Cher Sylvain,
Un dimanche de janvier, j'ai participé à une soirée de louange à Morat. Vous la conduisiez en compagnie d'un groupe de musiciens. Selon mon habitude (certainement mauvaise), j'ai regardé les participants... participer.
Bien calés sur leurs chaises, certains regardaient les musiciens, d'autres regardaient le sol. Des couples, assis l'un à côté de l'autre, se tenaient par l'épaule comme s'ils se trouvaient devant la télévision, sur le canapé de leur salon. A part deux pasteurs, debout au premier rang, peu de personnes chantaient. Le groupe de louange, lui, semblait vivre un intense moment de communion avec Dieu... là-bas sur la scène. Cette situation m'a laissé d'autant plus perplexe que je l'avais déjà rencontrée en d'autres occasions, avec d'autres musiciens, eux aussi chevronnés.
Bien entendu, il n'est pas nécessaire que tout le monde chante pour qu'une rencontre de louange soit spirituelle. Cependant, l'un des acquis de la Réformation a été de rendre le culte aux fidèles, notamment en leur permettant de participer par le chant. Dans ce but, les réformateurs se sont distancés des formes complexes de la musique d'Eglise de leur époque – réservée à des musiciens professionnels – pour introduire des mélodies simples, des textes faciles à retenir dans la langue de tous les jours.
Les chorals luthériens, puis les psaumes réformés, n'étaient pourtant pas des chansonnettes. Il s'agissait d'oeuvres travaillées sur les plans théologique, pédagogique, poétique, musical et culturel. Ils ont bénéficié de l'apport d'artistes de très haut niveau comme Jean-Sébastien Bach.
Certes, les temps de louange dispensés dans nos Eglises sont préparés, agencés et travaillés avec soin. La consécration de celles et ceux qui les conduisent est souvent exemplaire. Mais leur tâche est rude ! Ils conduisent dans la présence de Dieu des fidèles qui arrivent mal préparés, stressés par la vie de tous les jours. Et, comble de malheur, nombre d'entre eux sont peu musiciens et pas vraiment chanteurs.
Vous êtes devenu une figure incontournable de la louange en Suisse romande. C'est pourquoi je me permets de vous faire part de trois questionnements.
Mon premier est spirituel. N'aurions-nous pas à améliorer l'accompagnement des participants à un temps de louange ? Les chants se suivent assez harmonieusement, entrecoupés de paroles, de prières et de lectures bibliques appropriées. Ne pourrions-nous pas apprendre à conduire plus efficacement les participants dans la présence de Dieu ? Peut-être arrivent-ils au culte moins préparés que nous l'imaginons ? Peut-être ont-ils besoin d'être mieux « pris par la main » dans leur approche de Dieu ?
Mon deuxième est pédagogique. Nombre des chants que nous entonnons chaque dimanche sont à la portée de musiciens, mais difficiles pour beaucoup de participants. Combien de centaines de rythmes syncopés loupons-nous chaque dimanche, tous lieux de culte confondus en Suisse romande ! N'y aurait-il pas un travail pédagogique à accomplir, de manière à rendre nos chants plus accessibles à des personnes non musiciennes... sans pour autant abandonner les richesses de la musique contemporaine ?
Mon troisième est artistique. Nombre de nos chants contiennent de véritables trouvailles : une belle idée mélodique ou rythmique, une parole qui fait mouche... Mais ces perles sont souvent perdues dans des oeuvres dont la composition est restée au stade du brouillon. La répétition d'une phrase musicale est approximative, parce que le nombre de syllabes du texte n'y est pas... Les temps forts de la musique et du texte se contredisent... Le compositeur aurait dû continuer de travailler son chant, mais il était si content de sa trouvaille qu'il a oublié que l'inspiration n'est rien sans beaucoup de transpiration ! Ne pourrions-nous pas faire grandir notre expérience commune, par exemple en échangeant de bonnes expériences ? Quant aux compositeurs, ne pourraient-ils pas bénéficier de l'aide de professionnels de la musique et des paroles ? A l'heure où il est si simple d'échanger des fichiers de compositions musicales – grâce à Finale (2) ou à l'un de ses petits frères – cela devrait être possible.
En espérant un retour de votre part, veuillez recevoir, cher Sylvain, mes salutations fraternelles.
Claude-Alain Baehler
Notes
(1) Silvain Freymond est musicien. Il est responsable du Département musique de Jeunesse en mission et enseignant dans diverses écoles de louange. Cette lettre ouverte est parue dans le journal Vivre de mars 2013. Elle a suscité plusieurs réactions qui ont conduit à la publication d'un dossier sur la louange dans Vivre de juillet-août 2013.
(2) Finale est un logiciel permettant d'écrire des compositions musicales.