Christoph Stückelberger salue l’engagement des évangéliques dans la lutte anticorruption

vendredi 29 novembre 2013

Il a dirigé pendant plusieurs années l'ONG Pain pour le prochain. Aujourd'hui professeur d'éthique à l'Université de Bâle, il dirige aussi à Genève Globethics.net, un réseau de réflexion sur l'éthique économique et sociale. Christoph Stückelberger montre en quoi les Eglises sont concernées par la corruption.

Pour vous, c'est quoi la corruption ?
La corruption, c'est l'abus du pouvoir public pour des intérêts privés. Cela concerne un politicien, un fonctionnaire, un médecin, mais aussi un responsable d'entreprise ou d'Eglise. Il cherche à augmenter son salaire en obtenant des pots-de-vin ou à obtenir des privilèges ou des prestations particulières grâce au paiement de pots-de-vin.

Avez-vous l'impression que les Eglises aujourd'hui dans le monde sont touchées par la corruption ?
Malheureusement oui ! On ne peut certainement pas généraliser, mais plus j'écris sur le sujet, plus des gens s'approchent de moi pour me raconter leur histoire en lien avec la corruption. Cela concerne surtout les élections de responsables d'Eglise. C'est partiellement lié à la pauvreté que connaissent certains responsables des pays du Sud, mais, avant tout, c'est lié aux luttes pour le pouvoir en vue d'accéder aux ressources financières d'une institution.
La corruption touche aussi les Eglises dans leur interaction avec la société : les services de l'Etat, l'obtention d'un passeport... Les Eglises sont en fait dans le même bateau que le reste de la société et elles jouent le jeu comme tout le monde ! On attendrait tout de même que dans un tel contexte les chrétiens agissent différemment des autres. C'est ce que beaucoup font, mais pas tous !

Lorsqu'on parle de corruption des Eglises en Suisse, on se dit que c'est quelque chose de très éloigné de notre réalité. N'est-ce pas votre avis ?
Oui, il faut différencier les sortes de corruption. En Suisse, c'est vrai que je n'ai pas vu de corruption au sens classique du terme. La société helvétique n'a pas besoin de la corruption simple parce que, pour obtenir une position, on a d'autres formes de réseautage. Le réseautage n'est pas négatif en soi. Mais si pour obtenir un poste il faut dépendre de l'influence de ses amis (le népotisme) ou des faveurs de certains, c'est ce que l'on appelle la corruption grise ou douce. Et à mon sens, c'est aussi répréhensible.
La Bible est très claire sur le sujet. Elle ne renferme pas un seul verset qui justifie la corruption. Au contraire ! Pour la Bible, la corruption viole la justice et ceux qui en souffrent sont surtout les pauvres, parce que celui qui a de l'argent peut obtenir des droits que le pauvre ne peut pas obtenir ! La Bible souligne aussi que la corruption détruit les relations. Cela crée une sorte de méfiance : on a quelque chose à cacher et cela détruit la communauté, le peuple de Dieu (1).

Y a-t-il des structures d'Eglise qui favorisent la corruption ?
C'est une des questions qui m'a vraiment intéressé quand j'ai écrit le livre Corruption Free Churches (2). L'un des aspects clés, c'est la manière de percevoir l'autorité dans l'Eglise.

Plus le leadership est fort, plus la corruption a de chance de se développer dans une structure ecclésiale ?
Plus le leadership est vu comme intouchable, parce que perçu comme directement installé par Dieu, plus cette Eglise risque d'être corrompue. Un responsable d'Eglise m'a dit un jour : « Je suis responsable uniquement devant Dieu et pas devant les membres de la communauté. C'est une théologie que je ne peux pas accepter, parce que chaque être humain est élu, qu'il soit laïc, pasteur ou président d'Eglise. Il est responsable devant Dieu et devant les membres de son Eglise. Dans certaines Eglises orthodoxes ou catholiques, la corruption est un problème majeur. Certaines Eglises protestantes connaissent aussi des problèmes de corruption, notamment celles qui prônent l'Evangile de la prospérité. Ce courant est très sensible à la corruption, parce qu'il y a cette idéologie de la prospérité comme don de Dieu...
L'une des tâches des Eglises est de développer un travail biblique et théologique sur le sujet.

La campagne Exposed – pleins feux contre la corruption joue donc un rôle important dans cette sensibilisation...
Je suis très content que les Eglises évangéliques lancent une telle campagne. Ces Eglises ont un rôle à jouer en commençant par l'étude biblique, la prière, la sensibilisation... En fait il s'agit d'abord d'un cheminement spirituel pour renforcer la conviction intérieure des chrétiens, notamment ceux en responsabilité, mais cela ne suffit pas. On ne peut pas mettre tout le poids sur les épaules de l'individu. Il faut avoir des structures où nous nous aidons mutuellement. Cela signifie concrètement : établir dans les Eglises des structures de contrôle des finances, des structures de redevabilité et de transparence. Ouvrir les comptes et dire : « Voilà ce qu'on fait avec l'argent... » est fondamental.

