Vous plaidez pour que les chrétiens valorisent davantage la Bible durant les temps de louange. Pourquoi ?
Dans beaucoup de cultes aujourd’hui, on n’ouvre la Bible qu’au moment de la prédication. Parfois, les animateurs de louange lisent un verset tiré de la Bible avant un chant et c’est utile ! Mais souvent le responsable de la louange est plus tenté, en début de culte, de venir devant le Seigneur en disant : « J’ai besoin de toi… » Alors que, quand j’entends l’Ecriture me parler de Dieu, je vais rencontrer quelqu’un de totalement différent, quelqu’un qui a des projets au-delà de mes sentiments du moment…
Votre souci est de décentrer le chrétien de ses préoccupations personnelles…
Pas forcément, mais lire la Bible est une belle manière de laisser Dieu se révéler à moi, de l’écouter et pas seulement de parler… Si je passe un moment avec quelqu’un et que je ne fais que lui parler, cette personne aura l’impression que je ne veux rien savoir d’elle. Si j’ai envie de connaître une personne, je vais aussi l’écouter… un tout petit peu !
Par le passé, beaucoup de ceux qui ont lu la Bible durant le culte, indiquaient la page, puis les participants au culte suivaient la lecture dans leur Bible ou sur leur smartphone, comme s’ils vérifiaient la qualité de la lecture. Intérieurement, ces personnes se disaient peut-être que le lecteur s’était trompé, qu’elles auraient mieux lu que lui… Si on fait cela, on n’écoute pas !
Ecouter Dieu, c’est en fait très différent de faire une lecture ! C’est laisser résonner en soi une parole qui vient d’ailleurs !
Dans l’Ancien Testament, la lecture de la Bible est souvent perçue comme un événement, comme un temps particulier où on va se mettre à écouter vraiment. En tant qu’artiste, j’ai vu, par exemple, la richesse d’une lecture à deux voix derrière un micro ou à partir de différents endroits dans la salle de culte.
Cette manière de faire permet de libérer la parole de Dieu…
Cela permet de libérer des émotions. Quelque chose de dynamique se produit. Lorsqu’on y ajoute une danse sur telle ou telle histoire, ou une mise en scène, cela parle. Il y a de nombreuses manières d’être créatifs pour que les personnes qui participent au culte soient plus réceptives…
Il s’agit donc de réfléchir à une mise en scène de la lecture de la Parole…
Il vaut la peine de réfléchir aux possibilités créatives. Cela peut se faire rapidement. Si deux personnes travaillent un texte, cela peut amener quelque chose de plus intéressant qu’une lecture à une seule voix. Il y a des livres qui proposent la lecture de Psaumes à plusieurs voix.
La louange n’est pas uniquement quelque chose de musical. Les services de quelqu’un qui lit très bien ou qui a des compétences dans le domaine théâtral sont aussi utiles.
Vous dites souvent dans vos interventions sur la louange que cette partie du culte devrait faire revivre l’histoire de Dieu dans le monde. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Dans la Bible, la louange permet régulièrement de se rappeler ce que le Seigneur a fait. Prenons un exemple. Dans Exode 15, le chant de Moïse, des Israélites et de Myriam rappelle en musique ce que le peuple d’Israël vient de vivre : Dieu l’a délivré de l’esclavage en Egypte. Beaucoup de Psaumes mettent en musique et en paroles ce que le psalmiste a vécu.
Pour permettre cela, nos Eglises devraient disposer de chants qui rappellent aux participants au culte ce qui s’est passé et qui est à l’origine de notre salut…
Réduire la louange à la musique uniquement, ce n’est pas rendre justice à la richesse du culte dans la Bible. La louange comprend de nombreuses actions différentes : écouter la Parole, prier, réciter, vivre des célébrations autour d’événements… Il y a donc de nombreuses manières différentes de se rappeler ce que Dieu a fait. La musique, c’est une chose, mais la musique a besoin d’autres activités liturgiques comme la lecture de la Parole.
L’Ecriture offre le récit de l’histoire de Dieu avec son peuple. Le culte permet de redire ce salut et chaque élément du culte fait partie de ce voyage. La musique a sa place, tout comme la prédication et la prière.
