Dans un livre largement autobiographique, paru en octobre 2013 et intitulé Notes d'amour pour Dieu. L'histoire du recueil J'aime l'Eternel par sa créatrice, Linda Panci-McGowen décrit l'appel de Dieu qui l'a conduite de son Iowa natal jusqu'en Suisse, puis à concevoir un recueil de chants de louange en français. Nous l'avons rencontrée.
Vous avez passé votre enfance aux Etats-Unis...
J'ai grandi dans un petit village près de Des Moines, la capitale de l'Etat de l'Iowa, dans les grandes plaines du centre des Etats-Unis. La première fois que j'ai découvert la musique, j'avais 5 ans. Une voisine jouait de l'accordéon et cela m'enchantait. Je l'écoutais depuis le trottoir d'en face. Mes parents s'en sont aperçus et ils m'ont offert un accordéon. Ce fut le premier instrument de musique sur lequel j'ai appris à jouer.
Plus tard, j'ai joué de la contrebasse, du piano et de l'orgue. Quelqu'un nous avait donné un piano et je m'exerçais chaque semaine pendant des heures, afin de jouer à l'Eglise. J'ai aussi appris la guitare lorsque j'ai dirigé une chorale de jeunes dans l'Etat du Wyoming. Ma guitare ne me quittait pas.
Comment avez-vous découvert Dieu ?
A l'école primaire, j'avais déjà entendu parler de Dieu. Mais j'ai découvert la foi à 14 ans, au milieu d'un champ de maïs, grâce à une camarade d'école. C'est pour cela que, après avoir terminé mes écoles, j'ai suivi une formation biblique à l'Open Bible College (OBC) de Des Moines. Celui-ci dispensait une formation biblique classique, et proposait aussi des cours de théorie musicale et de direction chorale.
Bien plus tard, j'ai eu la possibilité d'étendre mes connaissances musicales au Wheaton College, près de Chicago. Aux Etats-Unis, cette école est très réputée pour l'enseignement de la musique chrétienne. Là, j'ai pu suivre des cours d'arrangement musical, d'histoire de la musique et des musiques du monde – ce cours faisait partie de l'ethnomusicologie.
Comment avez vous entendu l'appel de Dieu ?
En plus de mon goût pour la musique, j'ai très tôt été attirée par la France. J'avais un oncle français qui m'intriguait beaucoup. Ma tante l'avait rencontré lors d'un séjour en Afrique francophone. C'était un commerçant qui avait servi comme soldat. A 16 ans, j'ai pu visiter la France avec eux. J'en suis revenue très contente, mais je n'imaginais pas y retourner une fois. Je crois bien que c'est la difficulté d'apprendre la langue qui m'effrayait.
Un autre élément a joué un rôle dans mon appel. Alors que j'étais étudiante à l'OBC, nous avons eu la visite de missionnaires qui revenaient d'un engagement en Afrique du Nord. Ils avaient été rapatriés parce que leur ministère ne produisait pas assez de conversions. J'avais été choquée par cette histoire.
Ce même jour, en priant, j'ai entendu dans mon cœur l'appel de Dieu pour faire de la musique, écrire des chants, communiquer l'Evangile dans le monde francophone... Mais je ne me sentais pas capable d'écrire des chants en français. Mon appel ressemblait donc à une mission impossible. J'ai gardé cette impossibilité précieusement dans mon cœur, en attendant de voir ce qui adviendrait.
Puis, un jour, nous avons eu la visite de Loren et Darlene Cunningham, les fondateurs de Jeunesse en mission. Ils projetaient d'ouvrir une école d'évangélisation à Lausanne. C'était dans une région francophone ! Ce fut une rencontre déterminante pour moi. Mon appel devenait réalisable. Quelques semaines après la fin de ma formation à l'OBC, j'étais à Lausanne.
C'est donc à cette époque que la question d'un recueil de chants s'est posée...
Oui. Au début des années 70, nous formions des équipes d'évangélisation qui visitaient la France. Je découvrais de nouveaux chants... dont seules les paroles étaient écrites. Les mélodies et les harmonisations étaient transmises oralement. J'ai donc visité la France avec un enregistreur et du papier à portées (de musique).
