occasion de ses 20 ans d’ancienneté. C’était une manière de reconnaître le sérieux et l’engagement. Un jeune ne veut pas attendre ainsi. Dès son deuxième jour de travail, il veut parler au patron et lui dire ce qui devrait changer. Les jeunes sont flexibles et mobiles, ils aiment l’authenticité et l’écoute.
Des générations avec des problèmes
Cependant, les jeunes ont des difficultés spécifiques.
Les jeunes ont souvent une mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils ont été éduqués comme des enfants-rois et ont été seuls pour définir qui ils sont et ce qu’ils aiment. Sans normes extérieures, ils ne savent pas s’évaluer et ils développent une mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils cherchent sur internet l’estime que les adultes ne leur ont pas donnée. Mais internet les humilie.
Les jeunes peinent à gérer le stress. Internet leur permet d’obtenir immédiatement ce qu’ils désirent. Les réseaux sociaux leur permettent d’arrêter instantanément des relations qui ne les intéressent plus. Ils les enferment aussi dans des sortes de « bulles » où les jeunes ne rencontrent que des interlocuteurs qui pensent comme eux. Du coup, parce qu’ils ne sont plus confrontés à d’autres opinions, ils imaginent que tout le monde pense comme eux. Ils peinent à gérer les relations : lorsque le patron leur demande de faire autrement, ils se sentent incompris et décident de démissionner.
Les jeunes ne connaissent pas la patience et les processus qui demandent du temps. Google leur donne 400’000 réponses en moins d’une seconde, alors que les génération précédentes devaient laborieusement chercher des réponses dans les dictionnaires. Dans l’Eglise, un jeune dit : « Il faut qu’on change ». Il entend : « Oui, c’est une bonne idée, on va en discuter ». Il répond : « Non, c’est trop tard. Je n’ai plus envie de ce changement ! Je préfère un nouveau changement ». Les jeunes doivent apprendre que les bonnes choses mettent parfois du temps à se développer et à arriver.
Les jeunes peinent à évaluer le succès. Pour eux, le succès se mesure en chiffres, en résultats, en nombre de « followers ». On leur dit : « Le succès de Jésus, c’était douze disciples. Alors pourquoi n’es-tu pas content avec cinquante personnes à l’église ? » Ils répondent : « J’ai des centaines de followers sur Intagram. Comment veux-tu que je me contente de douze ou de cinquante ». Il est nécessaire de redéfinir la notion de succès avec eux.
Trois attitudes indispensables
Lorsque nous voulons collaborer efficacement avec des jeunes, nous devons développer en particulier trois attitudes.
1 . Savoir pourquoi on fait ce qu’on fait.
Les jeunes ont besoin de savoir pourquoi on fait les choses avant de s’engager. Les générations précédentes s’engageaient par loyauté et par obéissance. Aujourd’hui, les jeunes commencent par déconstruire : « Il faut placer des chaises en vue de la réunion… mais pourquoi pas plus de chaises, pourquoi pas moins, pourquoi dans ce sens ? » Les jeunes déconstruisent parce que, dans leur culture, ils ont été déçus, blessés, humiliés.
Nous devons apprendre à déconstruire sans crainte et reconstruire avec eux. Par exemple, nous devons nous demander : « Pourquoi un culte ? Pourquoi le dimanche ? Pourquoi le matin ? Pourquoi ce jour semble-t-il plus approprié qu’un autre ? Pourquoi la spiritualité devrait-elle se vivre ainsi ? Pourquoi faut-il un président ? Pourquoi la louange ? Pourquoi la prédication ? Pourquoi les annonces ? » Cela ne signifie pas que nous devons tout changer, mais que nous devons connaître les raisons de nos choix.
2 . Cultiver les relations.
Les relations sont le nouveau standard du leadership. Par le passé, le leader était une sorte de professeur dont on avait peur de s’approcher. Aujourd’hui, c’est différent… ou plutôt, c’est à la manière de Jésus qui explique à ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs…. Je vous appelle mes amis » (Jn 15.15).
3 . Etre authentique.
Nous parlons toujours beaucoup plus avec notre vie qu’avec nos mots. Et nous écoutons plus attentivement une personne vraie qu’une personne qui a toujours raison. Nous devons donc absolument chercher à vivre et incarner ce que nous racontons : les jeunes sont très sensibles à cela. Gandhi
a dit : « Sans doute serais-je chrétien, si les chrétiens l'étaient vingt-quatre heures par jour ». Le manque d’authenticité est l’une des grandes raisons pour lesquelles les jeunes quittent les Eglises en masse.
Savoir se montrer vulnérable, parler de ses craintes, de ses rêves, de ses défis fait partie de l’authenticité. Les générations précédentes attendaient des leaders qu’ils soient forts, qu’ils aient raison et montrent la direction. La nouvelle génération demande : « Tu es infaillible, tu n’as jamais peur, tu ne pleures jamais… Alors comment veux-tu que je te fasse confiance ? »
Yves Bulundwe