Manfred Engeli, vous venez de publier Les offres de Dieu. Une relation d’aide dans une perspective finale. Qu’apporte votre livre à la relation d’aide en monde francophone ?
J’ai observé que la relation d’aide francophone s’est développée progressivement loin de la Bible, en essayant d’intégrer de plus en plus des chemins et des programmes psychothérapeutiques. Et moi, j’ai fait le trajet inverse.
On voit aujourd’hui nombre de pasteurs évangéliques recourir à la psychologie pour légitimer leur accompagnement. Vous, vous faites vraiment le chemin inverse ?
Dans un sens oui ! Mais d’autre part il faut faire tout de suite une distinction capitale entre la psychologie et la psychothérapie. J’ai fait des études de psychologie et je me suis rendu compte que la psychologie n’entre pas en conflit avec la Bible. J’ai vérifié cela à travers mon doctorat sur le parler à soi-même. Les résultats de ma recherche concordaient avec ce que l’on trouve dans la Bible.
Notamment dans les Psaumes…
Oui, mais aussi avec ce que l’on trouve dans certaines paraboles où le parler à soi-même est utilisé et où Jésus en parle. Il n’y a donc aucun problème avec la psychologie, parce que, si elle est honnête, celle-ci découvre ce qui est. Mais il y a problème avec la psychothérapie. Celle-ci véhicule toujours une anthropologie humaniste où l’homme possède la capacité de s’en sortir lui-même.
Nombre d’accompagnants évangéliques seraient peu critiques à l’endroit de ces psychothérapies et de leurs anthropologies ?
Certains pensent que l’on peut utiliser des moyens ou des techniques développés par certaines psychothérapies dans une perspective de relation d’aide chrétienne. L’utilisation sanctifierait les moyens utilisés. Personnellement, je ne crois pas que cela soit possible. Quand je regarde la Bible, Dieu développe énormément de créativité. Il n’a jamais eu besoin de recourir à des moyens que les hommes auraient développés. Ce développement de la relation d’aide chrétienne m’attriste aussi parce qu’on essaie de « sauver l’or des Egyptiens », et on ne va pas creuser ce que Dieu dit et offre à l’être humain dans sa Parole.
Les pasteurs ou les praticiens de la relation d’aide proches des Eglises sous-estimeraient la capacité de Dieu à apporter des clés pour mener à bien un bon accompagnement ?
Je me suis parfois posé la question… Dans son épître aux Colossiens (2,3), l’apôtre Paul affirme que « tous les trésors de la sagesse et de la connaissance sont cachés en Jésus-Christ ». Ou ces praticiens de la relation d’aide chrétienne ne croient pas ce qui est dit là ou ils ne prennent pas la peine de chercher ce qui est caché. Parce qu’il faut le chercher ! Ce n’est pas à la surface. Ils manquent peut-être aussi de moyens pour le chercher…
Comment en êtes-vous arrivés à penser que, dans la Bible, vous aviez toutes sortes d’outils à utiliser en relation d’aide ?
Quand j’ai commencé mes études de psychologie, j’avais déjà 38 ans. Je bénéficiais déjà d’expériences dans l’enseignement et dans d’autres milieux. J’avais la conviction que Dieu avait des choses à offrir aux êtres humains que la psychologie ne connaissait pas. Mais j’ai d’abord voulu savoir ce que la psychologie savait de l’homme en menant à bien ces études. J’avais aussi rencontré des chrétiens qui avaient cherché de l’aide auprès de psychologues ou de psychiatres et à qui on avait dit : « Si vous abandonniez votre foi, vous pourriez peut-être être guéris. » A l’époque, certains praticiens considéraient la foi comme un élément qui rendait l’individu malade et qui ne contribuait pas à sa guérison. Personnellement, j’étais plutôt habité par la conviction que Dieu disposait d’offres pour les hommes et qu’il fallait le découvrir, ce que je ferais après mes études…
Après ma formation de psychologue, j’ai suivi une formation en psychothérapie rogerienne. A la fin, il m’a fallu passer un examen devant des experts en montrant comment je travaillais et comment j’avais terminé deux ou trois thérapies en présentant des bandes magnétiques. Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la réaction de ces spécialistes devant ma manière de travailler qui incluait la foi et la prière. Surpris par les résultats, ils m’ont dit : « C’est incroyable ce que la foi, en tant que relation avec Dieu, peut développer comme potentiel de transformation pour des clients. » Ils n’étaient pas croyants et ce sont eux qui ont souligné cela. Cette expérience a été pour moi une confirmation. En tant que chrétien, je trouve dommage et attristant que des chrétiens qui auraient ce potentiel à leur disposition l’excluent de leur travail.