Lors de ces voyages, nous avons également rencontré des compositeurs chrétiens remarquables : Fabienne Pons, Corinne Laffite, Claude Fraysse et bien d'autres. A l'époque, ils n'étaient connus que dans leur région et ils ne se connaissaient pas entre eux. C'est ainsi que nous avons ressenti le besoin de rassembler toutes ces œuvres et de les rendre disponibles.
J'ai aussi eu a cœur de développer la pratique de chanter la Parole de Dieu. Cela n'était pas une nouveauté, puisque des auteurs tels que Pierre Van Woerden écrivaient des chants sur la base de textes bibliques. En fait, cette pratique a accompagné toute l'histoire de l'Eglise, et singulièrement l'époque de la Réformation.
C'est ainsi que la première édition du J'aime l'Eternel est sortie en juillet 1975. Nous l'avons imprimé à 4000 exemplaires. L'année suivante, nous en avons réimprimé 8000, puis 20'000 deux ans plus tard. Aujourd'hui, le premier volume a été imprimé à 196'200 exemplaires.
Votre appel ne vous a pas épargné la traversée de difficultés. Quel rôle a-t-il joué ?
Cet appel m'a gardée. Il a été, dans mon cœur, une sorte de constante et de direction à suivre.
Lorsque j'ai pris des cours et appris à composer des chants, je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'un travail difficile. La composition me demandait beaucoup de travail et n'était pas aussi naturelle que je l'imaginais. J'ai donc énormément travaillé pour y arriver, tout en remarquant que c'était plus facile pour quelques autres musiciens.
En fait, j'aime encore mieux rassembler des chants et conduire des temps de louange que composer. Comme je suis un peu perfectionniste et que j'aime atteindre le meilleur résultat possible, je ne vise pas à être la meilleure, mais à bien m'entourer. Je me fais aider par ceux qui ont des talents. Je pense par exemple à quelques personnes vraiment douées pour écrire et traduire des paroles de chants, ou pour accorder les accents de la musique avec ceux des paroles.
En venant à Jeunesse en mission, j'ai découvert que mon don est de rassembler les autres. Mes collègues et moi, nous travaillons en réseau avec d'autres personnes engagées dans la louange. Ce groupe, qui s'appelle « Forum louange », se retrouve régulièrement pour prier ensemble. Il n'y a rien comme le relationnel !
Maintenant, mon appel a évolué en direction de la formation. J'aime les projets qui nous aident à nous équiper dans la louange.
Comment sait-on qu'un chant est bon ?
Un petit coup d'inspiration suffit à composer un chant qui restera entre Dieu et moi. Si le chant doit être utilisé dans l'Eglise, je vais le tester auprès d'autres personnes.
Je connais quelques compositeurs qui obtiennent du premier coup d'excellents résultats. Mais, habituellement, il vaut mieux soumettre nos compositions à d'autres. Ceux qui ont l'habitude de composer savent qu'il est nécessaire de laisser mûrir son travail, de le reprendre, de le soumettre à la critique et en particulier au jugement de son Eglise. Mais n'oublions pas qu'un compositeur doit avant tout être à l'écoute de Dieu.
Dans certaines Eglises, les temps de louange divisent les chrétiens entre ceux qui aiment et ceux qui ont de la peine. Comment surmonter ces discordes ?
Deux choses à ce sujet. La première est que, lors d'un temps de louange, il est indispensable d'adapter la musique à l'auditoire. Les Eglises veulent des jeunes et leur délègue la direction de la louange. Mais les jeunes ne sont qu'une partie de la communauté. Et le groupe de louange d'une Eglise devrait être représentatif de la totalité des âges. De plus, il est important que les animateurs de louange aient de la maturité, afin de comprendre que leur ministère est d'abord un service, pas une performance.
Il y a une trentaine d'années, j'ai contribué à l'animation d'une retraite de l'Eglise évangélique de Villard (FREE) à Lausanne. Cette retraite était consacrée à la louange. J'étais bouche bée en entendant l'assemblée chanter à quatre voix dans cette chapelle à la belle acoustique. Je leur ai dit : « Est-ce que vous chantez encore à quatre voix ? » Ils m'ont répondu : « Oui, mais peu. » Alors, je leur ai appris un chant à quatre voix et je leur ai dit : « Votre héritage ne doit pas être perdu ! »
J'aimerais relever que les chants du premier recueil J'aime l'Eternel sont plus simples à chanter que les autres. A l'époque, nous avions enlevé les syncopes, afin de simplifier les chants. Ensuite, beaucoup de musiciens les ont tout de même joués de manière syncopée. Cela nous rappelle que les trois recueils J'aime l'Eternel proposent une diversité de chants qui permet de s'adapter à une diversité de situations et de personnes dans une Eglise.