En tant que responsables du contenu du culte, nous avons besoin de former des équipes avec des personnes qui ne sont pas musiciennes, qui, par exemple, s’intéressent à la prière, qui vont prêcher ou qui vont s’intéresser à la manière dont est lue la Parole… Le but, c’est de constituer un ensemble qui emmène les participants dans un voyage qui rejoue devant nous le salut de Dieu.
A votre sens, les animateurs de louange devraient-ils davantage valoriser les temps de l’« année liturgique » ?
Marcher avec Jésus tout au long de l’année, c’est un excellent moyen de ne pas rester coincé dans un train-train, dimanche après dimanche, mais de se laisser imprégner de l’essentiel de l’Evangile.
Concrètement, cela signifie-t-il qu’il y a des chants particuliers à chanter en fonction des périodes de l’année ?
Il faut voir le culte comme un ensemble, qui devrait suivre un thème ou une réflexion. Comme le peuple de Dieu a marqué dans l’Ancien Testament des temps particuliers, l’Eglise aujourd’hui devrait célébrer la fidélité de Dieu. Marcher avec Jésus au cours de l’année, c’est marquer de manière particulière les temps de sa vie, ce qui nous donne l’occasion de réfléchir un peu autrement…
Durant la période de Noël, on commence parfois à fêter le premier dimanche de l’Avent et on s’arrête le 24 ou le 25 décembre. Pour le dernier ou le premier culte de l’année civile, on parle des résolutions que l’on va prendre pour la nouvelle année et on oublie que, dans l’histoire de l’Eglise, Noël continue jusqu’à l’Epiphanie, la manifestation de l’identité de ce bébé pour des mages venus d’Orient. La fête de l’Epiphanie nous permet de rester plonger dans l’histoire de Jésus et de continuer à fêter Noël et l’incarnation du Fils de Dieu, peut-être une vision plus grande que le début d'une nouvelle année civile !
Le temps du Carême, Vendredi saint et dimanche de Pâques sont autant de moments qui permettent cette marche avec Jésus. La fête de l’Ascension est aussi un excellent moyen de rappeler la signification théologique de la « montée au ciel » du Christ…
Vous plaidez aussi dans le cadre du culte pour que la prière soit portée par la Bible. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Utiliser les paroles de quelqu’un d’autre, qui non seulement ont été inspirées, mais qui ont été lues pendant des siècles par l’Eglise, c’est recourir à des paroles qui ont un poids certain et qui parfois expriment bien une pensée qui m’habite et que je ne peux pas nécessairement exprimer.
En tant que chrétiens évangéliques, nous croyons à l’inspiration de l’Ecriture. Si je lis à haute voix et si je fais de la prière du psalmiste ma propre prière, c’est quelque chose de très fort au niveau des émotions, mais surtout, c’est redire à Dieu sa Parole que je sais être inspirée.
N’est-ce pas surprenant que ce soit un musicien qui plaide pour une lecture renouvelée de la Bible dans les temps de louange ?
La musique, c’est un art particulier. D’autres artistes peuvent aussi intervenir dans le cadre du culte et il est bon de créer d’autres espaces pour eux… Lors de mes études en théologie, j’ai découvert qu’un de mes professeurs était un auteur de théâtre qui a mis en scène les histoires difficiles de l’Ancien Testament. Lors du culte, ces mises en scène peuvent aider les gens à vivre l’histoire de manière différente. C’était formidable de découvrir ce que cela suscite, que ce Dieu que je suis en train de louer s’intéresse aussi à tout ce qui est beau…
Les Eglises valorisent-elles suffisamment les artistes pour qu’ils amènent de la créativité dans les cultes ?
Les évangéliques ont mis beaucoup de poids sur tout ce qui est lecture et prédication. Dans chaque Eglise, il y a des artistes, soit professionnels, soit amateurs, qui ont des dons différents. Il serait utile de créer des espaces où nous pouvons intégrer toutes ces compétences artistiques.
Propos recueillis par Serge Carrel