Pratiquement, comment parvient-on à dégager ces « trésors » en Christ et à les utiliser ?
Ce qui m’a beaucoup frappé, c’est l’attitude de Jésus-Christ lui-même qui a dit : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même » (Jn 5,19). Jésus se soumettait totalement à Dieu et il croyait que son « Père est à l’œuvre jusqu’à présent » (Jn 5,17). Pendant toutes mes années de pratique de la relation d’aide, ce fut une conviction de base : Dieu est à l’œuvre dans la personne que j’ai en face de moi. Entrer dans cette attitude de soumission propre à Jésus permet de devenir, comme lui l’a été, collaborateur avec Dieu. C’est l’attitude de base dans laquelle je suis entré après mes études.
Après tant d’années d’études, ce ne fut certainement pas facile de mettre une croix sur tant d’efforts !
Ce ne fut pas facile, mais je ne l’ai pas ressenti comme un renoncement. Pour moi, c’était une aventure. Si j’arrivais à découvrir ce que Dieu avait à sa disposition, ce serait tellement plus puissant et plus important que ce que j’avais. Le pas que j’ai pu faire, sans trop d’effort, c’est de lui remettre tout cela : « Seigneur, je ne veux pas être dirigé par mon expérience ou par mon savoir, mais par ton Esprit. » Apprendre cela signifie lâcher prise dans les entretiens. J’aurais peut-être été un bon thérapeute en prenant les choses en main moi-même, mais il a fallu renoncer à diriger… à ramasser aussi la gloire et le succès. La relation d’aide n’est plus mon « produit », mais cet essai de me soumettre et de me joindre à l’action de Dieu. Dans les moments où je prenais la situation en main, j’entendais souvent cette petite voix intérieure qui me disait – Dieu me parle en suisse allemand ! – : « Hindere liege, Manfred ! » ; « Penche-toi en arrière, Manfred ! Laisse-moi faire ! » Et là, je pouvais à nouveau me poser la question de ce qui était maintenant important, de ce que Dieu voulait me dire et quelle parole il souhaitait que j’apporte. J’ai pu choisir à de nombreuses reprises en début d’entretien de reprendre cette attitude pour laquelle j’avais opté librement.
De manière concrète, Dieu vous utilise avec tout votre bagage et vous demande dans ce contexte-là de le laisser faire ?
Il m’utilise avec mon bagage, mais c’est lui qui contrôle ce bagage. Ce qui m’a frappé, c’est que, de ce bagage, certaines choses m’ont été rappelées à certains moments, mais d’autres n’ont jamais refait surface…
Un exemple ?
Oui, la méfiance par rapport à la personne que j’ai en face de moi. Cette méfiance qui me pousse à me demander : est-elle en train de me tromper ? A-t-elle une attitude qui vise à me cacher quelque chose ? Y a-t-il une résistance en elle ? Cette attitude de méfiance qui n’est pas une attitude aimante, mais qui nous est enseignée… a disparu.
Il y a d’autres choses qui me sont revenues en mémoire, notamment le processus d’apprentissage pour intégrer ce qui est nouveau. Là, il faut respecter le chemin dont notre âme a besoin, parce que l’être humain ne peut pas entrer dans quelque chose sans l’apprendre. Il a besoin d’apprendre toute chose, y compris dans le domaine psychologique ou spirituel. J’avais compris cela au cours de mes études et ce sont des choses très importantes qui me sont revenues très souvent…
Propos recueillis par Serge Carrel
« Les offres de Dieu. Une relation d’aide dans une perspective finale » (traduction française, Dossier Vivre 33, St-Prex, Je Sème, 2012, 304 p.) est en vente au prix de 30.- ou 25 € + frais de port. Pour toute commande : dossiers.vivre@lafree.ch