Le second point sur lequel j'aimerais insister concerne les responsables des Eglises et les présidents de culte. Ceux-ci ont une responsabilité à exercer en ce qui concerne la louange... et les groupes de louange leur sont normalement soumis.
Ainsi, dans le domaine de la musique, les responsables doivent : (1) être à l'écoute des différentes générations de leur communauté, (2) permettre aux attentes et aux frustrations de s'exprimer dans le respect mutuel, (3) contribuer à ce que des solutions concrètes soient trouvées. J'aimerais que nous puissions nous honorer dans nos différences, vivre une collaboration entre jeunes et vieux. On a besoin de talents qui se mettent ensemble.
De plus, il est important que les responsables des Eglises acquièrent un minimum de formation en matière de musique et de louange. De cette manière, ils auront les compétences nécessaires à l'exercice de leurs responsabilités. A Jeunesse en mission, nous sommes régulièrement appelés à accompagner des Eglises dans ce travail. Par exemple, du 13 au 16 mars le Forum louange organise un « Festival louange » à Vevey, destiné à ceux qui désire se former.
Il n'y a donc pas de recettes universelles dans la pratique de la louange...
Lorsque nous voulons choisir un style de louange pour une Eglise, deux points essentiels doivent être pris en compte. D'une part, la pratique de la louange doit être fondée sur la vérité. Elle doit être en accord avec la Bible. D'autre part, elle doit être compréhensible sur le plan culturel, adaptée aux langages des différentes générations. Il y a une certaine tension créative entre ces deux axes. Cela demande beaucoup de travail et de remises en question, alors que la tentation serait de se reposer sur des traditions.
Il y a eu des époques – celle qui a précédé la Réformation par exemple – où le chant était devenu si difficile qu'il n'était plus pratiqué que par des spécialistes. Il était hors culture. Luther n'a pas hésité à utiliser des mélodies populaires de bistrots sur lesquelles il a écrit des paroles chrétiennes... dans la langue parlée par le peuple.
J'ai 64 ans et j'écoute la musique que les jeunes écoutent. Je veux savoir ce qui les fait vibrer, afin de comprendre leur culture et leur langage.
Vous nous invitez au travail, à la remise en question et à la créativité.
Lorsqu'on parle de louer Dieu, on pense généralement au chant et à un certain style de louange. Il serait facile de tomber dans une pensée unique. Comme dit Carlo Brugnoli, « la routine est facile, mais la créativité et le changement demandent un effort ».
Je vous le demande : est-ce que tout le monde aime célébrer Dieu par le chant, avec un niveau sonore élevé ? N'existe-il pas d'autres manières d'adorer Dieu ? Toutes sortes d'arts permettent d'enrichir notre adoration.
La nature peut servir de support à la louange. Par exemple, j'aime les « promenades de louange » durant lesquelles j'observe la nature et je me laisse imprégner par ce que Dieu a placé dans l'univers.
Certains chrétiens sont inspirés par les liturgies. J'aime beaucoup me ressourcer dans des liturgies, parce qu'elles disent des choses que je ne saurais dire par moi-même.
Et n'oublions par que la Parole de Dieu est source de louange. Lors d'une retraite d'Eglise, j'avais prévu un endroit réservé à ceux qui désiraient adorer Dieu par sa Parole. J'ai été frappée de voir combien ce style de louange a eu du succès.
Beaucoup de chrétiens sont intéressés à louer Dieu autrement que par le chant. Elargissons donc notre conception de la louange. Elle est multiple et correspond à la multiplicité de nos personnalités.
Propos recueillis par Claude-Alain Baehler
Linda Panci-McGowen, Notes d'amour pour Dieu. L'histoire du recueil J'aime l'Eternel par sa créatrice, Yverdon-les-Bains, Jeunesse en mission, 2013, 176 p.