La campagne Exposed peut-elle apporter autre chose aux milieux évangéliques ?
C'est aussi une démarche contre le fatalisme. Beaucoup de gens disent en effet : « La corruption existe depuis que l'humanité existe. C'est un mal que l'on ne peut pas vaincre ! C'est même une certaine forme de culture du don ! » Une telle campagne peut être prophétique et affirmer : non ! Dieu nous donne la force et la sagesse de lutter contre ce mal, comme on lutte contre d'autres maux. La campagne Exposed rend aussi les Eglises évangéliques davantage crédibles par rapport à la société. Face à ce problème, chacun doit commencer dans son secteur. Le fonctionnaire dans le secteur public, l'employé ou le directeur d'entreprise dans le secteur privé, et le responsable d'Eglise, dans la communauté dont il s'occupe !

Comment réagissez-vous quand certains disent que cette campagne est une histoire de gens du Nord, de nantis ?
C'est un argument que l'on a entendu dans le passé. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît que c'est un phénomène mondial. Nous en Suisse, la fuite de capitaux, l'évasion fiscale ou la soustraction fiscale sont des problèmes que nous devons contribuer à résoudre, parce qu'une bonne partie des fuites de capitaux provient de la corruption. Donc en accueillant cet argent dans les banques, nous sommes complices. Partie du problème, mais aussi partie de la solution !

Donc pour vous cette campagne contre la corruption a une implication dans le Sud, mais aussi dans le Nord, en Suisse au niveau de l'évasion et de la soustraction fiscale...
La Suisse est en train de signer plusieurs accords avec des pays du Nord sur l'échange automatique d'informations. Il serait également juste de signer de tels accords avec les pays du Sud. Pourquoi signer des accords bilatéraux avec les Etats-Unis, la France ou l'Allemagne et ne pas le faire avec des pays du Sud comme le Nigeria ou la RDC ?

Y a-t-il d'autres domaines où les Suisses devraient s'impliquer dans la lutte contre la corruption ?
La protection des lanceurs d'alerte. J'ai été le premier président de Transparency International en Suisse et dans ce cadre nous avons lancé le débat sur la protection des personnes qui mettent le doigt sur des actes injustes commis dans des entreprises ou des instances publiques. Cela a contribué à l'augmentation de la protection de ces « wihstleblowers » comme on dit en anglais.
Il y a aussi la question de savoir ce qu'est un bon leader.

Les Suisses auraient-ils tendance à être des leaders qui se laisseraient aller à des choses pas très avouables ?
On ne peut pas généraliser... Ce qui existe chez nous, c'est le manque de courage de dire les choses comme elles sont, parce qu'on craint facilement des sanctions au niveau de sa réputation ou de sa carrière... Une des tâches des Eglises en Suisse est de renforcer et de soutenir le courage des chrétiens, non pas comme des héros singuliers mais comme des personnes qui en groupe ont le courage de dire : « Je veux rester honnête. » Il y a quelque chose à faire parmi les jeunes. L'éthique professionnelle apparaît parfois affaiblie. On entend : « Parce que tout le monde le fait, je le fais aussi... » Ce n'est pas de la corruption, mais c'est un manque d'honnêteté qui augmente... Entendre des gens dire, qu'ils soient concierges ou managers : « Je suis fier d'être intègre dans ma profession. Je suis mis par Dieu dans ce monde et j'essaie d'exercer ma profession de manière honnête... » est important.
Il y a un proverbe de la Bible qui dit : « Mieux vaut peu avec justice que d'abondants revenus sans droiture » (16.8). On redécouvre aujourd'hui cette attitude qui ne souhaite pas la richesse à court terme à tout prix... Il y a d'autres valeurs dans la vie que les seules valeurs pécuniaires. La foi chrétienne peut apporter beaucoup dans ce domaine, notamment en matière de contentement et de modestie.
Propos recueillis par Serge Carrel

Notes
1 Voir aussi : Christoph Stückelberger, « Douze arguments bibliques contre la corruption », in Irène Cherpillod et alii, La Suisse, Dieu et l'argent, Dossier Vivre no 36, Saint-Prex, Je Sème, 2013, p. 159.
2 Christoph Stückelberger, Corruption-Free Churches are possible, Experiences, Values, Solutions, Genève, Globethics.net Focus n°2, 2010 (téléchargement gratuit sur www.globethics.net). A paraître prochainement en français.

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