Un humoriste noir déride la politique d’asile

lundi 23 janvier 2012
Raconter les chemins de l’exil avec humour tout en interpellant son public : tel est le pari réussi de l’artiste congolais Pie Tshibanda, actuellement en tournée en Suisse romande.
« Ici aussi vous ne savez plus où les mettre, hein ? » Au moment où Berne peine à trouver des communes accueillant de nouveaux centres pour requérants, l’humoriste congolais Pie Tshibanda, 60 ans, ose un pari : sortir du psychodrame de la politique d’asile par l’humour. Il poursuit cette semaine une tournée romande qui l’emmènera jusqu’à Vallorbe et son centre d’enregistrement, sur invitation de l’Aravoh (Association auprès des requérants d'asile de Vallorbe, oecuménique et humanitaire).
La politique suisse en matière d’asile ne diffère pas tant des pratiques de ses voisins, « mais elle est plus sévère, estime-t-il. Et la Suisse se cache derrière le fait qu’elle n’a pas été un pays colonisateur. »
Issu du peuple kassaï de la République démocratique du Congo (RDC), Pie Tshibanda a dénoncé les atrocités de l’épuration ethnique déclenchée par le général Mobutu dans les années 90. Pour sauver sa peau, il a fui son pays : « J’ai juste emprunté les routes que les Belges ont construites chez nous, mais dans l’autre sens... » Il vit aujourd’hui avec sa femme et leurs six enfants à Tangissart, à une quarantaine de kilomètres de Bruxelles.
Les histoires qu’il égrène dans son one man show sont d’abord les siennes. Ainsi celle du demandeur d’asile débarqué un matin d’hiver de 1995 à l’aéroport de Bruxelles, qui comprend dès la première fouille qu’il est seul, qu’il est noir... qu’il a perdu sa respectabilité et surtout sa présomption d’innocence.
 
« Quand allez-vous rentrer chez vous ? »
Depuis, il tend un miroir qui reflète nos craintes, comme celle de saluer celui qu’on ne connaît pas : « Je monte dans le train, et là, il y a une femme en face de moi ; je lui dis bonjour. Elle sursaute et elle me dit : ‘Pourquoi vous me dites bonjour, vous me connaissez ?’ Et moi je lui réponds : ‘Mais comment voulez-vous que je vous connaisse si je ne commence pas par vous dire bonjour ?’ »... Le regard de Pie sourit derrière ses lunettes. Il se fait aussi doucement féroce lorsqu’il renvoie au public les remarques qu’il reçoit aujourd’hui encore, comme lorsqu’on lui demande quand il va rentrer chez lui...
Longtemps psychologue dans l’entreprise Gécamines du Katanga, province de la RDC, Pie Tshibanda a également enseigné et écrit des romans. Son spectacle, « Un fou noir au pays des blancs », est d’ailleurs d’abord un livre. « Quand je vois des choses qui ne marchent pas très bien autour de moi, j’ai une révolte intérieure que j’ai besoin d’exprimer. Dans ma culture, quand tu souffres, tu partages ce qui te fait mal. C’est ce que je fais. En Belgique, le commissaire général aux réfugiés apatrides m’a demandé un jour de parler à ses 300 juristes. Pourquoi ? Parce qu’il voulait qu’ils réalisent que derrière les dossiers, il y a des êtres humains qui souffrent.»
En Suisse pour une tournée de spectacles mais aussi pour des rendez-vous dans différents établissements scolaires, Pie Tshibanda termine fin janvier son séjour helvétique à Vallorbe où il rencontrera les demandeurs d’asile de cette petite ville frontière. Le message qu’il veut leur délivrer ? Qu’il ne faut pas se replier, mais essayer de tisser des ponts avec le Blanc, celui d’ici, qui, comme le dit un proverbe africain, « ne peut se contenter de jeter des cailloux dans l’eau et refuser d’être éclaboussé ».
Gabrielle Desarzens

Cet article est paru le 21 janvier dans Le Temps.
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