« J’avais 26 ans. Je travaillais dans un bureau d’assurances. Je vivais avec des angoisses que je n’arrivais pas à exprimer. Du jour au lendemain, ça a comme explosé : je suis parti sur la route dans un délire mystique ; je n’ai rien mangé, pas dormi et presque pas bu pendant trois jours. » Nicolas Boss a la voix posée. Vingt ans plus tard, marié, père de deux enfants, ce membre de l’Eglise évangélique La Passerelle à Vevey (FREE) met les mots de « décompensation psychotique » sur cet épisode. Il explique avoir été amené à l’hôpital somatique pour réhydratation, puis à l’hôpital psychiatrique. « J’étais hagard... Vidé de toute énergie, je dormais entre 15 et 17 heures par jour. » Il a ensuite vécu une longue période en unité de réhabilitation thérapeutique. « J’avais perdu mon travail, mes repères... Une chose est sûre : la maladie a changé le cours de ma vie ! »
J’avais perdu mon travail, mes repères... Une chose est sûre : la maladie a changé le cours de ma vie ! – Nicolas Boss
Personne n’est à l’abri
La souffrance psychique est le grand défi sanitaire actuel en Occident. Diverses études s’accordent pour dire qu’elle touche chaque année 20 à 30% de la population. Personne n’est à l’abri. « Le diktat selon lequel il faut être jeune, riche et beau est épuisant, commente au Mont-sur-Lausanne Joëlle Gaillard Wasser, médecin-psychiatre, également médecin responsable de la maison Béthel à Blonay. Les exigences professionnelles sont exponentielles, le rythme de vie effréné, le cerveau sans cesse stimulé. » Sans surprise, les burnouts, dépressions et décompensations de toutes sortes sont en augmentation. Mais ces épisodes peuvent enrichir la personne et la transformer, dit celle qui aime à ce propos prendre la métaphore de l’huître : des cailloux peuvent la blesser, mais ils lui permettent aussi de sécréter une perle. « Cela signifie que grâce à la maladie psychique, une personne peut découvrir de nouvelles dimensions de la vie, des facettes d’elle-même qu’elle ne soupçonnait pas, et qui peuvent la rendre encore plus précieuse, recherchée ! »
Nicolas Boss travaille aujourd’hui à temps partiel à la maison Béthel en tant que « pair-praticien en santé mentale ». Il a fait partie à l’EESP (1) de Lausanne de la première volée 2013-2014 de ce nouveau métier initié par l'Association romande Pro Mente Sana et la Coordination romande des associations d'action en santé psychique. A l’origine de cette formation, il y a le concept Recovery, « Rétablissement » en français.
Processus de transformation
Né aux Etats-Unis dans les années 90 grâce aux usagers de la psychiatrie, Recovery a été choisi l’année dernière pour être LE concept de soins de la filière psychiatrique du Service de la santé publique du canton de Vaud. « A la maison Béthel, nous l’avons choisi dès 2013 déjà », glisse Joëlle Gaillard Wasser. De quoi s’agit-il ?
Dans une brochure publiée par Pro Mente Sana, une personne qui a connu la maladie psychique définit très justement le concept comme un processus : « Se rétablir ne veut pas dire que l’on est « guéri » ou simplement dans un état stable. Le rétablissement est un processus de transformation au cours duquel on accepte ses limites et découvre en soi tout un potentiel de nouvelles possibilités. C’est là le paradoxe du rétablissement : en acceptant ce que nous ne pouvons pas faire ou être, nous découvrons qui nous pouvons être et ce que nous pouvons faire. Le rétablissement est un art de vivre » (2).
En tant que pair-praticien, Nicolas témoigne aujourd’hui que le rétablissement est possible : « J’accompagne la personne en recherche de sens. Je peux entendre la souffrance liée par exemple à l’hospitalisation, parler de mon parcours pour que l’autre trouve ensuite ses propres outils et reprenne en main son histoire de vie. »
Psychiatrie et spiritualité
Pour Joëlle Gaillard Wasser, Recovery est un regard, une attitude, une prise en charge du patient qui a changé la conception des soins : ceux-ci prennent désormais en compte les proches et les patients eux-mêmes dans le processus thérapeutique. Le concept donne enfin un cadre théorique utile pour unifier les équipes, en gardant un regard plein d’espérance sur les patients ; « et il a cette grande qualité d’allier psychiatrie et spiritualité, deux mondes qui ont entretenu jusque-là des attitudes de méfiance réciproque ! Or la personne qui souffre dans sa santé mentale doit recevoir un accueil qui lui permette de comprendre que la maladie ne va pas détériorer sa relation à Dieu ; et que la médication n’est pas contraire à la foi. Le soignant, lui, est non seulement appelé à respecter les croyances du patient, mais considère que le sens de la vie et les valeurs qu’elles représentent font partie intégrante des ressources dans le processus du rétablissement. »
Pour Nicolas, pas de doute : « La maladie m’a renforcé dans ma foi », affirme-t-il.
Gabrielle Desarzens
Notes
1 Ecole d’études sociales et pédagogiques, Haute Ecole de travail social et de la santé.
2 RECOVERY, Vers le rétablissement, Pro Mente Sana, 2011.