Pourquoi ce livre « Israël-Palestine : quelle coexistence ? Un point de vue évangélique inédit » ?
Guy Gentizon – Ce livre a été écrit suite à la commémoration des 60 ans de l’Etat d’Israël. Un peu de recul par rapport à la fondation de cet Etat permet de discerner une évolution sur le terrain et de se poser des questions. Notamment par rapport aux chrétiens évangéliques palestiniens, dont on a mieux saisi l’importance ces dernières années.
Jean-Jacques Meylan, la rencontre des chrétiens palestiniens est-elle aussi pour vous à l’origine de ce livre ?
Jean-Jacques Meylan – Ma motivation est un peu différente. J’ai organisé des voyages au Proche-Orient et je souhaitais offrir aux participants un éclairage sur la situation en Israël, qui prenne mieux en compte la réalité. Je me suis documenté sur l’histoire de ce pays, sur sa situation actuelle, sur tous les courants de pensée qui l’ont marqué... et ce travail de lecture et d’information m’a vraiment bouleversé.
Guy Gentizon, dans ce livre vous signez le chapitre consacré à l’eschatologie. Pourquoi ?
G. G. – Je n’avais jamais approfondi à ce point la question de la fin des temps sous l’angle de son lien avec Israël. Pour beaucoup de publications évangéliques des années 60 et 70, le retour d’Israël en Palestine était un signe évident que Jésus allait revenir bientôt et qu’Israël jouerait un rôle de premier plan au sein des nations. Avec 60 ans de recul, on peut prendre un peu de distance et questionner certaines affirmations.
Les évangéliques palestiniens ont aussi pris conscience que les positions que l’on appelle « prémillénariste » ou « dispensationaliste » ont influencé et influencent encore énormément la manière de penser des évangéliques occidentaux. Ces chrétiens palestiniens ont beaucoup travaillé les textes bibliques. Aujourd’hui ils ont des docteurs en théologie qui nous poussent à réexaminer certaines de nos positions...
Dans ce livre, vous semblez prendre une certaine distance par rapport à la vision prémillénariste ou dispensationaliste que certains évangéliques ont longtemps affichée en Suisse romande ?
G. G. – Au lieu d’une lecture essentiellement littérale de la Bible propre à ces interprétations, d’autres chrétiens ont une lecture plus allégorique ou symbolique des textes. A propos des prophéties notamment. Ils ne mettent nullement en doute les convictions évangéliques fondamentales à propos du retour du Christ et de l’établissement d’un Royaume de paix et de justice. Mais ils n’ont pas forcément la même perception du rôle d’Israël que les lectures habituelles d’un certain nombre d’évangéliques. J’expose ces divers points de vue dans ce Dossier Vivre.
Pour vous, le retour d’Israël en Palestine en 1948 n’est plus un signe de la proximité du retour du Christ ?
G. G. – Cela fait certainement partie d’un signe prophétique que Dieu nous donne... Mais il s’agit ensuite de s’interroger sur ce qu’il signifie exactement et sur la manière dont il s’incarne dans des réalités concrètes comme la question des territoires. On arrive vite sur le terrain politique... et sur le mépris de la justice, souvent ! C’est donc cette dimension-là qui m’a interpellé profondément !
Etes-vous devenu amillénariste ?
G. G. – Oui. J’aurais aujourd’hui de la peine à lire la Bible uniquement de manière littérale. Je pense que certains textes sont à considérer de manière allégorique. La difficulté est de faire la part des choses. Je donne plusieurs exemples dans notre livre.
Guy Gentizon vient de lâcher le mot « justice », un mot que l’on retrouve dans plusieurs des chapitres que vous avez écrits, Jean-Jacques Meylan. En vous lisant, on a l’impression que vous êtes passé d’une position évangélique des années 60 ou 70, où on spécule par rapport à Israël, à un recentrage sur la personne du Christ. Est-ce exact ?
