Place Cornavin à Genève. Ceux qu’on appelle les trois « saints de Bangui » se présentent dans le hall central de l’hôtel où ils sont descendus la veille et répondent aux questions sans détour : « Les violences que nous avons connues dès 2012 sont le fruit de frustrations qui ont caractérisé notre pays, avec une pauvreté qui a gangréné un pan entier de notre société, une jeunesse en déperdition scolaire... La cocotte-minute a explosé et nous sommes persuadés que le fait religieux a été instrumentalisé », explique d’emblée Dieudonné Nzapalainga, l’archevêque de Bangui. A ses côtés, le pasteur Nicolas Guérékoyamé-Gbangou, qui préside l’Alliance évangélique de RCA, confirme : « Quand nous avons vu notre pays descendre dans le gouffre, nous nous sommes sentis interpellés. Nos fidèles représentent plus du 80% de la population. Nous avons décidé d’aller vers eux pour parler à leur cœur. La crise était politico-militaire. »
Prôner le respect de l’autre
Dès 2012, la République centrafricaine est à feu et à sang. La Seleka, qui regroupe des rebelles musulmans – dont des mercenaires tchadiens et soudanais –, sévit contre la majorité chrétienne alors au pouvoir. Des groupes de self-défense chrétiens et animistes naissent : les anti-Balaka. Le conflit se développe de façon monstrueuse. En 2013, les deux leaders chrétiens et leur collègue musulman, l’imam Oumar Kobine Layama, président du Conseil islamique, créent la plateforme interreligieuse pour la paix, l’Interfaith Peace Platform. « Avant de nous mettre ensemble, nous avons convenu d’un idéal : nous rassembler autour de ce qui nous unit pour sauver des vies humaines, c’est-à-dire autour de la foi. Et de Dieu », précise le pasteur.
« Nous avons pensé qu’il était temps de prôner le respect de l’autre, qui passe aussi par la considération de celui qui pratique une autre religion, lui fait écho l’archevêque. C’est un choix volontaire, conscient, pour sauvegarder le fondement de nos communautés, de l’humanité, car les religions sont là pour relier – religare en latin – les gens les uns avec les autres. »
Discours entendu !
Les trois leaders se sont alors déplacés à travers le pays à la rencontre des populations pour prêcher la réconciliation, promouvoir la paix, la tolérance, la confiance. Non sans danger. L’imam a dû se réfugier plusieurs mois chez l’archevêque. Le pasteur a été emprisonné. « La plupart des églises et des mosquées ont été attaquées. On a assisté à l’assassinat de certains de nos responsables religieux. » Et Nicolas Guérékoyamé-Gbangou de raconter que son église se situe à la frontière entre les quartiers musulmans et non musulmans de la capitale : « Rester m’exposait avec ma famille et mes fidèles. Il a fallu s’en remettre aux promesses de Dieu qui nous encourage à compter sur sa protection. Nous sommes restés et avons joué ce rôle de médiateur, en rappelant que, des siècles durant, chrétiens, musulmans et animistes ont cohabité sereinement dans le pays. »
Oumar Kobine Layama explique qu’ils ont alors organisé des ateliers sur la cohésion sociale, la résolution des conflits, le dialogue intercommunautaire. « Nous avons ouvert ces ateliers à tous nos compatriotes, comme aux personnalités politiques. » Des rencontres par le biais des radios pour rassurer, apaiser, calmer, rassembler ont également été mises sur pied, avec de jeunes musulmans, catholiques et protestants autour de la table.
Est-ce que le discours des trois leaders a été entendu ? « Oui, la cohésion sociale tant prêchée a commencé à revenir, indique Nicolas Guérékoyamé-Gbangou. De jeunes musulmans, chrétiens et non religieux œuvrent aujourd’hui ensemble par le biais d’ONG locales et internationales. Les populations recommencent à fréquenter le marché. » « Même des groupes armés ont créé leurs propres groupes de cohésion sociale », mentionne l’imam. « Nous pensons donc que notre engagement n’a pas été vain et que nos messages ont été écoutés, reprend le pasteur. Que la République centrafricaine va, d’ici peu et Dieu voulant, retrouver son unité. »
Gabrielle Desarzens