Un piano. Un pianiste qui interprète des airs tour à tour entraînants ou plus solennels : O Happy Day, Grand Dieu nous te bénissons... et des gens qui défilent, un à un, lentement, tenant d'une main, haut au dessus de leur tête, un Nouveau Testament ou une Bible. Et cinq cents personnes qui assistent à cette « parade des Ecritures », l'émotion chevillée au corps, avec pour beaucoup des larmes dans les yeux.
Ils ont été 41 à défiler ainsi dans la salle de l'Eglise Jahu à Bienne, le samedi 8 mars à l'occasion des 50 ans de Wycliffe Suisse, l'association qui conduit dans le monde des projets de traduction de la Bible. 41 personnes, parmi lesquelles deux enfants, de jeunes adultes, des adultes plus mûrs mais aussi nombre de retraités, ont rendu visibles les efforts de longue durée de ces équipes qui, au Bénin, au Nigeria, en Côte-d'Ivoire, en Bolivie, en Papouasie Nouvelle Guinée, au Népal... ont achevé un projet de traduction biblique où un Suisse ou une Suissesse étaient impliqués.
Cinq Nouveaux Testaments à son actif
« Cette journée me remplit de reconnaissance envers le Seigneur qui a permis que je participe à cette œuvre ! » A presque 81 ans, Margrit Bolli défile avec un Nouveau Testament. Standardiste de formation, elle s'est lancée dans la traduction biblique en 1967 après deux cours de linguistique et une formation théologique accélérée. Avec une collègue allemande, elle s'est impliquée très directement dans un projet de traduction en Côte-d'Ivoire. Résultat visible : un Nouveau Testament dans chacun des deux dialectes dan (prononcer « dans ») ou yacouba. Puis, plus à distance, Margrit met en place avec de jeunes traducteurs nationaux trois autres Nouveaux Testaments dont deux sont encore en chantier : un en mwan, un en wan et un en bwamou du Burkina Faso. Très active pendant toutes ces années dans l'alphabétisation, Margrit Bolli se réjouit de voir qu'une association a repris aujourd'hui ses diverses traductions et les met à disposition des différents locuteurs sur des supports audio. Elle ajoute qu'il y a actuellement dans l'ouest de la Côte-d'Ivoire un millier de groupes d'écoute dans près de 500 villages, qui se retrouvent régulièrement pour écouter la Bible en dan. « Entendre que l'intérêt pour l'écoute de la Parole de Dieu est extraordinairement grand me remplit de joie ! »
Vingt ans à deux pour 2500 locuteurs
C'est vêtue d'une robe de couleur rouge et noire, et munie d'un couvre-chef fait de poils noirs dressés que Christiane Weber de Brugg en Argovie traverse la salle de l'Eglise Jahu. Cette femme de pasteur a passé 20 ans avec son mari et ses quatre enfants auprès des Bimins, une ethnie de 2500 locuteurs en Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Ce qui nous a le plus réjouis dans cette aventure, ce sont les liens d'amitié tissés sur place. Les membres de cette ethnie nous ont intégrés dans leur quotidien en nous permettant de vivre avec eux leurs naissances, leurs mariages et leurs décès... De plus, ils nous ont vraiment aidés à vivre sur place avec nos quatre enfants. » A la fin des années 80, au moment où les Weber arrivent sur l'île, il y a déjà des Eglises dans cette ethnie et les pasteurs eux-mêmes s'impliquent dans la traduction. Ils utilisent même les textes bibliques fraîchement traduits dans leur prédication lors du culte. Dédicacé en 2008, le Nouveau Testament a été tiré à 850 exemplaires. Aujourd'hui, Christiane Weber a toujours un peu de son cœur en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle prépare une édition audio du texte biblique, grâce à des enregistrements effectués sur place avec des Bimins. « Voilà deux ans, nous sommes retournés là-bas et nous avons vu que l'Eglise utilisait notre traduction du Nouveau Testament et qu'elle grandissait au travers de cette lecture. »
Près de quarante ans pour la Bible en berom
C'est avec une Bible en berom, une langue parlée par plus de 700'000 personnes au Nigeria qu'Hanni Kuhn participe à la « parade » de ces Bibles et de ces Nouveaux Testaments. Cette Suisse allemande de 73 ans a fait des études de théologie à l'Institut biblique du Beatenberg dans le canton de Berne. Elle y a appris le grec et l'hébreu. Convaincue que Dieu l'appelle à un service à plein temps, elle s'engage en 1973 avec Wycliffe comme exégète, spécialiste du texte biblique. Dans un français assez littéraire, cette femme explique que le premier missionnaire a évangélisé les Beroms au début du XXe siècle. Une Eglise vivante a rapidement grandi et les premiers missionnaires ont commencé à traduire des récits et des versets bibliques dans cette langue. Vu qu'il était difficile de former les cadres de cette Eglise en berom, les responsables de la mission les ont formés en haoussa. Petit à petit, cette dernière langue est devenue la langue du culte, parce que riche en termes techniques dont les prédicateurs ne disposaient pas en berom.
Entendre la Parole dans la langue de son coeur
Hanni Kuhn s'est lancée dans ce projet de traduction en 1973. Après trois ans, elle a dû quitter le Nigeria et n'a pu y retourner que trois mois chaque année avec un visa de touriste. En 1984, elle termine la traduction du Nouveau Testament. En 1989, elle poursuit avec l'Ancien Testament et la dédicace de l'entier de la Bible intervient en 2010. « Disposer aujourd'hui d'une Bible en berom permet aux membres de cette ethnie d'être touchés autrement que si l'Evangile leur était prêché en haoussa. Pour moi, c'est comme si je ne pouvais pas entendre la Parole de Dieu en suisse allemand, mais en italien ou en français. Au moment où on a commencé à lire le Nouveau Testament en berom, on avait l'impression qu'une ampoule s'allumait dans les yeux de ces gens. Ils entendaient la Parole de Dieu dans la langue de leur cœur. »
Aujourd'hui la situation est particulièrement critique pour les Beroms sur le plateau de Jos au Nigeria. En butte aux exactions de la secte de Boko Haram, ils sont régulièrement attaqués par ces islamistes. En 2010, lors de la dédicace de la Bible, cette « grand-maman » suisse allemande a pris son courage à deux mains ! Elle a rappelé, très consciente des difficultés, l'invitation du Christ à aimer ses ennemis et à leur pardonner. « Avec une Bible dans sa langue, espère Hanni Kuhn, chaque locuteur du berom peut affronter cette situation de persécution avec la possibilité d'être vraiment fortifié par la Parole de Dieu ! »
Laudate Omnes gentes, laudate Dominum !
Au terme des festivités, en écho à la fin de l'évangile de Jean, Hannes Wiesmann, le directeur de Wycliffe Suisse a lancé : « Notre fête est trop courte pour raconter tout ce que Dieu et son 'personnel au sol' ont fait pendant ces 50 ans, mais nous souhaitons vous exprimer notre reconnaissance et dire que, pendant toutes ces années, Dieu a pris soin de nous ! » Le chant qui avait ouvert la célébration a alors été repris : Laudate omnes gentes, laudate Dominum ! (Gens de toute la terre, louez, louez le Seigneur !).
Serge Carrel