J.-J. M. – C’est heureux si c’est ce que nos lecteurs repèrent. Tout ce qui est centré sur le Christ ne peut être que fertile et porteur d’espoir et de lumière. Tout d’abord pour lever toute ambiguïté, je ne suis contre personne : ni anti-Israélien, ni anti-Palestinien, ni pro-qui que ce soit ! Ce vocabulaire-là, je le récuse ! Au travers de la rédaction de ce livre et au cours de mes voyages sur place, mon amour à l’égard de la population juive d’Israël a augmenté. Il y a là un paradoxe, à mon sens inspiré par Dieu et par l’Esprit, parce que nous sommes appelés à être des artisans de paix qui construisent une fraternité entre les peuples, et non pas des diviseurs !
Au-delà de ce recentrement sur le Christ et sur un engagement éthique, que proposez-vous d’autre ?
J.-J. M. – En fait, j’ai découvert que lorsque nous parlons d’Israël, c’est quasiment aussi abusif que de réduire la réalité de la Suisse à une évidence simple. Lorsque l’on parle des Suisses, tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a 4 langues nationales, deux voire trois religions fondamentales et bien distinctes, ainsi que des particularismes cantonaux extrêmement variés !
Mais en même temps lorsque l’on parle de la Suisse, il y a une unité...
J.-J. M. – Oui, il y a une unité de choix de partager le même destin et de joindre sa personne à un projet commun, mais ce n’est pas une unité de race, d’ethnie ou d’origine.
Donc à votre sens la manière dont certains évangéliques ont envisagé Israël était trop simpliste ?
J.-J. M. – Simpliste, parce que ne prenant pas en compte la réalité. Aujourd’hui lorsque quelqu’un prononce le mot « Israël », je demande : « De qui parlez-vous ? Parlez-vous des laïcs ? Parlez-vous des athées ? Parlez-vous des religieux ? Et, au sein des religieux, parlez-vous des religieux nationalistes ou parlez-vous des haredim anti-sionistes ? » Il y a une complexité énorme au sein du peuple juif ! Nous sommes obligés de faire ces différences si nous voulons aborder avec sérieux cette réalité-là. Faire ces différences conduit à plus de sympathie vis-à-vis d’Israël et à une meilleure compréhension de la complexité de ce pays. C’est la raison pour laquelle, à mon avis, Israël n’est pas porteur d’un message en tant que tel ! Il n’y a que le Christ qui soit porteur d’un message en tant que tel !
Ne faites-vous pas une lecture purement sociologique de la réalité de ce pays, alors qu’une lecture spirituelle vous permettrait de discerner un signe que Dieu a posé dans notre histoire ?
J.-J. M. – En fait ce sont des religieux, des gens attachés à leur Dieu, qui disent que l’existence de l’Etat d’Israël ne reflète pas le plan du Seigneur. « Notre Dieu, disent ces juifs, a un plan de salut pour nous qui ne s’est pas réalisé dans les décisions politiques influencées par le sionisme. » Ces hommes et ces femmes, qui lisent l’Ecriture et qui ont une aspiration forte à une communion avec Dieu, ne se reconnaissent pas dans la réalité de l’Israël actuel. Ma lecture n’est pas seulement sociologique... Elle l’est en partie, parce que je tiens compte des différentes réalités sociales, mais je fais écho à la question de beaucoup de ces religieux : l’entreprise sioniste n’a-t-elle pas provoqué une rupture au sein de la spiritualité du judaïsme ?
Concrètement, comment envisagez-vous un repositionnement des évangéliques par rapport à Israël ?
G. G. – Dans cette direction christocentrique dont vient de parler Jean-Jacques Meylan ! Notamment en valorisant le Sermon sur la montagne dans la manière de vivre des populations locales qui se prétendent chrétiennes. Sur le terrain, il y a déjà des choses magnifiques qui se passent !
Notamment au travers de l’association Musalaha de Salim Munayir ?
G. G. – Par exemple... (voir encadré).
Propos recueillis par Serge Carrel
Guy Gentizon et Jean-Jacques Meylan, Israël-Palestine: quelle coexistence? Un regard évangélique inédit, Dossier Vivre no 31, Genève, Je sème, 2010, 204 p. Prix : 15.- A commander à : eauvive@sunrise.ch ou chez votre libraire évangélique.