« Depuis l'âge de ma conversion, à 17 ans, j'avais le désir de me marier et d'avoir des enfants. Au fil des années, ce désir est devenu de plus en plus douloureux. A 46 ans et demi, Dieu a répondu à mon désir de me marier... mais je n'aurai jamais d'enfant. » Par ce témoignage, Anne Schweitzer a parfaitement illustré le thème des Conférences de Lavigny des 13 et 14 janvier derniers, intitulées: « Entre désir et renoncement, un chemin de liberté ».
Alors que Claude-Evelyne Rüfenacht, comédienne, introduisait le sujet par un sketch, la théologienne Linda Oyer a présenté une approche biblique du désir, le pasteur Louis Schweitzer s'est attaqué à la question du renoncement et son épouse, la théologienne Anne Schweitzer, a opéré une synthèse autour de ces deux réalités en apparence incompatibles.
Des éléments en tension
« De nombreuses vérités du christianisme sont formées d'éléments en tension, fait remarquer Anne Schweitzer. C'est particulièrement le cas lorsqu'il s'agit de faire cohabiter le désir et le renoncement dans une vie chrétienne, deux valeurs qui semblent contradictoires. » Et celle-ci précise que les chrétiens ne sont pas appelés à vivre un peu de désir et un peu de renoncement, mais les deux, pleinement et simultanément.
Louis Schweitzer a rappelé à quel point notre système de pensée actuel est marqué par la haine de la frustration et du renoncement. Mais l'histoire de l'Eglise est riche en exemples de chrétiens qui ont vu dans la souffrance et le renoncement une vertu purificatrice. Cette histoire nous donne également en exemple des croyants qui, tel François d'Assise, ont expérimenté la joie en Dieu au sein même de la souffrance.
« Renoncer à soi-même n'est pas facultatif, rappelle Louis Schweitzer. C'est la condition pour être disciple du Christ. » Nous apprenons à renoncer aux richesses qui nous retiennent de vivre radicalement à la suite du Christ, au mal, aux bonnes choses qui ne vont pas dans le sens de notre vocation spirituelle. Souvent, nous renonçons afin d'atteindre un but plus élevé. Ainsi, la parabole du trésor caché (Mt 13.44) nous dépeint-elle un homme qui vend tout ce qu'il possède, non par esprit de sacrifice, mais dans le but d'obtenir plus.
Le désir, moteur de la vie
Quant au désir, il constitue un moteur indispensable de la vie. Il est à la base de notre cheminement spirituel et de notre intimité avec Dieu. Notre prière est motivée par le désir. Pour Linda Oyer, « lorsque la Bible critique un désir, c'est parce qu'il est devenu obsessionnel, ou parce qu'il fait partie d'un chemin de mort qui détruit notre liberté d'aimer Dieu. »
Mais il est indispensable de faire la distinction entre nos désirs fondamentaux, ceux qui dévoilent notre véritable identité, et d'autres désirs plus périphériques. Le problème est que les désirs périphériques sont souvent plus visibles que les désirs fondamentaux. Ainsi, la Samaritaine que Jésus rencontre au puits de Jacob (Jn 4.4-42) est habitée de désirs périphériques néfastes. Sans s'y arrêter, Jésus aborde directement la question de son désir profond. Linda Oyer précise: « Nos désirs périphériques, surtout lorsqu'ils ne sont pas assouvis, constituent un moyen de dévoiler nos désirs profonds. »
Certains désirs, bons et même essentiels à notre vie, restent inaccessibles. Dieu n'exauce pas. Il nous contraint à accueillir notre impuissance... et à continuer de croire en son amour. « Il est possible de remettre nos désirs à Dieu tout en continuant de demander, encourage Linda Oyer. Il n'est pas nécessaire d'opposer le renoncement au combat et à la foi dans la puissance de Dieu. »